"C'est comme avoir un enfant à 36 ans"

Ce n'est ni pour l'argent, ni pour la carrière: ces trois femmes s'offrent leur marque de mode. Une fashion start-up serait-elle le plus grand luxe imaginable? "C'est un peu comme avoir un enfant à 36 ans: vous y êtes plus attentive que vous ne l'étiez à 20 ans."

1. Chantal Tyncke (47 ans) dirige un studio de danse et assure le 'ballet coaching' de l'équipe féminine belge de gymnastique. Ses créations élégantes ont donné naissance à la marque Maillot.

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©Alexander Popelier

"Je n'avais pas besoin d'une aventure dans la mode, parce que j'avais déjà une carrière, dans la danse. J'ai une formation de danseuse. Mon style combine des éléments du ballet, de la danse contemporaine et de la danse ethnique. J'ai eu l'occasion de voyager partout dans le monde avec une compagnie internationale, mais l'amour m'a retenue en Belgique. Mon ego n'a pas primé sur ma famille. C'est pourquoi j'ai fondé mon studio dans ma ville de Gand, en 1991. Les danseurs sont devenus ma deuxième famille: ils ont entre 5 et 50 ans, certains sont ici depuis 22 ans. Depuis 2004, j'ai une deuxième carrière: je suis 'ballet coach' pour l'équipe féminine belge de gymnastique. Je commence tôt, ce qui me laisse un peu de temps libre pendant la journée. Cela me permet de me consacrer à ma nouvelle carrière, mon label de mode Maillot."

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"Nous organisons chaque année des représentations dans la salle du NTGent avec le studio de danse. Comme je ne trouvais pas mon bonheur dans les tenues de danse existantes, vraiment moches, je me suis lancée dans la création de tutus, pantalons, costumes, jupes, leggings et vestes pour mes danseurs. Le public est venu me complimenter. Il faut dire que j'y avais consacre énormément d'attention."
"Ma première collection de mode pour Maillot a vu le jour alors qu'une de mes élèves portait un justaucorps si moche que je lui en ai fait un moi-même. D'autres danseuses m'ont demandé de créer d'autres pièces telles que des T-shirts, shorts, pulls, bikinis sur mesure, pour mettre en valeur leurs qualités physiques. Je ne planche pas longtemps sur un projet: je réalise mon idée directement. Le brainstorming, c'est pour le marketing."

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©Alexander Popelier

"Grâce à ces danseuses et quelques séances photos avec Alexander Popelier, Cheyenne De Keyser et Marie Wynants, mes créations ont fait un tabac sur les réseaux sociaux. Les commandes ont afflué et j'ai donc dû trouver un atelier de production: ce fut Celesta à Wevelgem où sont fabriqués des modèles pour de nombreux créateurs de mode belges. Je peux leur demander de faire des petites séries. Si j'avais dû livrer 500 magasins de danse, j'aurais dû chercher un producteur à l'étranger. C'est vrai, en Belgique c'est un peu plus cher, mais quelle est l'alternative? Les faire réaliser au Bangladesh par des enfants plus jeunes que les miens? Hors de question!"

"Au départ, je ne voulais créer que des vêtements pour le monde de la danse, mais j'ai largement dépassé ce stade. Je commercialise des modèles fusion avec lesquels on peut s'entraîner, danser ou sortir. Il m'arrive encore de faire référence au monde de la gymnastique avec le choix des tissus comme le lycra pailleté. Ils doivent avoir un tombé impeccable, comme un justaucorps. Comme cela fait 25 ans que je vois des corps de femme s'entraîner en faisant tous les mouvements possibles, je sais exactement ce qui est confortable. Mes danseuses sont comme des Barbie pour lesquelles j'imagine des tenues idéales."
"Ma grand-mère était professeur de musique et modiste. C'est elle m'a appris à coudre. Lancer ma propre collection n'a jamais été mon projet, mais, depuis, j'ai acquis le savoir-faire nécessaire. Ces deux dernières années, j'ai injecté toutes mes économies dans Maillot. Chaque voyage a été placé sous le signe de la recherche ou d'une prise de vue. Il est temps que je me professionnalise. Passer de la phase créative à la phase industrielle. Cela me fait peur, mais je tiens à passer le cap. Lancer deux collections par an, je pense que c'est trop et puis, je suis contre les produits saisonniers, jetables après quelques mois. Une pièce basique de qualité, on la porte plus qu'une saison, n'est-ce pas?"

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©Alexander Popelier

"Il faut compter de 90 euros pour un bikini à 160 euros pour un blouson. C'est suffisamment bon marché pour que les jeunes filles puissent investir dans une pièce de qualité. Je n'ai pas encore de point de vente, je dois d'abord terminer ma collection. En attendant, je vends via ma boutique en ligne que je suis en train de mettre au point. Et l'année prochaine, je participerai à des salons pour les jeunes marques à Paris et à Milan. C'est du sérieux."

"La mode ne figurait pas dans le master plan de ma vie. J'ai une maison, une famille, une voiture et deux jobs: tout ce qu'il me faut. Oui, je peux me permettre cette aventure. Bien sûr, ce serait super si cela me permettait de bien gagner ma vie. Cela assurera peut-être ma pension. Ou servira à offrir un cadeau à mes enfants et éventuels petits-enfants. Écrivez donc ceci: la mode, c'est ma formule d'épargne-pension."
www.maillot-leotard.com

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2. Martine De Meyer (48 ans) vient de fonder Marlière, un label inspiré par l'élégance des danseuses contemporaines.

©Alexander Popelier

"Mon parcours? Jusqu'en 2002, j'avais une boutique de mode à Malines. Ensuite, j'ai travaillé pour Eurovia, une filiale du groupe Vinci. J'ai arrêté il y a deux ans et, comme je voulais recentrer ma vie, j'ai suivi une formation de mode à l'académie des Beaux-Arts de Lierre. Je rêvais déjà d'un plan B: avoir ma propre marque. Grâce à mon époux, Luc, je peux enfin m'engager dans une carrière dans la mode, sinon, cette inspiration créative serait peut-être restée un rêve. Marlière, c'est ma passion et mon concept. Si je peux en vivre, c'est déjà plus que bien. La marque ne doit pas non plus me rendre malade, même si je réalise qu'une charge de travail énorme m'attend."

"Marlière est le nom d'une icône excentrique du ballet belge, Andrée Marlière. Elle était également chorégraphe et peintre. Les collections sont inspirées par sa personnalité et son art, mais aussi par l'élégance classique des grands noms de la danse comme Maurice Béjart, Martha Graham et Pina Bausch. Leur grâce et leur rayonnement artistique me fascinent et ça se sent dans les images de nos collections: nous avons travaillé avec le photographe Athos Burez, la maison de production Nono C de Chanel Selleslach, la modèle Gudrun Ghesquiere et l'actrice Pamela Feryn."
"Marlière s'adresse aux femmes créatives et dynamiques. La marque n'est pas un label de danse, mais chaque création fait référence à cet univers -les tulles, la coupe, la fonctionnalité et l'ajustement. Regardez nos brassières: elles sont très inventives en termes de choix de tissu et de coutures, mais aussi très confortables. Nous appelons ça de l''underwear in motion'. Le mouvement est toujours là, dans les détails graphiques ou dans les T-shirts que l'on peut porter des deux côtés: un décolleté profond devient un dos échancré. Ici et là, on retrouve aussi un élément de l'univers du golf. Mon époux et moi sommes des golfeurs passionnés et voyageons beaucoup pour pratiquer ce sport. Une influence que l'on remarque dans les tissus perforés qui ressemblent à la surface d'une balle de golf."

©Alexander Popelier

"Pourquoi créer ma ligne? Parce que la mode a toujours été là. Je voulais aller à l'académie de la mode, mais mes parents étaient contre. J'aimais dessiner et je m'intéressais beaucoup à la mode. Calugi E Giannelli, Martine Sitbon et Helmut Lang ont été mes créateurs favoris pendant des années. J'aime aussi Véronique Leroy et Dirk Van Saene. Lors de mes cours à Lierre, j'ai eu un professeur qui m'a motivée à lancer ma marque. Si je n'avais pas réussi, je me serais mise à la peinture."

"Avec Marlière, j'ai le luxe de choisir mon rythme. Je ne veux pas suivre les saisons classiques de la mode, je préfère me concentrer sur quelques pièces intemporelles qui peuvent durer plusieurs saisons. Je les appelle 'kinky key pieces'. La coupe doit être graphique, élégante et fraîche. Même si ce n'est pas une marque de sport, un look sportif est possible. Je préfère les tons de nature aux couleurs fluos que l'on voit parfois sur les baskets ou les équipements de sport."

©Alexander Popelier

"Il n'est pas évident de partir de zéro sans formation technique. Et si j'avais eu 28 ans, cela n'aurait jamais été possible financièrement. Si je n'ai rien emprunté aux banques, c'est parce que j'avais des économies. Honnêtement, je me sens plus l'âme d'une créatrice que d'une couturière. Je dessine et je couds au feeling. Je fais réaliser les prototypes chez Marc Gysemans à Rotselaar, près de chez moi, et, pour la production, je vais au Portugal, une adresse que j'ai eue par le biais d'une connaissance qui y fait faire des tenues de golf."

"La production et les ventes sont impératives, parce que c'est à ces conditions que je peux continuer à créer. J'ai tellement d'idées que les personnes qui font les patrons n'arrivent pas à me suivre. Cela fait deux ans déjà que je travaille sur la première collection qui doit sortir l'année prochaine. Je ne souhaite pas être trop dépendante des points de vente parce qu'ils achètent ce qui est "tendance". Nous en avons vus beaucoup, de Keerbergen à Knokke. J'ai eu des réactions très positives, mais pas d'achats. Je suis convaincue que, dans le secteur de la mode, l'originalité finit par payer."
www.marlierebelgium.be

3. Claudia Storme (46 ans) vient de lancer une ligne de mode de tennis, Vieux Jeu, sans diplôme mais avec détermination.

©Alexander Popelier

"En tant que joueuse de tennis et maman d'enfants sportifs, je constatais depuis des années qu'il n'y avait pas de chouettes vêtements de tennis. Quand mes enfants jouaient au tennis de haut niveau, tous les joueurs portaient les mêmes tenues. Quand je filais faire des courses après un match ou que j'allais boire un verre, je trouvais que ce n'était pas évident d'afficher une tenue aussi ordinaire. Voilà pourquoi j'ai imaginé Vieux Jeu, des vêtements de tennis polyvalents."

"Quand on lance une collection à un certain âge, on sait ce que l'on veut. Les idées sont plus mûres et on a plus d'expérience. On est aussi plus prudente. C'est un peu comme avoir un enfant à 36 ans: on est plus attentive qu'à 20 ans. Je n'ai pas lancé cette marque sans réfléchir, j'ai passé des nuits blanches et, si je m'y engage à fond, c'est parce que j'ai de nouveau envie d'entreprendre."
"J'ai tenu pendant des années un petit restaurant à Ostende, que j'ai remis à une collaboratrice. M'occuper de mes enfants a été pendant des années un job à plein temps, mais, l'année dernière, cela me démangeait à nouveau: il me fallait quelque chose qui me permette de me défouler. Voilà comment j'ai mis sur pied une ligne de tennis cool composée de robes, polos, shorts, jupes, débardeurs et accessoires -casquettes, sacs de tennis et bandeaux."

©Tine Claerhout

"Comme je m'intéresse au sport et à la mode, je suis au fait de ce qui se passe et de ce que l'on trouve sur le marché. Je sais exactement ce dont les sportifs ont besoin, mais je ne peux pas le faire seule. Heureusement, je suis entourée de professionnels. Je fournis les idées et une Portugaise que j'ai rencontrée via une amie dans la mode à Paris, m'aide à choisir les ateliers de production et les matières. Notre rencontre est due au hasard: à cause d'une grève du personnel à l'aéroport elle était bloquée en France. Je l'ai conduite en Belgique et, durant le trajet, nous en sommes venues à parler d'une collaboration, alors que Vieux Jeu n'en était qu'au stade du mood board: grâce à son dynamisme, nous l'avons concrétisé. Aujourd'hui, c'est elle qui suit la production au Portugal. Pas facile avec une commande aussi limitée que la nôtre, qui ne compte que quelques centaines de pièces, car nous ne sommes pas prioritaires et il y a souvent des retards. Je communique avec le Portugal tous les jours: modèles, finitions, livraisons ou couleurs. Et pourtant, il y a parfois un problème: le bordeaux se révèle être marron oul'élastique n'est pas assez grand. Les échantillons font des allées et venues avant qu'un modèle ne soit parfaitement au point. La première collection Vieux Jeu sera composée de 14 pièces. Je ne tiens pas à sortir une nouvelle collection par saison, plutôt la compléter par des nouvelles pièces ou des nouvelles versions de modèles existants. Une jupe de tennis, on peut la porter toute l'année, non?"

©Tine Claerhout

"Oui, je me suis déjà maudite, me demandant pourquoi je m'étais lancée. En Belgique, je suis seule: j'assure la création, la communication et, bientôt, la vente. Via notre boutique en ligne ainsi que dans des magasins que je dois encore convaincre. Le prix des pièces s'échelonne entre 65 et 180 euros, le segment moyen du marché du sport. Les tissus sont sélectionnés sur base de leurs qualités. Le style est vintage mode, plus trendy que Lacoste, moins flashy que la tenue de Serena Williams à l'US Open et plus jeune que Tory Burch."

"Si la marque ne sortait pas? Pas question! Je suis une fonceuse. Il y a tellement de gens qui parlent de faire leur ligne de mode, mais qui ne se lancent jamais. Moi, je le fais. OK, ma première collection ne sera pas parfaite. Et mes mauvaises décisions m'ont déjà coûté écher, mais je tiens bon. C'est sans doute dû à mon passé de sportive: mon père, James Storme, était un célèbre joueur de foot au AA Gent et au Standard de Liège. Je jouais bien au tennis, et ma soeur beaucoup mieux. Mon fils est un bon joueur de foot et de tennis."

"C'est maintenant ou jamais. J'ai bien réfléchi à ce que je voulais faire et c'est vraiment mon rêve. Espérons que nous embarquons pour dix-quinze ans. Je crois que j'ai un ange gardien qui me demandera d'arrêter si ça ne marche toujours pas après trois collections. Mais je vais tout faire pour que ça marche."
www.vieuxjeu.be

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