Les prochains mois seront marquants pour Kamala Harris. Son tempérament et ses actes vont être examinés à la loupe, tout comme son allure. Alors, que disent ses vêtements?
Été 2024. Dès qu'on apprend que Kamala Harris pourrait devenir la première femme présidente des États-Unis, ses choix vestimentaires deviennent un sujet brûlant. Comme le compte à rebours de l'élection présidentielle est lancé, aucun détail n'échappe à l'œil scrutateur des médias: que porte la candidate? Comment le porte-t-elle? Et surtout, pourquoi? Blogueurs de mode, sites de magazines et médias glamour passent son style au peigne fin. Même les très sérieux New York Times et le Washington Post y consacrent un article.
Aux États-Unis, chaque apparition publique est une occasion de réussir ou d'échouer. Chaque tenue portée par Kamala Harris est donc un outil de pouvoir.
Selon le New York Times, depuis l'annonce de sa candidature, l'image de l'actuelle vice-présidente a évolué, et positivement. Par contre, son style, lui, n'a pas bougé depuis des années: un tailleur pantalon porté avec une blouse en soie sans décolleté, un collier de perles et des escarpins Manolo Blahnik. Sobre, élégant, mais aussi... un peu ennuyeux, estime la critique de mode Vanessa Friedman, qui se demande si ce sont vraiment là des tenues pour la première femme Présidente des États-Unis. Une pionnière comme Harris ne devrait-elle pas adopter un style vestimentaire plus audacieux?
Le Washington Post partage cette opinion: il estime également que la dame passe trop inaperçue et qu'aucun politicien ne s'est jamais moins distingué que Harris par ses choix vestimentaires. De quoi nous mettre mal à l'aise. Des femmes qui critiquent d'autres femmes, pour leur façon de s'habiller qui plus est, est-ce encore acceptable?
L'habit fait le moine
Les présidents qui ont précédé Kamala Harris n'ont jamais eu le "privilège" de voir leur style aussi minutieusement analysé par la presse. Quoique... On a parfois affirmé que Trump portait des cravates bien trop longues, comme une extension de son ego, pour rester poli. Et Bernie Sanders est devenu un mème grâce à son bonnet et ses moufles tricotées à la main.
C'est alors qu'apparaît un nouveau visage: Tim Walz, candidat à la vice-présidence de Kamala Harris. Le gouverneur du Minnesota est directement perçu comme celui qui va gagner les faveurs de la classe ouvrière grâce à ses vêtements: chemise à carreaux, pantalon de travail Carhartt, chaussures Red Wing usées, casquette de baseball et veste de pêche. Dans ce pays de paillettes, de glamour et de prestige, dire que l'apparence et, donc, les vêtements, comptent en politique est un euphémisme.
Les tenues des femmes du Capitole ont évidemment déjà fait couler beaucoup d'encre. Hillary Clinton avait une prédilection pour les tailleurs pantalons déclinés dans une large palette de couleurs, un choix vestimentaire rationnel qui fait penser à celui d'Angela Merkel.
Cependant, la perception des Européens diffère profondément de celle des Américains. Aux États-Unis, chaque seconde d'exposition publique est une occasion de réussir ou d'échouer. Chaque tenue est un instrument de pouvoir. La démocrate Nancy Pelosi l'a bien compris: en décembre 2018, la présidente de la Chambre des représentants a affronté Trump vêtue d'un manteau Max Mara rouge vif. Ce manteau, rapidement surnommé le "Fire Coat", a fait écrire au New York Times "Who needs an armor when you have a wool flamethrower?".
Le bon costume
Contrairement à Pelosi, le style de Harris est plus discret. Pour le moment, elle semble vouloir se contenter d'être élégante sans chercher à faire "fashion statements", contrairement à Michelle Obama, qui incarnait un rôle moins codé, celui de First Lady.
Le style de Kamala Harris semble être un choix tactique, pour qu'elle ait l'air d'être à la mode et sérieuse à la fois, sans prendre des positions trop tranchées.
Pourtant, bien qu'apparemment simples, les tailleurs de la candidate sont signés Altuzarra, Akris et Dolce & Gabbana. Ses tailleurs se distinguent par des épaules à la fois élégantes et structurées. La veste est toujours légèrement plus longue pour couvrir parfaitement les fesses. Les jambes de pantalons sont droites ou légèrement évasées. Quant à ses escarpins à bout pointu, ils allongent la jambe tout en restant confortables.
La perfection se niche dans les détails et c'est précisément ce qu'un costume bien coupé peut offrir, tant pour les hommes que pour les femmes: renforcer la confiance en soi et donner de la stature en dissipant les doutes liés aux éventuelles imperfections physiques. Il est certain qu'il faut un talent de tailleur hors pair pour parvenir à cette optimisation via des proportions précises. Le prêt-à-porter ne saurait y parvenir et cela, Harris l'a appris à ses dépens.
Styliste de célébrités
Quand la candidate fait la couverture du magazine Vogue après la victoire électorale du tandem Biden-Harris, début 2021, elle porte ses propres vêtements – jean noir, blazer noir et Converse, et est immédiatement inondée par une vague de critiques. Elle en a tiré des leçons. Dès sa prise de fonction, elle est apparue dans des tailleurs ayant un tout autre impact, comme si elle avait engagé une équipe de stylistes pour l'assister – ce qui est le cas. Désormais, elle ne porte plus que des marques de luxe impeccables. Ce ne sont pas nécessairement des marques américaines, mais toujours des marques où travaillent des créateurs de talent.
Rien n'est laissé au hasard pour qu'elle ait une allure politiquement correcte et inclusive, ce qui laisse deviner la présence d'une équipe professionnelle pour l'assister dans ses choix. Mais qui en fait partie? En 2021, l'année où Harris est nommée vice-présidente, le magazine Women's Wear Daily a rapporté qu'elle collaborait avec Karla Welch, une styliste réputée pour habiller les célébrités. Une information qui n'a jamais été confirmée.
Ces derniers mois, le nom de Leslie Fremar circule également, du moins au Washington Post. Fremar est une styliste influente qui travaille avec des actrices au style sobre et efficace, comme Charlize Theron et Jennifer Connelly. Ce serait elle qui aurait proposé à Harris une robe de soirée ornée de paillettes pour un gala fin avril. Cette robe est une création de la maison française Celine, dont le directeur artistique n'est autre qu'Hedi Slimane, le maître du luxe décontracté. Une tenue qui a donné à la vice-présidente une allure puissante et élégante, à la fois chic et cool. Un mois plus tard, elle a assisté à un dîner d'État vêtue d'une robe-cape vert foncé signée Chemena Kamali, directrice artistique de la maison française Chloé. Selon le Washington Post, ce serait également Fremar qui aurait habillé Harris pour les récentes prises de vue accompagnant une interview pour Rolling Stone, où elle pose avec grâce et décontraction dans un élégant tailleur blanc assorti d'une blouse noire en mousseline. Chaque détail est parfait et l'ensemble est en harmonie avec son style, comme s'il en avait toujours été ainsi.
Power dressing
Est-ce l'œuvre de Welch, de Fremar ou d'une équipe de free-lance qui se relaient? Quoi qu'il en soit, une chose est sûre: les tenues que porte Harris aujourd'hui ne sont pas simplement le fruit d'une sélection aléatoire dans sa garde-robe. Son style semble plutôt être le résultat d'une stratégie minutieuse, visant à la présenter à la fois comme élégante et sérieuse, sans pour autant être aussi tranchée que l'allure de Pelosi. Bien que Harris doive se conformer aux "corporate standards", elle parvient à le faire de manière contemporaine et originale grâce à des tenues à la coupe nette et confortable, des looks personnels malgré l'étiquette en vigueur. Un uniforme rassurant et adapté qui lui permet de se concentrer sur l'essentiel.
D'un point de vue féministe, n'est-il pas déplacé de se focaliser sur les vêtements de la (peut-être) future Présidente des États-Unis? N'a-t-elle pas des qualités bien plus essentielles qui pourraient faire de sa présidence un exercice totalement différent? Et n'est-il pas dégradant de critiquer les tenues d'une femme en position d'autorité? Oui et non. Parce qu'il n'existe aucun autre pays au monde où les moindres détails sont scrutés, analysés et exploités comme autant de données pour convaincre l'électeur et accéder à l'une des fonctions les plus importantes au monde. En politique, le "power dressing" est une opportunité non négligeable pour atteindre ses objectifs et toucher les gens, d'autant plus que Kamala Harris ne dispose que de quelques mois pour convaincre des millions d'électeurs. Son look doit incarner le pouvoir et donc, est un outil et doit être vu comme tel.
La politique du vêtement
Le phénomène du "power dressing" n'est ni un mythe ni une invention des magazines féminins. Depuis le début des années 60, on étudie la manière dont les vêtements peuvent influencer le comportement, ainsi que la perception que l'on a des autres. Des études ont mis en lumière le fait que les vêtements que l'on porte peuvent effectivement influencer l'attitude (Stone, 1962, "Appearance and the Self"). L'adage "Dress for the job you want", soit "habillez-vous pour le poste que vous voulez", est donc loin d'être dénué de sens. Pourquoi?
Il a été démontré que, comme d'autres expériences physiques, porter certains vêtements suscite des concepts abstraits qui ont une signification symbolique (Adam & Galinsky, 2012, "Enclothed Cognition"). Autrement dit, les vêtements incitent ceux qui les portent à incarner la signification symbolique qui leur est associée.
La manière dont notre entourage perçoit nos vêtements a également fait l'objet de nombreuses études. Par exemple, la façon dont les élèves s'habillent influence la façon dont leurs camarades et leurs enseignants évaluent leurs compétences. Les professeurs qui portent une tenue formelle sont perçus comme plus intelligents, mais aussi moins intéressants que ceux qui ont un style vestimentaire plus décontracté. Lors d'un entretien d'embauche pour un poste prestigieux, les femmes qui adoptent un style masculin ont plus de chances d'être recrutées, alors que celles qui s'habillent de manière plus féminine sont jugées moins compétentes. Au plus haut niveau, il est essentiel de maîtriser la perception qu'ont les autres de ses choix vestimentaires.
Kamala et l'électorat
Ashley Allison, figure de proue des relations publiques aux États-Unis et ancienne conseillère de la campagne Biden-Harris, est également convaincue que les tenues de Harris auront un rôle crucial dans sa mission de briser "le plus grand, le plus épais et le plus imposant plafond de verre qui soit". Il ne s'agit pas de savoir si Harris s'habille de manière élégante ou tendance; ce qui compte, c'est ce que les électeurs perçoivent dans ce qu'elle porte, quelles qualités et émotions ils associent à ses tenues et comment ils s'y identifient. En d'autres termes, s'ils peuvent se reconnaître dans ces qualités et ces émotions. Et lui donner leur suffrage.
Pour la candidate, il s'agit donc de créer, par ses tenues, un sentiment de proximité et de connexion avec l'électorat. Elle doit arriver à un équilibre subtil, où elle sera perçue à la fois comme une femme fascinante doublée d'une leader compétente, tout en lui conférant une familiarité rassurante. La quadrature du cercle. De cet exercice d'équilibre dépend la nouvelle présidence des États-Unis et donc, le sort du monde. En comparaison, les nouveaux habits de l'empereur sont un conte pour enfants.