De "Raving Rose" à "Santal Greenery", en passant par "Fleur du Mal", Dries Van Noten lance dix fragrances. "Certaines sont vraiment surprenantes, un ‘kick in the face’, et c’est ça qui me plaît", déclare le créateur belge.
"Au début des années 90, je me souviens avoir pris le métro à Paris: tout le wagon sentait ‘Angel’ de Thierry Mugler, raconte Dries Van Noten. "Aujourd’hui, cela n’arriverait plus: le parfum est moins un signe extérieur de richesse qu’une manière de souligner sa personnalité."
Voilà pourquoi le créateur belge ne lance pas un, mais dix parfums. "Dès le départ, nous avons abordé ces fragrances comme une collection. Nous avons commencé par l’inspiration et, ensuite, nous avons élaboré quelques concepts de combinaisons olfactives. Après de nombreux tours de sélection, nous sommes arrivés à ces dix fragrances. Parfois, j’ai même repris des parfums qui avaient été éliminés, comme ‘Cannabis Patchouli’, un parfum distinctif qui combine deux extrêmes: le vert frais de la sauge et le boisé du patchouli. Je suis heureux d’avoir tenu bon."
Pas de passe-partout
Ce n’est pas la première fois que Dries Van Noten (dont la marque est détenue par le groupe de mode espagnol Puig depuis 2018) s’implique dans la parfumerie: en 2013, il avait confié la création de sa première fragrance au parfumeur Frédéric Malle, qui avait élaboré un jus très doux, légèrement boisé. C’était un parfum léger, passe-partout, qui flotte autour de soi comme un pashmina et ne suscite pas d’avis tranché.
Cette fois par contre, le créateur opère différemment: au lieu d’un seul parfum, il en lance dix en même temps. Et pour l’occasion, il a donné carte blanche à dix nez différents, qui devaient tous se concentrer sur une seule et grande source d’inspiration: son jardin. "J’ai invité tous les nez chez moi, car je rêvais de pouvoir capturer les senteurs de mon jardin", sourit Van Noten.
Bien que cela se soit déroulé il y a plus de deux ans, Louise Turner, célèbre nez britannique qui travaille à Paris pour le développeur de parfums suisse Givaudan, s’en souvient comme si c’était hier. "Une expérience fantastique", témoigne-t-elle, rayonnante. "Dries et son compagnon ont rénové et entretenu leur maison et leur jardin de façon magistrale. J’y ai retrouvé ce sentiment éclectique de l’amour du vintage, de l’art et de l’innovation qui caractérise ses collections de mode. Son univers est cohérent. Bien que nous ayons visité le jardin en octobre et que tout n’était pas en pleine floraison, nous nous sommes délectés de toutes les fleurs et plantes que nous avons pu trouver. Dries a une connaissance encyclopédique de la botanique et c’est en véritable guide-jardinier qu’il nous a pilotés au fil des différentes senteurs", poursuit celle qui s’est sentie particulièrement inspirée par la rose.
"La rose est d’ailleurs une fleur emblématique pour lui: une partie de son domaine est aménagé en roseraie. Au début, travailler avec la rose me paraissait trop évident, mais c’est précisément pour cette raison que j’ai voulu le surprendre en créant une fragrance de rose." Pour Dries Van Noten, elle a ainsi créé "Raving Rose", pour lequel elle a utilisé de l’eau de rose recyclée qu’elle a tonifiée avec du poivre rose et noir, du patchouli et des extraits boisés. "C’est une rose inattendue", conclut-elle.
Carte blanche
On doit notamment à Louise Turner "Lazy Sunday Morning", le parfum de la maison de mode Maison Margiela. "À mes débuts, il y a trente ans déjà, ma famille en Grande-Bretagne croyait qu’un parfumeur était quelqu’un qui vendait des parfums! (rires) En fait, je me destinais à une carrière médicale et j’ai étudié la dentisterie. Lorsque j’ai réalisé que ce n’était pas une option pour moi et que je préférais me consacrer aux sciences de l’environnement, je suis allée postuler chez Givaudan afin de m’occuper utilement en attendant de pouvoir m’inscrire. Le travail des parfumeurs m’a passionné, je suis restée et le reste appartient à l’histoire."
Louise Turner n’a pas collaboré avec les neuf autres nez. "Nous pouvions faire chacun notre truc de notre côté. Il y a, par exemple, un autre parfum à la rose, le "Rosa Carnivora", développé par Daphné Bugey, mais ce n’est absolument pas un problème. Moins nous comparons et confrontons nos parfums, plus ils sont puissants."
L’inconvénient d’un tel éventail de fragrances aussi affirmées, mais divergentes, c’est que celle ou celui qui le porte ne déclenche pas l’effet "Are you wearing Dries Van Noten?", contrairement à des parfums marqués tels que le N°5 de Chanel ou L’Eau d’Issey. Et de surcroît, Turner ne peut qu’acquiescer à cette constatation. "Il y a dix ans, cette collection aurait été un projet de niche réservé aux véritables connaisseurs et aux amateurs de parfums originaux. Le fait qu’ils soient aujourd’hui proposés au grand public illustre une fois de plus à quel point l’univers de la parfumerie a changé en quelques années. Non seulement nous sommes prêts à accepter des fragrances plus originales, mais les parfumeurs ne se limitent plus à un seul parfum. Ce qui nous tente aujourd’hui peut être différent de ce qui nous tentera demain."
Un bébé tout propre
Et, quel nuage ont justement ces nouveaux parfums de Dries Van Noten? Premier constat: chaque parfum déborde d’énergie, de caractère et de personnalité. Comme le parfum est non seulement très personnel, mais aussi émotionnel et nostalgique, je ne peux m’empêcher de décrire mes découvertes. Par exemple, "Fleur du Mal" est un floral frais qui rappelle l’odeur d’un bébé tout propre. "C’est incontestablement un de mes préférés", déclare Van Noten. "Il est décliné d’une fleur, l’osmanthe blanche, qui a un parfum fantastique."
"Je combine souvent les extrêmes. Je voulais refléter ce choix dans mes parfums."Dries Van Noten
"Neon Garden" combine fleur d’iris et menthe: c’est un jus frais et très surprenant. "Dans mes collections, je combine souvent les extrêmes", explique Van Noten. "Je n’hésite pas à associer des rayures à un imprimé léopard ou des imprimés floraux à quelque chose de très graphique. Je voulais que ces mêmes contrastes se reflètent dans les parfums, et c’est une véritable réussite. Certains sont vraiment surprenants, comme un vrai 'kick in the face', et c’est ça qui me plaît. Ce sont dix fragrances parmi lesquelles tout un chacun peut choisir ce qui correspond le mieux à sa personnalité. Dans le monde de la mode, je n’ai jamais proposé une camisole de force à mes clients: je leur fournis des outils que l’on peut utiliser à sa guise. À cet égard, je trouve que le parfum est un beau complément."
Je les veux tous!
Autre tendance majeure que Turner constate dans l’univers olfactif, c’est que le concept de durabilité fait progressivement son chemin à tous les niveaux de l’industrie de la parfumerie. "Surtout en ce qui concerne le choix des matières premières - naturelles et fabriquées localement -, mais aussi des emballages - recyclables - et des parfums même, qui témoignent d’une relation de plus en plus étroite avec la ‘vraie’ nature."
Ainsi, la collection de Dries Van Noten, tient compte de l’écologie, à commencer par les flacons, facilement rechargeables. "Oh my god, the bottles!", s’exclame la Britannique quand nous abordons le sujet. En tant que parfumeuse, elle n’a pas voix au chapitre, mais confie volontiers son goût pour le packaging. "Chaque flacon en verre est composé de deux couleurs ou de deux motifs contrastés. Ce sont de superbes objets pour décorer une salle de bain. Je les veux tous!" (rires) En outre, ces flacons de parfum sont enveloppés dans un etuis DVN fait de chutes des tissus issus des collections précédentes.
Rouge à lèvres
Avec toute l’attention portée à ces dix parfums, on en oublierait presque que Dries Van Noten lance également en parallèle une ligne de maquillage. Après plus d’une centaine de défilés, l’art du maquillage n’a plus beaucoup de secrets pour le créateur qui traduit ce savoir-faire en une ligne de plus de trente nuances ou textures de rouge à lèvres. Comme les parfums, leur présentation, quatre étuis rechargeables dont un en cuir noir et orange ou un vert fluo et imprimé animalier, est du plus pur style Van Noten. Le détail sophistiqué? Le pinceau à lèvres est fourni à celles et ceux qui le souhaitent.
Enfin, toujours pour souligner le rituel du maquillage, le créateur belge propose des trousses de voyage, des peignes, des miroirs et des savons, tous dans le même style éclectique contemporain. Lors d’un brainstorming et au vu de ce qui s’est passé au cours de ces deux dernières années, il a été décidé qu’y ajouter un savon pouvait se révéler être une bonne idée.
À partir de 220 euros le flacon de 100 ml. Les parfums, accessoires et maquillages sont disponibles dans les boutiques Dries Van Noten et bientôt dans des grands magasins tels que Le Bon Marché et Selfridges. www.driesvannoten.com