L’univers des collectionneurs est fait de rêves, de possessions et (parfois) d’obsessions. Cette semaine: la collection de mode très pointue de l’entrepreneure Isolde Pringiers.
Quand Isolde Pringiers me fait visiter son nouveau penthouse, je perds rapidement le compte des vêtements, accrochés dans des placards et sur des portants. Ce n’est pourtant qu’une "petite partie" de sa collection. "La majorité se trouve dans les caves de ma maison principale et dans un entrepôt", confie l’élégante. Combien de pièces possède-t-elle? Elle ne saurait le dire. Beaucoup. Des centaines. Au moins.
"Avoir passé une grande partie de ma vie à l’étranger a certainement influencé ma vision de la mode", avoue-t-elle. "Quand j’avais onze ans, nous avons déménagé au Sri Lanka, où sont basées les entreprises familiales – d’abord dans les pneus industriels, maintenant dans la construction navale, les croisières et le chartering, ainsi que la fondation philanthropique que mon père a fondée. Quand j’étais au lycée là-bas, il n’y avait rien en termes de mode. Les femmes portaient des saris et des tongs. Alors, je faisais fabriquer par une couturière les vêtements que j’avais dessinés."
"La famille de ma mère est très artistique. Son père était banquier, mais aussi peintre et sculpteur. Et ma grand-mère était une couturière de talent. Ma mère dessinait ses propres vêtements et c’est aussi une artiste. Nous avons beaucoup en commun. Sans le savoir, il nous arrive d’acheter la même pièce Balenciaga ou Yohji Yamamoto - elle à Paris et moi, à Hong Kong."
"Ma première pièce de designer a été le manteau Romeo Gigli acheté à seize ans à Paris. J’avais aussi une robe Martin Margiela. Je regrette de ne plus l’avoir, mais elle était usée. J’adore l’aspect conceptuel et déconstructiviste de Margiela." Elle montre son blazer noir "Disco Ball" de Margiela. "Regarde comme il est beau! Il a quinze ans. Il était tellement influent, et c’est fou à quel point il reste actuel. On le voit dans les créations de Balenciaga. La créatrice bruxelloise Marie Adam-Leenaerdt s’en inspire aussi. Ann Demeulemeester est également un grand amour de jeunesse. Puis à dix-sept ans, je suis allée au Japon pour étudier la japanologie. Je donnais des cours d’anglais à des médecins, je travaillais comme mannequin et je gagnais beaucoup d’argent, ce qui m’a permis d’acheter du Yamamoto et du Issey Miyake. Au début des années 2000, j’assistais aux défilés Comme des Garçons et j’achetais toujours une, deux ou trois pièces. J’aime aussi beaucoup Junya Watanabe."
"La collection a grandi par phases et périodes", poursuit-elle. L’entrepreneuse, qui a également vécu quinze ans en Bulgarie où elle avait un studio d’architecture et d’architecture d’intérieur, travaillait pour un magazine et pour des missions de stylisme. Elle ouvre ses dressings et en sort des créations fantaisistes et des pièces muséales: Bottega Veneta, Maison Valentino, Alexander McQueen, Rick Owens et le jeune créateur britannique Richard Quinn. "Pour moi, cette collection est un hommage à la beauté et à la créativité de l’esprit humain. Et oui, j’avoue: après un défilé, j’ai envie d’acquérir des pièces. La mode, c’est aussi des rêves. Les porter. Imaginer des occasions. Même si je m’habille au quotidien. Dans ma famille, l’apéro est sacré. Mes parents ont quatre-vingts ans et eux aussi s’habillent pour l’occasion. Tous les deux. Tous les jours."
"M’habiller, c’est comme composer une œuvre. Je fais une tournée imaginaire dans mon dressing -ceci, cela. Ça va assez vite, mais ça fait partie du rêve. Tout aussi important: quel sac avec quelle tenue? Les accessoires sont décisifs pour le look final."
Isolde Pringiers présente une série de "Pantashoes" Balenciaga. À motif floral, façon résille ou avec des cristaux. "Bien sûr que je les porte. J’en suis folle." Elle sort ensuite une pièce inspirée du style SM de Margiela. "Ça marche très bien pour certains événements."
Ce qui émane de sa collection, c’est une formidable joie de vivre. Et ses placards pleins de sacs à main sont, eux aussi, pleins d’humour, comme ce sac en forme de paquet de chips de Balenciaga. "Je ne suis pas fan de Louis Vuitton, mais celui-ci est plutôt cool: Rei Kawakubo de Comme des Garçons y a fait des trous. Une fois, quelqu’un m’a félicitée en pensant que c’était moi qui les avais faits." (elle rit)
"Oui, je porte mes vieilles pièces. Quand j’achète un vêtement, je tiens à ce qu’il ait toujours l’air actuel ou d’avant-garde dans vingt ou trente ans. Et qu’il raconte quelque chose sur l’histoire de la mode."
Est-elle plutôt propriétaire ou obsessionnelle? "Obsession est un mot étrange. Je suis entourée de choses qui m’inspirent et je les collectionne. Aussi bien l’art et le design que les bijoux. La mode fait partie de ce qui nous entoure. Ce n’est pas de la boulimie, c’est un enthousiasme presque incontrôlable." Et le fait qu’elle ne porte jamais tout ce qu’elle possède? "Eh bien, si, si tu te changes trois fois par jour", dit-elle en riant. "D’ailleurs, je n’ai jamais pensé: tiens, on dirait que je suis en train de faire une collection. Cela ne s’est jamais fait consciemment. Mais là, je me dis que, quand même, ça fait beaucoup."
Le 20 juin dernier, elle s’est séparée d’une partie de cette collection. "Seize portants", précise-t-elle. "Quand je déménage, je fais toujours un grand tri. Qu’est-ce qui est encore pertinent? Qu’est-ce qui a encore du sens? Que puis-je encore porter? C’était la ruée: tout le monde sortait avec cinq, dix, quinze pièces. J’ai adoré voir comment les bonnes pièces trouvaient les bonnes personnes, et combien elles devenaient belles, découvrant la puissance d’être bien habillée. Le 19 septembre, il y aura une seconde édition. Je vais encore tout trier."
Elle refuse catégoriquement de parler de prix. On a l’impression qu’elle n’a pas de limites. "Bien sûr que si", lance-t-elle. "Je dois faire attention. Avec l’art aussi. Je n’achète que du prêt-à-porter, pas de la haute couture. Même si j’aimerais avoir une ou deux pièces couture Balenciaga. De toute façon, j’achète moins aujourd’hui. Et plus sage – dans le sens où je n’ai plus besoin de trois chaises pour m’asseoir avec une robe sculpturale. Je plaisante, bien sûr."