Pour son dernier défilé, qui s'est déroulé dans une usine de La Courneuve, Dries Van Noten a sorti le grand jeu, une fois de plus. "Nous préférons regarder le futur que le passé."
Pour son dernier défilé, qui s'est déroulé dans une usine de La Courneuve, Dries Van Noten a sorti le grand jeu, une fois de plus. "Nous préférons regarder le futur que le passé."
© Marleen Daniëls

Dans les coulisses du dernier défilé de Dries Van Noten

Nous avons suivi le créateur Dries Van Noten pendant les dernières semaines avant la présentation de sa collection d'adieux à Paris. Il place, comme toujours, la barre très haut.

Nous sommes arrivés en avance au rendez-vous et patientons au rez de l'entrepôt construit en 1905 sur le Godefriduskaai, à Anvers, où la maison de mode Dries Van Noten a pris ses quartiers depuis 2000. Les coursiers vont et viennent, l'effervescence est palpable. L'assistante du créateur nous accompagne jusqu'à l'ascenseur. "C'est tellement dommage", soupire-t-elle quand j'évoque son départ. Une fois à l'étage, j'entends le même commentaire: "Pendant mes vingt années de travail ici, Dries était toujours là. Je ne peux pas imaginer ce lieu sans lui", déclare un de ses collaborateurs.

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Dries Van Noten n'est pas encore arrivé; il est avec la maquilleuse qui le prépare pour les prises de vues. Elle travaille pour lui depuis des années, comme tant d'autres qui ont fait de la maison de mode leur second foyer. C'est une grande famille, exactement comme l'aime l'Anversois: travailler avec des personnes qu'il connaît bien, mais aussi de jeunes talents auxquels il apprend à regarder l'art, la beauté et l'inattendu.

Dries Van Noten dans l'entrepôt qui abrite ses ateliers et bureaux à Anvers.
Dries Van Noten dans l'entrepôt qui abrite ses ateliers et bureaux à Anvers.
© Marleen Daniëls

Le créateur apparaît: il porte un pull bleu marine sur un t-shirt blanc, un pantalon chino et des sneakers; une tenue que nous lui connaissons depuis des années, illustrant l'adage qui veut que, quand on passe ses journées immergé dans la mode, on n'a pas envie de se compliquer la vie chaque matin pour choisir sa tenue. La photographe lui suggère avec tact de porter une chemise pour son portrait. Ce que le créateur juge inutile: il est toujours fidèle à lui-même, "dans son jus", comme il aime à le dire.

Cette règle décontractée ne s'applique cependant pas à son chien Scott, qui doit être toiletté avant de poser pour la photo. Cet affectueux airedale-terrier fait ami-ami avec tout le monde, même si son panier se trouve dans la pièce où son maître travaille. Ici, on perçoit que le déménagement est imminent. Les cartons sont prêts, tout comme les piles de magazines avec, en couverture, ses créations. Peu de créateurs ont su se réinventer et captiver pendant aussi longtemps, pour finalement s'arrêter une fois atteint le sommet.

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Malgré l'effervescence ambiante, le créateur prend le temps de revenir sur sa carrière: son grand-père entrepreneur qui avait fondé à l'époque le célèbre magasin de vêtements pour hommes 't Meuleken, son enfance dans le magasin de vêtements de ses parents à Essen, ses études à l'Académie de la mode d'Anvers en tant que membre des célèbres "Six d'Anvers" qui ont fait leurs débuts ensemble à la London Fashion Week. Et, bien sûr, sa maison de mode, devenue l'une des marques les plus créatives, authentiques et influentes au monde.

© Marleen Daniëls

Succession

Qui sera son successeur? "My lips are sealed and it's totally beyond my control", esquive-t-il en riant. Il précise toutefois qu'il continuera à suivre l'entreprise à distance et passera encore quelques jours par mois au bureau. "Je vais peut-être prendre ma retraite en tant que styliste, mais je continuerai à m'impliquer dans la marque et à me lancer des défis parce que j'aime cela. Je ne me contenterai donc pas de jardiner et de voyager."

Dans son bureau, les tissus de la nouvelle collection Homme SS25 sont fixés sur un tableau: de beaux imprimés et de riches étoffes, indissociables du style Dries Van Noten. Curieusement, il n'y a pas de croquis de mode. En effet, le créateur ne réalise que les dessins techniques qui servent de base aux patronnières. "À mon grand regret, je n'ai jamais su bien dessiner. Par contre, j'ai tout en tête, dans les moindres détails. Je ne conçois jamais de silhouettes complètes, chaque pièce doit pouvoir exister par elle-même. Bien sûr, la collection est toujours conçue à partir d'une image, d'une atmosphère autour de laquelle on travaille."

Quelques semaines plus tard, nous revenons pour les séances d'essayage: c'est à ce moment que vont se composer les silhouettes qui seront présentées à Paris. Les vêtements à essayer et à photographier sont disposés sur une grande table. Quelques mannequins cabine, qui participeront aussi au défilé, sont présents et, parmi eux, un visage familier, celui d'Alain Gossuin, styliste et mannequin belge résidant à Paris, qui avait déjà défilé lors du tout premier show de Dries Van Noten. C'est ce sexagénaire au charisme impressionnant qui aura l'honneur d'ouvrir ce dernier défilé, entraînant à sa suite un aréopage de très jeunes modèles. "Nous sommes toujours à la recherche de profils, d'âges et de beautés variés, car chacun d'entre eux exprime un caractère unique. Nos clients aussi sont très divers", commente Patrick Vangheluwe, le partenaire de Van Noten.

Pour son dernier défilé, qui s'est déroulé dans une usine de La Courneuve, Dries Van Noten a sorti le grand jeu, une fois de plus. "Nous préférons regarder le futur que le passé."
Pour son dernier défilé, qui s'est déroulé dans une usine de La Courneuve, Dries Van Noten a sorti le grand jeu, une fois de plus. "Nous préférons regarder le futur que le passé."
© Marleen Daniëls
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Tous les registres

Cette diversité se manifeste également dans les pièces de la collection. Les tissus choisis vont du lin irlandais classique aux étoffes british à chevrons, en passant par des matières high-tech transparentes, des textures douces et souples ou, au contraire, au toucher plus crispy, des imprimés et broderies artisanaux aux tissus métallisés. "Pour cette collection, nous avons exploré tous les registres et sommes allés très loin. Nous préférons regarder le futur que le passé", déclare l'Anversois en caressant ces merveilleux tissus.

"Pour cette collection, nous nous sommes inspirés du travail de l'artiste belge Edith Dekyndt, dont l'influence se perçoit dans les jeux de transparence et l'utilisation du métal. C'est devenu une collection stratifiée, dans tous les sens du terme. En superposant différentes couches, souvent transparentes, on obtient différents effets de couleur. Nous avons également travaillé avec des matières recyclées, notamment un rembourrage à base de chutes de laine et de cachemire."

Entre-temps, un collaborateur lui apporte une vidéo en provenance du Japon montrant les résultats d'une technique séculaire d'impression artisanale, le suminagashi, qui permet de créer un effet marbré unique avec de l'encre flottante. "Chaque vêtement sera accompagné d'un QR code pour que les clients puissent découvrir le processus d'impression en atelier. Quand arriveront les dernières pièces? Certaines le jour même du défilé. Là, nous avons cinq jours de travail de stylisme devant nous, durant lesquels nous allons explorer jusqu'où nous pouvons pousser les combinaisons et les contrastes dans cette collection 'stratifiée'. Ensuite, nous évaluerons les 65 silhouettes pour nous assurer de ne pas être allés trop loin. Si nécessaire, nous procéderons à des ajustements. Une fois que les vêtements seront à Paris pour le défilé, le puzzle devra être le plus complet possible, enfin, à quelques détails près."

Pour sa dernière collection, Dries Van Noten s'est inspiré de l'artiste Edith Dekyndt.
Pour sa dernière collection, Dries Van Noten s'est inspiré de l'artiste Edith Dekyndt.
© Marleen Daniëls

Dernier défilé

Le 22 juin, dans un bâtiment industriel de La Courneuve, une banlieue morose de Paris, date du dernier défilé. C'est ici que Dries Van Noten a présenté en 2004 son légendaire cinquantième défilé, au cours duquel les mannequins ont défilé sur les tables transformées en catwalk pour l'occasion. Ce fut, et de loin, un des défilés de mode les plus impressionnants et les plus originaux de tous les temps.

En coulisses, tout le monde est sur le pont: les mannequins se font maquiller et habiller, aidés par les élèves de la section mode des Ursulines de Malines, une tradition. Ignace D'Haese, cofondateur de la société gantoise Arf&Yes, en charge depuis des années de la lumière et de la scénographie, en collaboration avec l'organisateur d'événements Villa Eugénie, se remémore ces années avec une touche de nostalgie: "Travailler avec Dries Van Noten a toujours été un plaisir. Non seulement c'est un grand créateur, mais c'est aussi quelqu'un d'exceptionnel, un homme d'une intelligence redoutable, intègre et très respectueux".

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Nous croisons Aminata Sambe, qui a travaillé pendant des années sur les défilés de Dries Van Noten pour Villa Eugénie et a joué un rôle déterminant dans la réalisation du documentaire "Dries" du cinéaste allemand Reiner Holzemer. Bien qu'elle dirige désormais sa propre entreprise, elle a tenu à contribuer à ce dernier défilé, par gratitude pour l'Anversois.

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Grande fête de famille

Devant le bâtiment industriel, les taxis vont et viennent. Nous reconnaissons des visages familiers. Ann Demeulemeester et son époux Patrick Robyn papotent avec Walter Van Beirendonck. De nombreux invités arborent des tenues vintage signées Dries Van Noten, toujours aussi fraîches et actuelles qu'à l'époque de leur création.

À l'intérieur, des colonnes sont dressées entre deux grands écrans diffusant les 128 défilés, symboles de toutes ces années passées. Les défilés de Dries Van Noten ont souvent été si marquants qu'ils font désormais partie de la mémoire collective du monde de la mode. Une foule de grands créateurs sont également présents: Marina Yee, également l'une des Six d'Anvers, Diane von Fürstenberg, Haider Ackermann, Kris Van Assche, Thom Browne, Pierpaolo Piccioli, Véronique Nichanian, Alexandre Mattiussi et Meryll Rogge, ex-bras droit de Dries Van Noten pour les collections femme. Gert Voorjans, son architecte d'intérieur attitré, est également présent, ainsi que des clients de la première heure, comme Sonja Noël, fondatrice de la boutique bruxelloise Stijl, ainsi que de nombreux amis. Tel un hôte lors d'une grande fête de famille, Dries Van Noten se mêle à cette foule joyeuse et complice.

À la fin du défilé, Dries Van Noten vient saluer le public une dernière fois.
À la fin du défilé, Dries Van Noten vient saluer le public une dernière fois.
© Marleen Daniëls

Boule disco

Après le walking dinner, nous sommes dirigés vers la salle où se déroulera le défilé. Le catwalk recouvert de feuilles d'argent est littéralement éblouissant et une gigantesque boule disco joue avec les lumières. "Time: one of the most complex expressions", un texte déclamé par David Bowie, extrait du documentaire "Moonage Daydream", crée un moment d'émotion palpable.

Alain Gossuin ouvre le défilé, suivi par les jeunes mannequins, la nouvelle génération. Les feuilles d'argent dansent dans la lumière. Bien qu'il s'agisse d'un défilé homme, on retrouve certaines des mannequins femmes emblématiques des défilés de Dries Van Noten: Karen Elson, Hannelore Knuts, Kristina De Coninck, Hanne Gaby Odiele et Kirsten Owen. Voilà, c'est le clap de fin et le créateur s'avance pour saluer et remercier le public une dernière fois. Ensuite, place à la fête au rythme du célébrissime "I feel love" de Donna Summer. Plus que des adieux mélancoliques, ce dernier défilé fut une célébration magnifique de la beauté et de la joie.

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