Avec Nicolas Di Felice à la tête du label de mode français Courrèges, un vent nouveau (venu de Belgique) souffle sur la capitale française. Avec des boutiques Courrèges relookées par Bernard Dubois, un autre Belge.
Nicolas Di Felice a commencé à travailler chez Courrèges en septembre dernier, mais ce n’est qu’aujourd’hui qu’il est sous le feu des projecteurs en tant que nouveau directeur artistique.
Lors de la fashion week numérique de Paris, au début du mois, le Belge a présenté sa première collection à part entière, à point nommé pour le soixantième anniversaire de la marque qui inventa l’uniforme du futur.
Même en période de Covid et d’internet, un nouveau créateur a besoin d’une boutique actualisée. Pour ce faire, l’architecte belge Bernard Dubois, grand ami de Di Felice et qui a signé les boutiques Aesop de Bruxelles et Zadig & Voltaire à Paris, s’est plongé dans les archives de Courrèges.
Mode futuriste
À l’époque où la compétition entre Américains et Russes pour la conquête de l’espace battait son plein, André Courrèges partait à la conquête de la planète mode en tenue futuriste. Le couturier, qui s’est lancé en 1961 avec le soutien financier de son ancien employeur, Cristóbal Balenciaga, a été un pionnier.
La question de savoir si c’est le Parisien ou la Londonienne Mary Quant qui a inventé la minijupe sera toujours sujet à débat, mais personne ne peut enlever à Courrèges le titre d’inventeur de la "space age fashion". En 1964, les casques futuristes de sa collection "Moon Girl" étaient un gadget, mais les robes trapèze, les manteaux à coupe boxy, les minijupes et les bottes d’un blanc éclatant en plastique étaient portés toutes les it-girls.
Pourtant, l’étoile s’est fait happer par un trou noir. Ce qui était futuriste dans les années 60 devint dépassé dans les années 80. L’empire bâti par André Courrèges et son épouse Coqueline, qui comptait 180 boutiques, s’effrita. Courrèges a changé plusieurs fois de propriétaire, la ligne de couture est arrêtée en 2002. Et si Coqueline Courrèges reste la directrice artistique jusqu’en 2011, au fil des reprises, la marque disparaît des radars.
Jusqu’à ce que, deux ans après la mort d’André Courrèges, le Groupe Artémis, la société d’investissement de la famille Pinault (à la tête du conglomérat de luxe Kering) la rachète, en 2018, pour la relancer -ce que Kering avait déjà fait avec succès pour Gucci, Saint Laurent et Bottega Veneta.
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Nicolas Di Felice x Courrèges
C’est la mission que doit relever Nicolas Di Felice. Bien qu’inconnu du grand public, ce Belge de 37 ans, ancien élève de La Cambre et originaire des environs de Charleroi, s’est fait un nom depuis 2008. Avant que Kering ne le coiffe de cette nouvelle casquette, il avait travaillé pendant six ans chez Balenciaga (avec Nicolas Ghesquière), quelques mois chez Dior (avec Raf Simons) et cinq ans chez Louis Vuitton (toujours avec Nicolas Ghesquière).
Ce mois-ci, Di Felice a présenté le nouveau Courrèges. Une nouveauté qui n’est pas seulement due aux défilés numériques: le denim est européen, les tissus en polyester sont recyclés autant que possible et la liberté de mouvement passe avant tout. Patience, cette nouveauté ne sera palpable qu’une fois la collection en boutique, cet automne.
Bernard Dubois x Courrèges
Par contre, dès que les frontières seront à nouveau ouvertes, on pourra déjà avoir un aperçu de ce "nouveau Courrèges" dans la première et la seule boutique à avoir été rénovée, celle de la rue François Iᵉʳ. Pour repartir sur de nouvelles bases, elle a été entièrement rénovée, chauffage compris, par Bernard Dubois: c’est lui qui, l’année dernière, a donné un coup de jeune à la boutique historique pour permettre à Di Felice de lancer sa première collection dans une boutique raccord avec le nouvel esprit de la marque.
"L’idée était de concevoir un lieu comme il aurait pu l’être à l’époque: nous avons donc sélectionné des éléments du code historique de Courrèges. Le motif des étagères est un clin d’œil à une ancienne boutique. Et puis, il y a le blanc totalement Courrèges: un blanc clinique, inspiré par l’univers spatial et la modernité de l’époque. Par contre, les perspectives, les axes de vision et les aménagements architecturaux sont typiques de mon style."
Le Belge conseille de venir sur place: "Le meilleur n’est pas visible sur photo. Avec de la moquette au sol et les murs et les plafonds recouverts de velours, le son disparaît dans le néant, de sorte qu’on entre dans un cocon. L’ambiance est chaleureuse et douce. Elle rappelle l’atmosphère informelle des sixties et seventies, grande époque de Monsieur Courrèges. On a tout de suite envie de s’asseoir par terre."
"Age of love"
Cette douceur convient parfaitement au nouveau Courrèges signé Di Felice: "space age" en termes de vêtements, mais "age of love" en termes de philosophie. Avant de présenter ses véritables débuts, Di Felice a lancé une série de classiques actualisés qu’il a présentés sur de vrais couples de mannequins enlacés.
Au début de l’année 2021, Di Felice a fait inscrire "Courage" en gros caractères sur des publicités et des murs de Paris. Et la collection AH21 récemment présentée était intitulée "I can feel your heartbeat". "Inspirée par les jeunes qui vivent des moments très difficiles", expliquait le créateur dans Vogue.
Courrèges était un aimant à jeunes dans les années 60, un attrait que Di Felice veut lui rendre. Bonne idée: le Courrèges vintage a la cote sur les sites de seconde main. Occuper un segment de prix plus raisonnable fait aussi partie de cette nouvelle stratégie, ainsi qu’une nouvelle boutique dans le quartier le plus prisé de Paris qui ouvrira bientôt ses portes -à nouveau grâce à Bernard Dubois- dans le Marais.
Courrèges, 40 rue François-Ier et 40 rue Vieille du Temple à Paris.