Le milliardaire japonais, collectionneur d'art et ex-musicien de rock Yusaku Maezawa s'y engage: son Zozosuit, une combinaison recouverte de capteurs, changera radicalement notre façon d'acheter des vêtements. "L'ère des tailles small, medium, large et XL est révolue. Définitivement."
Il a quarante-deux ans, mais on lui en donnerait trente. Il occupe la 18ème place du classement des plus grandes fortunes du Japon -juste pour préciser à quel point il est riche. L'année passée, il a fait la une des journaux du monde entier en achetant un tableau de Jean-Michel Basquiat pour 110,5 millions de dollars lors d'une vente aux enchères organisée par la maison Sotheby's. Une somme astronomique, d'autant plus que l'oeuvre (un visage à la bouche ouverte rappelant un crâne) avait été estimée à environ... 60 millions de dollars. Mais Yusaku Maezawa voulait le Basquiat. Il a, par la même occasion, battu un nouveau record mondial: auparavant, les enchères avaient atteint le palier des 105 millions de dollars pour un Warhol.
Le Japonais a été batteur dans un groupe de rock. Lors d'une première rencontre, l'été dernier, à Tokyo, il déambulait pieds nus dans son duplex hors de prix parmi des oeuvres de Picasso, Giacometti, De Kooning et Calder. Il nous avait annoncé qu'il partait le lendemain en jet privé pour la côte d'Azur, où il était invité à une fête donnée par son ami Leonardo DiCaprio. Aujourd'hui, il est en mode travail et a planifié notre rendez-vous dans son bureau, un bel espace dans le quartier trendy d'Aoyama. L'endroit est rempli de chaises suspendues et de plantes, les salles de réunion rondes et transparentes ressemblent à des bulles.
300 capteurs
Maezawa possède des bureaux à Los Angeles et à Berlin. Après sa carrière de musicien, il a créé Zozotown, le plus grand site de d'e-commerce de mode du Japon. À la fin de l'année dernière, il a lancé avec son entreprise un outil qui, selon ses propres dires, bouleversera notre façon d'acheter des vêtements: le Zozosuit, une combinaison moulante noire et brillante, recouverte de 300 gros points blancs. Ces derniers sont des capteurs high-tech qui, connectés à l'app correspondante sur un smartphone, mesurent le corps sous toutes ses coutures. Ainsi, au lieu de se rendre dans une boutique, il suffit d'enfiler son Zozosuit, de lancer l'application et puis, de faire un tour de 360 degrés dans le champ de vision de son smartphone. Celui-ci prend 12 photos pour cartographier 24 zones de son corps. Les mensurations ainsi enregistrées peuvent être utilisées pour acheter des jeans, des T-shirts, des costumes et tout autres type de vêtements, directement sur l'app. Et le tout, parfaitement sur mesure.
Au cours des dix premières heures qui ont suivi le lancement du Zozosuit au Japon, en novembre 2017, la combinaison a été commandée 230.000 fois. Depuis, plus d'un million de Zozosuits ont été livrés. D'ici mars 2019, on devrait atteindre les 10 millions. La combinaison sera lancée dans 73 pays et régions à travers le monde dans les mois à venir, y compris sur de gigantesques marchés tels que l'Inde, la Chine, les États-Unis et le Brésil. Plus près de chez nous, la collection Zozo sera disponible au Royaume-Uni.
Si l'outil et l'app sont un succès, les conséquences pour l'industrie du vêtement seront radicales. Depuis des décennies, les vêtements sont divisés en tailles strictement définies, de 'extra small' à 'extra extra large'. Pourtant, une fois dans la cabine d'essayage, de nombreux clients constatent que les vêtements de prêt-à-porter qu'ils essayent ne correspondent pas vraiment 'à leur taille'. Les vêtements fabriqués numériquement sur mesure résoudront ce problème une bonne fois pour toutes.
Encore mieux: le Zozosuit a également des avantages pour les fabricants et les boutiques (en ligne): frais de retour moins élevés, espace de stockage réduit et enfin, réduction des déchets.
Vraiment ému
Au Japon, la collection Zozo décline huit modèles pour homme et six pour femme, des pièces basiques particulièrement abordables qui font penser à Uniqlo, comme des T-shirts (à partir de 9 euros) et des jeans (à partir de 29 euros), mais aussi des costumes. En Europe, dans un premier temps, la collection proposera six pièces, tant pour homme que pour femme.
L'entrepreneur japonais porte aujourd'hui un T-shirt gris et un jeans bleu de sa boutique Zozo. "Dans ma garde-robe, j'ai tous les articles de la collection, dans toutes les couleurs. En fait, je ne veux rien porter d'autre, car tous les vêtements Zozo sont ajustés à ma taille au millimètre près." Il ajoute ensuite: "Comparé aux tailles standard, je suis petit. Il m'est donc difficile de trouver des vêtements parfaitement adaptés. Cela m'a agacé pendant des années, même si j'essayais de me consoler en me disant que je n'étais pas le seul à avoir ce problème." C'est dire s'il a éprouvé un sentiment particulier lorsqu'il a enfilé un Zozosuit pour la première fois. "Sans exagération, j'étais vraiment ému! Et quand j'ai mis mon jeans pour la première fois, j'ai été profondément impressionné."
Son entreprise a pour devise "Améliorer le monde, faire sourire les gens". Sa propre ambition est plus spécifique: Maezawa voudrait que les gens à la recherche de vêtements puissent réaliser leurs achats en ligne de manière radicalement différente. En fait, il souhaite déclencher une révolution et hisser son entreprise dans le top 10 des plus grandes maisons de mode du monde. "J'espère atteindre autant de personnes qu'il y a d'êtres humains sur terre. Je veux qu'il soit aussi facile d'acheter des vêtements en ligne que de choisir un fournisseur d'eau ou de gaz en ligne."
Zozo selfie
Aujourd'hui, la collection Zozo est en grande partie 'made in China', avec des techniques de patronage automatisées, basées sur des milliers de gabarits pour couvrir les différentes morphologies. Cependant, l'ambitieux entrepreneur prévoit d'ouvrir de plus petites unités de production aux quatre coins du monde. Le coût d'un Zozosuit revient à 8 euros, mais il est envoyé gratuitement.
Voilà un business model qui peut sembler étrange, mais Maezawa mise sur un volume de ventes maximal pour réaliser des bénéfices. À partir de 2020, l'entreprise prévoit un chiffre d'affaires de 1,5 milliard d'euros, dont 40 % en dehors du Japon.
Pourtant, les jours suivant le lancement du Zozosuit ont été agités. La presse japonaise parlait de retards de livraison, et la première version du Zozosuit a très vite été remplacée par un update -qui est toujours la version d'auhjourd'hui. Entre-temps, la perception a complètement changé: il suffit de se balader sur Instagram pour trouver une avalanche de selfies de Japonais portant un Zozosuit. Certains en ont même passé un à leur chien. On trouve des photos de personnes en Zozosuit au bureau, buvant une tasse de thé ou pratiquant le yoga. Détail non des moindres, un Zozosuit peut être lavé en machine.
Et puis il y a aussi Isoppmen, un ex-champion de break dance qui a publié une série de vidéos, dont une d'un groupe de danseurs exécutant des sauts exubérants à la manière d'un boys band. Tous arborent la fameuse combinaison.
Le Japon a toujours été un précurseur de tendances. La question n'est donc plus si les Zozosuits vont envahir l'Europe ou non, mais plutôt quand. Ici aussi, il n'est pas toujours facile de trouver la bonne taille. "Le manque d'uniformité dans les tailles des vêtements n'est pas nouveau", pointe Tamara Sender, analyste de mode. "Même aujourd'hui, beaucoup de gens sont confrontés à ce problème. Les femmes se mettent à acheter beaucoup plus en ligne, si bien que les problèmes de taille deviennent de plus en plus épineux, bien plus que à l'époque où elles pouvaient faire des essais en cabine."
Selon une étude récente, plus de 45% des femmes ont du mal à trouver la taille qui leur convient parfaitement. D'après Sender, pas moins de 61 % des femmes âgées de 16 à 34 ans qui achètent en ligne renvoient leurs vêtements parce qu'ils ne leur vont pas. "Dans la mode, la concurrence se fait de plus en plus rude. Les marques qui trouveront une solution à ce problème de la taille en magasin et en ligne auront une longueur d'avance."
Alors, il vous va?
Plus d'un million de Zozosuits ont déjà été livrés. D'ici mars 2019, ce chiffre devrait atteindre 10 millions.
Avec son Zozosuit, Maezawa l'a déjà, cette longueur d'avance. Nous avons donc fait le test. C'est vrai que, à première vue, la combinaison à pois rendra sceptiques les personnes qui n'aiment pas les vêtements moulants ou qui n'ont pas envie de ressembler à une danseuse, mais dès que l'on ouvre le colis (suffisamment petit pour tenir dans la boîte aux lettres) et que l'on enfile le Zozosuit, on constate que la combinaison est extrêmement douce et légère.
Elle s'enfile d'ailleurs en un clin d'oeil. Il ne reste plus qu'à placer son smartphone sur le support en carton fourni à cet effet. Dès que les capteurs se mettent en marche, on est guidé par une voix qui demande de tourner un peu plus vers la gauche ou vers la droite. Et en moins de temps qu'il n'en faut pour le dire, les mensurations apparaissent à l'écran, ce qui permet de savoir, par exemple, que la circonférence de son cou est légèrement différente de la moyenne. Ensuite, on est prêt à commander en quelques clics ce T-shirt parfaitement ajusté: il sera livré en moins de 24 heures.
"L'ère des tailles standards est définitivement révolue", conclut Maezawa alors que nous prenons congé. "Désormais, hommes et femmes n'auront plus à essayer les vêtements pour voir s'ils leur vont. Nous veillerons à ce qu'ils soient parfaitement adaptés." Une révolution de taille donc.