Ils collectionnent les pièces de créateurs comme si c’était de l’art. Voici les archives de trois fans de mode passionnés par la "chasse" et la "collection".
Erna Vandekerckhove: "Je regrette d’avoir vendu mes Tabi à Raf Simons"
Les Anversois connaissent bien Erna Vandekerckhove (59 ans): depuis 2002, elle dirige la boutique de pièces de créateurs vintage Labels Inc., où, depuis des années, elle offre une vitrine aux collections de fins d’études aux jeunes talents de la célèbre Académie de la mode d’Anvers.
À la fin des années 80, elle faisait partie du groupe d’amies que l’iconique créateur Martin Margiela faisait défiler pour ses premiers shows. Elle ne se séparera jamais des pièces et des souvenirs qu’elle a conservés de cette époque. Seule exception: une paire de bottines "Tabi" de la première édition...
Lieu: Anvers.
Début de la collection: 1988, juste après le premier défilé de Martin Margiela.
Nombre de pièces: une cinquantaine.
Créateur le plus représenté: Maison Martin Margiela.
Premières pièces: le top "tattoo" en soie de la collection printemps-été 1989 et des bottines "Tabi" de la même collection qui n'ont jamais été mises en production. Sur les semelles, on peut encore voir la peinture rouge du défilé.
Vandekerckhove: "J’ai défilé quelques fois pour Martin, le deuxième et le troisième show, je crois. Ou bien était-ce le quatrième? Nous nous étions rencontrés dans le cadre de la vie nocturne, alors qu’il était encore étudiant à l’Académie de la mode. À l’époque, je travaillais dans la boutique de Yamamoto à Anvers et je devais régulièrement aller à Paris acheter des pièces."
"Au fil des ans, j’ai beaucoup revendu et même donné, surtout des pièces de Yamamoto et de Gaultier, mais aussi certaines de Margiela."Erna Vandekerckhove
"Je défilais pour Martin avec mes copines: je faisais ça sans me prendre la tête, en vitesse, avant de poursuivre mes achats. Nous sommes tous restés amis. La dernière fois que j’ai vu Martin, il démontait l’exposition consacrée à ses années chez Hermès au MoMu d’Anvers."
"Si je me suis séparée de beaucoup de pièces? Oui, j’ai beaucoup vendu et donné au fil des ans. Comme j’ai aussi déménagé souvent, j’en ai perdu ou abîmé quelques-unes. En 20 ou 30 ans, il se passe pas mal de choses! Beaucoup de pièces sont parties, surtout de Yamamoto et de Gaultier, mais aussi certaines de Margiela."
"Ce que je regrette le plus, c’est d’avoir vendu mes bottines 'Tabi' de cette époque à Raf Simons! (rires) Mes archives ne représentent plus que quelques étagères dans mon dressing, mais elles sont mieux sélectionnées."
"En dehors de Margiela, j’ai des pièces phares des designers d’avant-garde des années 80 et 90: Comme des Garçons, Helmut Lang... Je ne les porte plus, car elles ne sont plus à ma taille, la plupart étant 'sample size'."
"J’ai récemment publié un lien vers mes archives sur le site web de ma boutique. Je n’ai pas l’intention de les vendre, juste de les montrer. Mais il ne faut jamais dire jamais: si quelqu’un me propose un super prix, j’y réfléchirai."
labelsinc.be — La section archives sur le site web est en cours de développement.
David Casavant: "J'ai déjà prêté des pièces à des célébrités comme Kanye West et Rihanna"
L’Américain David Casavant (30 ans) est non seulement styliste pour des magazines tels que LOVE et Vogue Homme, mais aussi le propriétaire d’une des archives privées de mode homme les plus étonnantes du monde. Sa collection est axée sur les vêtements du début du XXIe siècle et met à l’honneur des joyaux vintage "hard to find" signés Raf Simons et Helmut Lang, entre autres.
Le collectionneur a introduit l’univers du hip-hop dans des marques de niche de luxe et a déjà prêté des pièces à des célébrités comme Kanye West, Kim Kardashian, Rihanna et Kendrick Lamar. En 2018, il a publié le livre "David Casavant Archive", un ouvrage consacré à ses collaborations avec les célébrités pour lesquelles il assure le styling, souvenirs émaillés de compositions faites de ses pièces préférées.
Lieu: New York.
Début de la collection: vers ses quatorze ans, mais le concept d’archive a été développé seulement en 2014.
Nombre de pièces: au moins 1.500.
Créateurs les plus représentés: Raf Simons et Helmut Lang.
Première pièce: un sweat gris à patchs de la collection automne-hiver 2000 de Raf Simons.
Casavant: "Plus qu’une entité en soi, mes archives sont une forme de réflexion, ou d’illustration de ce que je trouve intéressant à un moment précis. Je ne sais d’ailleurs pas vraiment vers quoi j’évolue sur le plan personnel. En tout cas, je n’ai jamais vendu ni échangé la moindre pièce: j’ai conservé tout ce que j’ai chiné."
"Depuis le début, je considère ma collection de vêtements comme une forme d’achat d’art."David Casavant
"Au départ, j’achetais certaines pièces juste pour les posséder, pas pour les porter. Et comme j’aspirais à faire carrière dans la mode, je savais qu’un jour, elles me seraient utiles. Entre-temps, ma collection s’est tellement étoffée que j’ai dû l’entreposer dans un appartement de 140 mètres carrés."
"Les vêtements sont dans des rayonnages, les chaussures et accessoires dans des placards. Je fais varier leur disposition: les pièces sont classées tantôt par créateur, tantôt par type de vêtement – par exemple vestes et sweats ensemble –, ce qui est actuellement le cas."
"Depuis le début, je considère ma collection de vêtements comme une forme d’achat d’art. Je n’ai jamais acheté quoi que ce soit pour ne le porter qu’une seule fois et le jeter."
"On me demande souvent quelle a été ma première pièce de créateur: c’est un sweat avec des patchs signé Raf Simons, créé au début du XXIe siècle. Je m’en souviens parce que je portais ce sweat quand j’étais encore en humanités."
"Je ne veux pas me séparer des pièces que j’achète, mais je les prête volontiers, comme on prête des œuvres d’art pour des expositions. Je porte encore certaines pièces, tout dépend de l’occasion. Le meilleur endroit pour partir à la chasse au trésor? Le grenier de la maison de vos parents!"
Eri Furuta: "6 kilos de bijoux Wouters & Hendrix."
Eri Furuta (44 ans), de la boutique Kioku H.P. France à Tokyo, est incontestablement la fan la plus fidèle des joaillières belges Katrin Wouters et Karen Hendrix. Depuis 22 ans déjà, Furuta collectionne tout ce que crée le duo. Elle estime posséder environ 6 kilos de bijoux de la maison Wouters & Hendrix.
Le duo a accueilli Furuta dans sa boutique anversoise pour la première fois il y a huit ans. Et, en février dernier, Wouters et Hendrix se sont rendues au Japon en l’honneur des 35 ans de leur label. Bien entendu, à cette occasion, elles ont également rendu visite à Furuta. Une amitié au-delà des frontières, nourrie par une passion commune: l’amour des beaux bijoux.
Lieu: Tokyo.
Début de la collection: 1997-1998.
Nombre de pièces: 230 + 2 bagues qui sont actuellement manquantes.
Designer: Wouters & Hendrix.
Première pièce d’archives: une bague avec un scarabée en péridot, toujours une de ses préférées. Les premières boîtes à bijoux font partie de sa collection.
Furuta: "J’ai découvert W&H quand j’étais étudiante, après l’avoir découvert par hasard, dans une boutique multimarque. Ce qui m’a toujours attirée, c’est que même après toutes ces années, leurs créations ne semblent jamais datées. Et elles n’ont pas perdu de leur éclat. Leur sens de l’humour est également extraordinaire, on ne trouve cela nulle part ailleurs."
"Les créateurs belges sont discrets et modestes, mais ils croient fermement dans ce qu’ils font."Eri Furuta
"Il m’est difficile de sélectionner des pièces favorites quand je contemple ma collection, mais je choisirais peut-être la montre à gousset de la collection conçue pour le 25e anniversaire de la marque."
"Je porte la plupart de ces créations tous les jours. Par contre, certaines pièces ont été achetées spécialement pour être archivées. Mes bijoux W&H sont classés par thème ou par type, et rassemblés par groupe dans des boîtes. Je garde toutes ces boîtes dans une armoire, afin de pouvoir retrouver facilement les pièces que je cherche."
"Les bijoux que je porte souvent ont une place à part dans ma chambre et ils changent en fonction des saisons. J’ai un faible pour les broches. Elles ne reviennent pas à chaque saison, mais mon cœur bat la chamade chaque fois qu’il y en a une nouvelle. Je ne me contente pas de collectionner, j’invente aussi des histoires."
"Parmi mes clients, il y a d’autres grands fans de ce label. Nous pouvons passer des heures à parler des éditions précédentes ou à admirer les nouvelles collections."
"Grâce à Katrin et Karen, j’ai appris à connaître la Belgique. Ce n’est qu’ensuite que j’ai découvert que les designers belges sont particuliers: ils sont discrets et modestes, mais croient fermement dans ce qu’ils font. C’est ce trait qui les lie."