L’imagination au rendez-vous dans ces quatre nouvelles collections croisière
D’une ambiance balnéaire décontractée à un coucher de soleil parfaitement orchestré en passant par d’élégantes ambiances ibériques: l’imagination était au rendez-vous lors de la présentation des nouvelles collections croisière de Chanel, Louis Vuitton, Dior et Max Mara.
par
Gerda Ackaert, Els Maes, Lisa Armstrong, Sasha Slater
“C’est tellement inspirant d’être ici”, m’avait confié Virginie Viard, la directrice artistique de Chanel, en arrivant sur la Côte d’Azur pour la collection croisière. “Tout semble si facile”, avait-elle ajouté. En coulisses, ce n’est pourtant pas si facile d’organiser un défilé sur le sable du Monte-Carlo Beach et de préparer une collection de 67 passages, entre joyeuses robes fleuries en soie, intrépides jumpsuits en tweed et sacs à main en forme de mini-casque de moto. Cet événement a accueilli plusieurs centaines d’invités, dont Kristen Stewart, Tilda Swinton et Vanessa Paradis, dans une atmosphère de charme naturel, d’esprit ludique et d’insouciance. Exactement ce à quoi le monde aspirait.
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La villa de Karl Lagerfeld
Il fut un temps où la collection croisière de Chanel était présentée dans des endroits fabuleux, à La Havane, Séoul ou Dubaï. Tout devait être grandiose et impressionnant. Cette année, Chanel a rebattu les cartes et nous a conviés dans un lieu qui devait avant tout évoquer la nostalgie, ce qui est rare dans l’univers de la mode.
Sous les palmiers de la plage privée du Monte-Carlo Beach, installés dans des transats en demi-cercle pour que chacun – des têtes couronnées à la journaliste de Sabato – ait une place au premier rang, avec vue sur la Méditerranée. Si Virginie Viard a choisi cet endroit, c’est parce que son prédécesseur, Karl Lagerfeld, avec lequel elle a travaillé en étroite collaboration pendant plus de trente ans chez Chanel, en était tombé amoureux. Il passait ses étés à La Vigie, sa résidence immaculée construite en 1902 sur les hauteurs de Roquebrune-Cap-Martin, avec vue sur Monaco.
C’est d’ailleurs dans cette villa qu’a eu lieu l’after-party. Son hôtesse, Charlotte Casiraghi, ambassadrice de Chanel, s’est adressée avec émotion aux invités pour évoquer ses souvenirs liés à La Vigie. “J’avais six ou sept ans lorsque je suis venue ici avec mes frères, après une journée à la plage. Une prise de vues était en cours sur la terrasse: ma mère (la princesse Caroline de Monaco, N.D.L.R.) portait une robe bleu nuit brodée d’étoiles en paillettes et Karl la photographiait. Je me souviens avoir été sous le charme de sa beauté, de la magie et de la joie qui flottaient dans l’air.”
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La réalisatrice Sofia Coppola, qui a filmé le trailer de la collection, a souligné qu’il s’agissait plus d’une réunion de famille intime que d’un événement formel: “C’est tellement émouvant d’être ici, tous ensemble, dans cette maison que Karl adorait.” (Els Maes)
La collection croisière de Chanel
2 | Louis Vuitton
Pour une fois, le show ne commence pas en retard. Le départ est chronométré à la minute près pour coïncider avec l’heure à laquelle le soleil touche l’horizon à San Diego, aux États-Unis. Il est 19h10. L’océan Pacifique devient bleu azur, le ciel californien s’embrase. Les lumières s’allument et Lous and the Yakuza – oui, la chanteuse-compositrice belge! – ouvre le show de la collection croisière de Louis Vuitton.
“L’invité d’honneur, c’est le soleil!”, lance Nicolas Ghesquière, directeur artistique chez Louis Vuitton. Il a découvert cet endroit grâce à son mari, qui a grandi ici. Plus tard, il devient évident que la lumière de San Diego n’est pas la seule invitée d’honneur. En effet, la veille, le trajet de l’aéroport au centre-ville a révélé son côté militaire: c’est à San Diego qu’est basée la Marine américaine sur la côte ouest, avec son armada de porte-avions et de destroyers en cale sèche doublée d’un ballet d’hélicoptères survolant constamment la ville. C’est ici, à l’ombre des cuirassés, que le prix que l’Amérique est prête à payer pour son industrie militaire est tangible. Ce matériel de combat déborde sur le catwalk: le défilé Louis Vuitton regorge de looks postapocalyptiques et presque militaires, avec ici et là une touche Art déco. Les silhouettes semblent à la fois futuristes et d’un temps révolu.
Nomades du futur
Les premières robes argentées présentées, très structurées, taillées dans un épais jacquard aux effets métalliques, paraissent tout droit sorties d’un château médiéval. Suivent des mannequins portant des bombers courts, des boléros XXL, ainsi que du lin et de la laine aux tons de terre combinés à une sorte d’armure de cyborg en argent, or et cuivre. Il s’agit sans nul doute de la collection croisière la plus audacieuse de Ghesquière à ce jour.
Certains décrivent ses modèles comme des voyageuses de l’espace et des amazones. D’autres y voient plutôt une ode aux héroïnes grecques. Quant à Ghesquière, il les qualifie de “nomades du futur”. Des vagabondes à l’allure redoutable, prêtes à en découdre. Des guerrières aux jambes protégées par des jambières en métal. Les mannequins défilent sans recourir à l’habituelle amplification du croisement de pas, une démarche chaloupée typique des défilés, mais à grandes enjambées intrépides, accentuées par un regard noir.
Le directeur artistique n’avait pas à l’esprit la paisible ambiance de Noël et pourtant, les chaussures, sacs, lunettes de soleil et ceintures partiront comme des petits pains. Les sneakers argentés rayés, les sacs à main noirs monogrammés et les lunettes de soleil trouveront certainement leur place dans plus d’une cabine de yacht cet hiver.
Recherche médicale
La collection a été conçue avec une précision toute aussi militaire: une imagination extrême couplée à une grande expertise technique et à un marketing bien étudié. Et pour ce dernier point, le lieu du show et la liste des invités sont au moins aussi importants que le défilé. Aujourd’hui, les mannequins défilent devant des journalistes de mode du monde entier, des clients VIP et des célébrités de la “A list” de la maison de couture française, comme l’actrice Phoebe Dynevor (La Chronique des Bridgerton), le mannequin Miranda Kerr et la Bond-girl Léa Seydoux.
La barre a également été placée très haut pour trouver un lieu approprié pour le défilé croisière. Depuis que Ghesquière a rejoint Louis Vuitton en 2015, il choisit avec la plus grande attention les lieux où présenter sa collection croisière, avec une préférence pour les lieux à grande valeur architecturale. Ont déjà été choisis: le musée Niteroi au Brésil, un ovni conçu par Oscar Niemeyer, le musée Miho à Kyoto et le TWA Flight Center de l’aéroport JFK à New York.
Aujourd’hui, Louis Vuitton a choisi le Salk Institute for Biological Studies, un chef-d’œuvre brutaliste conçu par Louis Kahn, où le béton omniprésent tolère juste un peu de bois et de verre ici et là. Kahn, un des architectes américains les plus célèbres du XXe siècle, a notamment signé des bâtiments brutalistes et monolithiques. Ici, une fine bande d’eau traverse l’esplanade qui sépare elle-même les deux rangées de bâtiments en béton.
Le Salk Institute, qui porte le nom de Jonas Salk, le chercheur américain qui a mis au point le premier vaccin contre la polio, abrite toujours des laboratoires qui mènent des recherches sur le cancer, la maladie d’Alzheimer et la maladie de Parkinson. Le campus n’est normalement pas ouvert au public.
Pour Ghesquière, c’était l’endroit idéal pour le premier défilé croisière post-pandémie hors de Paris, car “le bâtiment représente l’intelligence, la connaissance et la foi dans le pouvoir de la science. Il évoque un paysage onirique postapocalyptique, qui m’a rappelé la série de science-fiction ‘Dune’, qui s’est invitée dans la collection.” (Gerda Ackaert)
La collection croisière de Louis Vuitton
3 | Dior
Les Espagnols savent comment s’habiller quand il fait très chaud. De plus, il y a une forme de lenteur et d’élégance dans leurs manières et toute leur attitude est juste. Dans le sud, on prend le temps de vivre et on combine look décontracté et formel. Ce sont ces qualités qui ont motivé Maria Grazia Chiuri, née à Rome et directrice artistique de Dior, à organiser la présentation de la collection croisière de la maison de couture à Séville. L’événement s’est déroulé de nuit, sur la superbe place d’Espagne, décorée de guirlandes de roses pour l’occasion. Quarante artistes de flamenco en robe rouge feu ont dansé sur de la musique d’Alberto Iglesias, le compositeur de Pedro Almodóvar depuis les années 90. Une véritable ode à l’Espagne.
La dix-huitième duchesse d’Albe, décédée en 2014, portait plus de titres que n’importe quelle autre aristocrate au monde. À l’instar des femmes d’Almodóvar et de Carmen Amaya, cette star iconique du flamenco du siècle dernier préférait les vêtements d’homme aux robes et arborait un style particulier mi-classique, mi-loufoque.
Quels sont les éléments de base de cette garde-robe espagnole? Une robe blanche en dentelle; un gilet, porté sur une chemise ou seul; un top ou une robe aux épaules dénudées (les épaules nues et bronzées sont à l’Espagnole ce que le décolleté est à l’Américaine); un léger chapeau en paille, inspiré de l’équipement équestre espagnol (celui de Dior a été conçu par Stephen Jones); une chemise en soie à volants ou à pois à porter sur un pantalon taille haute; un soulier à petit talon bloc, des petites capes, des gilets aux détails métalliques et des foulards en dentelle de Chantilly; un ou deux tops ou robes d’un rouge éclatant; beaucoup de beaux monochromes en soie, lin et coton de qualité, qui paraissent encore plus chatoyants et vifs lorsqu’il fait chaud.
Il n’y a pas de défilé Dior sans vestes, mais cette fois, elles sont courtes et semblent sortir tout droit de la garde-robe des matadors et des cavaliers: est-ce à cause de la chaleur ou parce qu’elles sont de nouveau à la mode? Ou parce qu’elles offrent plus de liberté de mouvement selon Chiuri?
Comme toujours, la directrice artistique de Dior noue une intense collaboration avec les artisans locaux. Elle a ainsi fait appel au savoir-faire des artisans d’une fabrique d’éventails à Valence pour transformer la dentelle de Chantilly en éventail. Les broderies dorées ornant les sacs ont été réalisées dans les ateliers qui fabriquent également des objets pour les cérémonies religieuses. On oublie trop souvent que, pendant des siècles, l’Église catholique a été un mécène de l’artisanat espagnol. (Lisa Armstrong)
La collection croisière de Dior
4 | Max Mara
Pour le défilé croisière de Max Mara à Lisbonne, le directeur artistique Ian Griffiths s’était mis en quête d’une muse. “J’avais besoin d’une héroïne autour de laquelle construire une histoire”, a-t-il expliqué. Il s’est ainsi inspiré de la révolutionnaire portugaise Natália Correia (1923-1993), poétesse érotique et mystique, politicienne et propriétaire de bar. Selon le designer, elle avait “une vision particulière du féminisme érotiquement libéral”. Son allure à la Sophia Loren avait suffisamment de personnalité pour inspirer un défilé de mode où les jupes crayons moulantes et les décolletés profonds remettent la femme fatale en orbite.
La collection, présentée dans les jardins minimalistes de la Fondation Calouste Gulbenkian, combinait l’atmosphère fougueuse des années 50 avec le romantisme des longues robes plissées en taffetas dans des tons tabac, safran et sauge. Ces dernières étaient inspirées de l’émotion du fado, le style musical portugais fait de chants passionnés d’une tristesse infinie.
En général, quand une grande maison de la planète mode prend ses quartiers dans une ville pour y présenter un défilé croisière, elle investit l’ensemble de la cité, ce qui ne fait pas toujours son bonheur. Ce n’est pas le cas de Max Mara, dont la discrétion n’a d’égale que le chic. À Lisbonne, elle l’a joué plutôt Claire Danes (qui a assisté au défilé) que Kim Kardashian.
Les longs manteaux amples en cachemire camel font partie de l’uniforme de la business woman, ce qui ne met pas en valeur sa facette sexy. Griffiths reconnaît que Max Mara a tendance à dissimuler le côté voluptueux et sensuel de la femme contrairement à lui, un bon vivant dont le passé de clubber invétéré au plus fort de la folie de l’Haçienda de Manchester est connu de tous. Habituellement, les codes raffinés du design de Max Mara l’emportent sur l’exubérance de Griffiths, mais pas cette fois-ci. “Je voulais beaucoup de robes pour les soirées afin d’égayer cette longue période entre Noël et le printemps. Et les voilà!”
Max Mara s’adresse principalement aux femmes mûres et, comme Griffiths est féministe, ses looks se caractérisent par leur élégance et leur émancipation. “Vous ne devez pas passer des semaines à chercher avec quels sous-vêtements les porter ni vous inquiéter d’être trop mince, trop grosse, trop ronde, trop ridée ou trop lisse.”
La collection est riche, sexy et belle. Autre caractéristique de la femme Max Mara: elle ne veut jamais être overdressed. “Elle préfère un wow silencieux et subtil”, résume Griffiths. (Sasha Slater)