Les classiques oubliés du parfum sont réédités avec succès et connaissent un renouveau mondial. Même auprès des jeunes, grâce à TikTok.
Imaginez un créateur de mode qui se plonge dans l’univers de la parfumerie pour redonner vie à des trésors oubliés. C’est exactement ce qu’a fait Olivier Rousteing, directeur artistique de la maison Balmain depuis 2011. "Il a décidé de réinterpréter quatre parfums historiques de la maison – 'Vent Vert', 'Ebène', 'Carbone' et 'Ivoire' ", explique Claire Fermont de Balmain Beauty. "Il a collaboré avec les producteurs des parfums originaux pour les adapter au goût d’aujourd’hui, sans perdre leur essence." La collection a été enrichie de quatre nouvelles fragrances pour rendre la ligne aussi inclusive que possible. "Il y en a pour tous les goûts", résume Fermont.
Estée Lauder suit une approche similaire. L’expert en parfumerie Frédéric Malle a revisité cinq classiques du parfum pour "The Legacy Collection". La marque espère séduire un public plus jeune avec ces interprétations modernes, selon Erica Kwok d’Estée Lauder. "La collection célèbre notre savoir-faire et notre patrimoine. Avec cette collection, nous espérons attirer les amateurs de parfums qui apprécient l’héritage, l’expertise et l’élégance intemporelle. Nous voulons les réchauffer à nos parfums iconiques – mais avec une perspective fraîche et contemporaine."
Les parfums classiques les plus emblématiques des années 80, 90 et 2000
- Joop! "Homme" (1989)
- Mugler "Angel" (1992)
- Issey Miyake "L’Eau d’Issey" (1992)
- Calvin Klein "ck One" (1994)
- Jean Paul Gaultier "Le Male" (1995)
- Tommy Hilfiger "Tommy" (1995)
- Giorgio Armani "Acqua di Giò" (1996)
- Clinique "Happy" (1998)
- Dolce & Gabbana "Light Blue" (2001)
- Mugler "Alien" (2005)
Bye-bye, les copies
David Depuydt, gérant de la parfumerie Place Vendôme à Wevelgem, remarque que de plus en plus de personnes s’intéressent à l’histoire des maisons et des parfums. "Les marques de parfums en profitent pour relancer d’anciennes fragrances, bien que ces rééditions n’aient pas toujours grand-chose à voir avec l’original. Mais la jeune génération ne peut pas comparer, et les plus âgés ne sont souvent plus là."
Maxime Bocxtaele, de la parfumerie de niche Necessities à Anvers, observe également un intérêt croissant pour le parfum. "Parfois, de très jeunes clients, même des adolescents, entrent à la recherche de parfums marqués, souvent inspirés par des listes sur les réseaux sociaux : des parfums intenses comme "Delina" de Parfums de Marly ou "Oud Maracujá" de Maison Crivelli, plutôt que des classiques du parfum." En parallèle, une partie de sa clientèle plus âgée recherche justement le raffinement des fragrances plus classiques. "De plus en plus de gens sont dérangés par les parfums trop envahissants des autres et se tournent vers des senteurs plus subtiles comme les chyprés, un genre élégant parmi les parfums boisés."
C’est également l’avis de Depuydt. "Les chyprés font leur retour", confirme-t-il. "Hermès a récemment lancé 'Barénia', un chypré 'nouveau style'. Ce genre était populaire dans les années 1920 et 1930, mais pour beaucoup, ce sont donc des fragrances nouvelles." Un classique de Guerlain comme "L’Heure Bleue" (1912) séduit les jeunes, car "ils sont surpris par des notes olfactives qu’ils ne connaissent pas". Un fougère old-school – une senteur boisée aromatique – comme "Egoïste" (1993) de Chanel, ainsi que des parfums floraux classiques avec tubéreuse, regagnent également en popularité. Depuydt : « Les gens sont habitués à des parfums plus marqués, donc un classique comme "Fracas" de Robert Piguet ne les effraie pas. Un parfum est fait pour se distinguer, personne ne veut sentir comme tout le monde. Les gens en ont assez de tous ces flankers, ces copies qui ne font que surfer sur le succès d’un parfum existant."
Une crise positive
Les parfums d’autrefois séduisent les générations plus âgées en raison de la nostalgie qu’ils évoquent. Les amateurs de parfums, quant à eux, apprécient leur complexité, grâce à des ingrédients qui sont parfois difficiles à obtenir aujourd’hui ou remplacés par des alternatives modernes qui n’offrent pas la même expérience olfactive ou profondeur.
La commercialisation des parfums contemporains, qui limite la liberté créative des parfumeurs et accélère considérablement le rythme de développement et de lancement, joue également un rôle. Autrefois, les fragrances avaient le temps de trouver leur public. Les gens étaient aussi beaucoup plus fidèles à une fragrance, car ils n’étaient pas constamment tentés par un flot incessant de nouveautés. "Heureusement, cela semble s’être calmé ces deux dernières années", observe Depuydt. "Pendant un temps, la création était surtout axée sur la facturation, souvent au détriment de la qualité. De nombreuses boutiques ne pouvaient pas suivre ce rythme financièrement. En ce sens, la crise a parfois un côté positif. Le parfum restera toujours un produit de luxe, mais si vous voulez faire rêver quelqu’un, il faut qu’il y ait suffisamment de rêve dans le flacon."
Avec les rééditions de parfums classiques, les marques espèrent répondre à la fois à la nostalgie des générations plus âgées et à l’intérêt des jeunes. Via les réseaux sociaux et les plateformes de streaming, les jeunes découvrent non seulement la mode, la musique, les séries télévisées comme "Friends" (1994) et "Sex and the City" (1998), mais aussi les parfums d’une époque qu’ils n’ont pas connue. Les magazines internationaux et les sites lifestyle ont saisi cette tendance et ont publié ces derniers mois des articles sur le retour des classiques du parfum, avec des listes "best of" remplies de parfums des années 1990 et 2000.
Cela n’a pas manqué d’avoir un effet sur les ventes. Selon le journal britannique The Times, de nombreuses parfumeries ont vu augmenter les ventes de classiques des années 1990 tels que "Angel" (1992) de Mugler, "ck One" (1994) et "Joop! Homme" (1989). Cette tendance est également confirmée, selon le magazine canadien Fashion, par un doublement des recherches de termes comme "parfums des années 90" et "parfums Y2K", aussi bien sur Google que sur le site de revente eBay.
Bien que la nostalgie des parfums soit une tendance internationale, l’effet semble pour l’instant limité en Belgique. Chez la chaîne de parfumerie April, le directeur Tanguy de Ripainsel note que ce sont surtout les campagnes médiatiques de longue durée et les promotions qui soutiennent la popularité de certains classiques. "Les chiffres de vente restent globalement stables, nous ne voyons pas de véritable tendance forte." Le leader du marché, Ici Paris XL, n’a pas souhaité partager de chiffres, mais dans ses listes de best-sellers, près de la moitié des parfums féminins datent des années 1990 et 2000 : "Amor Amor" (2003) de Cacharel, "Coco M’elle" (2001) de Chanel, "J’adore" (1999) de Dior et "Noa" (1998) de Cacharel.
Un mouvement cyclique éternel?
Tout comme le monde de la mode, l’industrie du parfum connaît une certaine cyclicité. Cependant, certains parfums ne reviendront probablement jamais, estime Depuydt: "Les parfums d’aujourd’hui sont différents de ceux d’autrefois, car certaines matières premières ne peuvent plus être utilisées en raison de réglementations strictes, ou parce qu’elles ont été remplacées par des alternatives moins coûteuses. Ce qui rendait ces classiques uniques a souvent disparu." Tout finit par revenir un jour, mais jamais exactement comme avant.