L'univers des collectionneurs est fait de rêves, de possessions et (parfois) d'obsessions. Cette semaine: la collection de mode belge de l'homme d'affaires Matteo La Rosa.
"Mes placards, c'est un peu comme mon magasin de bonbons. Je les parcours chaque jour avec gourmandise. Je regarde aussi de vieilles photos et je me demande si j'ai encore ces fringues et pourquoi je ne les ai pas portées depuis si longtemps." Matteo La Rosa nous montre sa toute première pièce, achetée en 2013, un blazer noir de Dirk Bikkembergs. Sa collection proprement dite n'a commencé qu'en 2018 et, aujourd'hui, l'entrepreneur a plus de 200 blazers, manteaux, pantalons, chemises, chaussures et accessoires, principalement des années 90 et du début des années 2000, de créateurs comme Martin Margiela, Ann Demeulemeester, Dries Van Noten, Raf Simons, Dirk Bikkembergs et Tim Van Steenbergen.
"J'en avais beaucoup plus, mais j'ai limité ma collection à ce que je portais. Mon compagnon et moi avons déménagé à quatre reprises. À Genk, nous avions un hangar de 150 mètres carrés que je voulais transformer en showroom. Quand nous avons décidé de vendre la maison, j'ai été confronté à un problème: emballées dans des cartons, de nombreuses pièces commençaient à se détériorer. J'ai donc préféré qu'elles retrouvent une nouvelle vie chez d'autres passionnés. L'année dernière, rien que sur Vinted, j'en ai vendu pour 6.000 euros. Une grande partie de ce qui me reste est dans des cartons à Anvers ou chez ma mère, à Genk."
Matteo La Rosa (26 ans)
- A suivi des études artistiques et une année d'architecture d'intérieur.
- En 2019, il fonde sa propre marque et crée des vêtements sans tenir compte des contraintes saisonnières.
- Il occupe le poste de directeur commercial chez Skondras Group, une entreprise spécialisée dans les ventes pour les secteurs de l'IT, de la pharmacie et de l'automobile.
- Il conseille des entreprises de mode principalement belges pour développer leur vision créative et rentabiliser leurs labels.
"Je n'ai jamais eu l'intention de faire une collection. J'étais fasciné par la mode, j'achetais des choses pour les porter et voilà comment j'ai accumulé autant de pièces. C'est une obsession qui coûte cher, mais elle se fonde sur une réelle connaissance de la mode belge."
"À un moment donné, j'ai eu 150 blazers noirs. Avec l'âge, je réalise que je n'ai pas besoin de tout ça. Quatre blazers noirs impeccables signés Ann Demeulemeester me suffisent. Désormais, je me consacre davantage aux pièces intemporelles, car je déteste la fast fashion. Ma collection précédente était plus ludique en termes de formes et de couleurs: celle-ci en est la version épurée. J'ai commandé cinq nouvelles pièces au label Nadav Perlman. Il se pourrait que ma collection nécessite à nouveau un hangar. Je connais des gens qui possèdent un millier de pièces et peut-être que j'en arriverai là un jour, mais ce n'est pas mon objectif. Ou alors, je vendrai tout et je tournerai la page pour réaliser mon rêve: un château rempli d'antiquités."
Dans son appartement, une cinquantaine de pièces sont exposées. "C'est très personnel. Ce sont mes essentiels, des pièces iconiques dont je ne peux pas me séparer, comme ce gilet brodé de Dries Van Noten qui ne sortira jamais de ma collection."
"Mon look a été influencé par ma mère, fan de musique new wave. Mes parents avaient tous les deux une manière unique de s'habiller et de se comporter, ce qui suscitait parfois des réactions étranges. Ma mère portait du Kyuso, une marque fondée par les Limbourgeois Egidio Fauzia et Joke Houbrechts. C'était le top du top, mais ils ont fait faillite." Il nous montre un col roulé noir de cette époque. "Très simple: j'adore! J'ai traversé une phase d'essais en tous genres, avant de me choisir mon style, plus évident. Comme je voyage beaucoup et que je n'ai pas le temps de penser à mes tenues, je porte toujours du noir. Ou un blazer gris, comme ce modèle oversized de Raf Simons."
Matteo La Rosa possède six paires de Tabi, les chaussures d'inspiration japonaise qui sont la signature de Martin Margiela. "J'ai une relation d'amour-haine avec elles. J'avais dix ans quand j'ai vu ces chaussures pour la première fois et elles m'ont marquées. J'ai acheté ma première paire en 2015. À l'exception des vrais passionnés de mode, presque personne ne les portait. Aujourd'hui, elles sont si convoitées que je n'ai plus envie de les porter, même si j'y suis resté attaché, comme à leur créateur, le génial Martin Margiela, lui aussi originaire de Genk. À l'époque où il dessinait encore lui-même, sa marque était réservée aux connaisseurs. Il y a deux pièces que je convoite absolument: les moufles Tabi en cuir et les chaussures Tabi blanches peintes à la main. Aujourd'hui, on les trouve dans des musées."
"Ma pièce préférée est un blazer en laine noire d'Ann Demeulemeester de 2008. Il est très basique, mais son design et sa coupe sont superbes, à la fois chic et décontractés. Je n'ai pas de budget. Si quelque chose me plaît, je l'achète. Il m'arrive d'aller à des stocks sales sans intention d'achat et de repartir avec une pièce à 2.000 euros. Beaucoup de vendeurs surestiment leur marchandise, mais je sais acheter. Je vais souvent farfouiller chez Labels Inc. ou Rosier 41, deux excellentes adresses à Anvers. J'ai repéré cette veste en cuir de Dirk Bikkembergs lors d'un défilé et, après l'avoir cherchée partout, je l'ai finalement chinée sur eBay."
Regrette-t-il d'avoir vendu certaines pièces? "J'ai vendu un lot d'une vingtaine de pièces d'Ann Demeulemeester à une boutique en Italie. Sans trop réfléchir, j'y avais inclus trois magnifiques blazers en laine, dont un à rayures. Je n'aurais pas dû: je ne les ai jamais retrouvés. Dans ce lot il y avait aussi une pièce en maille de ses premières années, qui aurait eu sa place dans un musée."
"J'ai fait une autre bêtise", ajoute-t-il. "Lors de notre déménagement, j'avais préparé des sacs de vêtements vintage sans marque, destinés à être jetés. Par accident, un carton qui devait absolument nous suivre a été jeté, lui aussi. Il contenait une cinquantaine de pièces de designers belges de grande valeur. Elles étaient parties, envolées. Comment est-ce que je gère ça? En rachetant, bien sûr! Non, je plaisante: je relativise. La mode est ma passion et ma vie, mais finalement, ce n'est qu'un morceau de tissu. Prendre conscience de cela, c'est aussi une question de maturité."