Ses mini-jupes ont apporté la liberté de mouvement aux femmes, mais Mary Quant a fait bien plus que cela, ainsi qu'en témoigne la rétrospective qui lui est consacrée à Londres.
"Peu de personnes naissent au bon moment, au bon endroit et avec le bon talent." Voilà ce qu'affirmait Ernestine Carter, influente journaliste de mode anglaise en 1973. "Dans la mode, nous avons eu trois fois le cas: Chanel, Dior et Mary Quant."
Le Victoria & Albert Museum à Londres présente depuis quelques jours une rétrospective d'envergure consacrée à la créatrice britannique avec pléthore de vêtements, photographies et souvenirs. "Il était temps!", soupire Stephanie Wood, co-curatrice. En effet: Mary Quant, 89 ans et 'Lady of the British Empire' depuis 2015, a fait bien plus que raccourcir les jupes.
La naissance d'un mythe Mary Quant occupe une place à part dans la mémoire collective fashion: c'est elle qui a inventé la mini-jupe au début des années 60 -elle lui a donné ce nom en référence à sa voiture préférée, la Mini Cooper. Pour elle, cette jupe traduisait l'air du temps. "Elle symbolisait l'assurance croissante des jeunes femmes à une époque où elles rompaient avec les règles et restrictions de l'immédiat après-guerre."
Fini, les robes serrées et autres corsets portés par leur mère. "Les jeunes voulaient de la liberté et du plaisir!" poursuit-elle, secouant sa coupe Vidal Sassoon. "Que ce soit pour courir, pour sauter dans le bus ou pour danser dans un club en sortant du travail, les jupes plus courtes leur permettaient de bouger plus facilement." Il faut bien reconnaître que dans une jupe crayon, il est impossible de danser sur 'I can't get no satisfaction'!
Pourtant, pour les parents de la jeune Mary, "fashion has no future. Le couple, installé au Pays de Galles, préfère que leur fille, obsédée par la mode, étudie l'art et embrasse la profession d'enseignante. En guise de compromis, elle opte pour un cours d'illustration au Goldsmiths College de Londres, suivi d'une formation pour devenir professeur d'art. Si elle n'y décroche pas ce dernier diplôme (pour saboter les plans de ses parents?), elle y rencontre son futur mari, Alexander Plunket Greene, un héritier avec qui elle va écrire l'histoire.
Sacré triumvirat
En 1955, toujours passionnée de mode, la jeune femme a 25 ans quand elle ouvre la boutique de mode Bazaar sur King's Road grâce au soutien financier d'Archie McNair, un ami du couple. Mary est chargée des achats. Alexander assure l'organisation et le marketing. Archie est responsable de l'aspect juridique: une Sainte Trinité fashion!
Dès l'ouverture de la boutique, les critiques sont élogieuses. Elle est complimentée pour le 'pantalon de pyjama à franges' qu'elle porte (sa propre création, inspirée des sous-vêtements victoriens), ce qui lui donne l'idée de se lancer en tant que créatrice.
Les amis et les connaissances de leur bande, 'The Chelsea Set', adorent le vent nouveau qu'elle fait souffler: cols Claudine ludiques, robes courtes et collants colorés. "Je voulais des vêtements décontractés pour la vie de tous les jours", explique Mary Quant, qui remplace les tissus de luxe par du coton et du tweed. Elle s'inspire du monde des danseurs, des 'mods' et des 'beatniks', et de leur prédilection pour le sportwear. Elle est la seule designer à appartenir au même groupe social que sa clientèle, à s'habiller comme elles et à s'en inspirer et c'est un renversement de situation.
Cette nouvelle façon de créer -l'inspiration vient de la rue et plus des salons- est révolutionnaire. Diana Vreeland (célèbre rédactrice en chef de Vogue US) décrit ce phénomènecomme un 'Youth Quake' en 1965. Dont Quant et ses amis de Chelsea sont le fer de lance.
Talk of the town
Les bénéfices sont réinvestis dès le lendemain de chacune des ventes: Quant achète des tissus (trop chers) au grand magasin Harrod's ("Je ne pouvais pas savoir qu'il y avait des grossistes") pour créer sans plus attendre quelque chose de nouveau. Avec ses créations rafraîchissantes et ses portants qui changent tout le temps, Quant devient 'the talk of the town' et, très vite, sa clientèle ne se limite plus à son cercle d'amis et de connaissances.
À partir de la fin des années 50, tout s'accélère. En 1957, Quant et Plunket Greene ouvrent avec McNair un deuxième Bazaar sur Brompton Road. Celui-ci se distingue par sa grande vitrine, dans laquelle les mannequins semblent se trouver dans une galerie plutôt que dans une boutique. Mary Quant voit juste, tout comme son ami Terence Conran, qui décore la boutique: en 1964, il ouvre Habitat, l'enseigne qui, aujourd'hui encore, donne le ton en matière de design démocratique et moderne.
Grace Coddington
Afin d'élargir sa clientèle autant que possible, Quant veut réduire les prix car son but dans la mode est de "faire des vêtements trendy pour tous". En 1962, elle s'associe avec le géant américaine de la distribution JCPenney, ce qui lui permet d'être présente dans les grands mégastores sur tout le territoire américain.
La créatrice Mary Quant faisait partie du même groupe d'âge que sa clientèle, s'habillait comme elle et s'en inspirait.
Un an plus tard suit une deuxième ligne, moins coûteuse, 'Ginger', qu'elle vend dans des boutiques jusqu'en Australie. Elle est présentée par les top modèles de l'époque comme Grace Coddington et, bien sûr, Twiggy. Et pour ceux qui trouvent cette petite ligne encore trop chère, Quant propose des patrons de couture permettant de confectionner sa propre tenue. Car, oui, à l'époque non seulement les jeunes filles savent coudre, mais il y a encore beaucoup de couturières qui recopient les modèles en vogue. Viennent ensuite les chaussures, les sous-vêtements et les accessoires. Et, dans l'ambiance futuromania de l'époque, Quant est la première à utiliser du PVC et à fabriquer des cirés et accessoires 'wet look'.
On estime qu'à la fin des années 60, sept millions de femmes possèdent au moins quelque chose signé Mary Quant. Car à tout ce qui touche à la mode, vient s'ajouter une ligne de maquillage très pop et, dans les années septante, elle propose aussi du mobilier, du tissus d'ameublement et des couettes de lit: "Je n'ai jamais prétendu avoir inventé la mini-jupe. Par contre, la couette, c'est moi!"
À propos de lit... Dans une interview accordée au Guardian en 1967, non seulement elle plaide en faveur d'une pornographie esthétique, mais elle admet volontiers que, malgré les collants, ses vêtements courts attirent l'attention sur l'entrejambe: "Non pas pour dire "Viens ici", mais pour provoquer. Le message est "Je suis très sexy, j'aime le sexe et je suis provocante, mais tu devras mettre le paquet pour pouvoir être avec moi". Maintenant, c'est la femme qui décide."
Angleterre versus France
Au bout du compte, c'est le maquillage qui lui rapportera le plus. Sa popularité, tellement liée au style des années soixante, pâlira avec l'évolution de la mode, mais elle continuera à produire des cosmétiques. Elle restera dans les annales comme celle qui a inventé la mini-jupe - bien que son invention soit également attribuée au créateur français space age André Courrèges. C'est l'éternel débat: Angleterre versus France, street style versus couture...
En 2000, le label Quant est racheté pour un montant inconnu par une société japonaise: il y a au Japon plus de 200 boutiques Mary Quant qui vendent principalement du maquillage et des versions 'kawaii' et pastel de ce style autrefois iconique.
Depuis, le calme est revenu. Du moins jusqu'à présent, car le V&A Museum semble ne pas être le seul à avoir compris qu'il est temps d'accorder à la créatrice la place qu'elle mérite dans l'histoire. Deux autres expositions lui sont également consacrées. 'Swinging Sixties: A lifestyle revolution' présente l'influence de la créatrice et de son ami Terence Conran sur le mode de vie sixties.
Plus près de chez nous, le Modemuseum de Hasselt accorde à la créatrice un rôle important dans 'Wonder Women', une exposition sur les femmes puissantes dans l'histoire de la mode dont l'ouverture est prévue ce samedi.
'Mary Quant', jusqu'au 16 février 2020 au V&A Museum de Londres.
'Swinging London: a lifestyle revolution.'Terence Conran - Mary Quant,' jusqu'au 2 juin au Fashion and Textile Museum à Londres.
'Wonder Women,' du 13 avril au 16 septembre au Modemuseum à Hasselt.