Depuis dix ans, Tom Eerebout conçoit pratiquement toutes les tenues de la pop star Lady Gaga, plus extravagantes les unes que les autres. Nous l’avons rencontré lors de l’une de ses rares escales à Anvers. "Même en vacances, ses looks sont stylés."
"Vous voyez celui-ci?", demande-t-il en nous montrant ses doigts tatoués. "En Angleterre, on les appelle ‘jobstoppers’. Quand j’ai entendu ça, je me suis directement fait tatouer les phalanges. Au moins, je suis sûr qu’on ne me donnera jamais un travail de bureau lambda!"
Nous sommes assis face au styliste belge Tom Eerebout. C’est sûr que son job n’est pas ordinaire: il travaille pour Lady Gaga depuis dix ans déjà. En effet, c’est lui qui décide ce que porte la pop star, à la ville comme à la scène.
Le Belge vit à Londres depuis des années, mais il vient d’acheter une maison à Anvers: "Pour faire un investissement, pour être plus proche de ma famille et comme plan B pour le Brexit." Elle se trouve juste derrière la Gare Centrale: nous sonnons à la porte mais nous ne la franchirons pas. "Mon mari travaille et nos trois chiens sont là", précise-t-il en nous emmenant dans un café à deux pas de là. Il commande une bière Vedett (pour lui) et un cappuccino (pour nous).
La dernière fois qu’il est venu en Belgique, c’était il y a sept mois, pour une visites-éclair à sa famille: quand on travaille pour une pop star (qui, depuis, est aussi devenue une star de cinéma), les journées de travail sont longues et les miles, nombreux. "Surtout quand nous sommes en tournée, c’est intense: les journées de 18 heures sont la norme!"
À l’automne, ce sera de nouveau le cas, car Lady Gaga fera son retour à Las Vegas pour sa résidence au Park Theater de l’hôtel Park MGM. "À Vegas, ma journée commence le matin vers 10 heures et ne se termine pas avant 3 heures le lendemain matin. Mais mon plus grand stress, c’est FedEx! Parce que même si vous avez trouvé une superbe tenue et que vous l’avez décrochée en primeur chez son créateur, c’est la catastrophe si le coursier ne la livre pas à temps.
Pour la Mostra de Venise, Gaga devait porter une robe en plumes de flamant rose, mais nous craignions que la douane l’intercepte et que nous restions le bec dans l’eau. Pour éviter ça, quelqu’un est parti en Italie en voiture avec la robe. Une autre fois, j’ai pris l’avion avec 2 millions de dollars de diamants dans mes bagages à main."
Poker face
Eerebout, mince comme un haricot vert et couvert de tatouages, enchaîne les anecdotes. "Il arrive que nous devions changer Gaga pendant un vol régulier. Dans ce cas, nous réquisitionnons les toilettes et défroissons sa robe avec la vapeur de la bouilloire des hôtesses de l’air."
Le styliste a un look presque ordinaire, mais ses sneakers et son short sont plus une tenue de vacances que de ville.
"D’habitude, je suis plutôt fringué à la Keith Richards: chemise, jeans et boots."Cependant, les cordonniers étant les plus mal chaussés, ce n’est pas pour ses looks qu’il est connu, mais pour ceux qu’il imagine pour Lady Gaga, la pop star américaine qui a percé avec ‘Poker Face’ en 2009 et a remporté un Oscar l’an dernier pour ‘A Star Is Born’.
"Il arrive que nous devions changer Gaga pendant un vol régulier. Dans ce cas, nous réquisitionnons les toilettes et défroissons sa robe avec la bouilloire des hôtesses de l’air."
"Absolument tous ses looks sont stylés, même quand elle sort de chez elle pour monter dans sa voiture. Comme cela représente trop de travail pour une seule personne, j’assure le job avec une collègue, Sandra Amador. Pour nous deux, c’est presque un travail à plein temps."
"Nous ne faisons pas de shopping dans les boutiques, car Gaga ne porte que des vêtements qui n’ont encore jamais été portés. Ces derniers mois, elle a arboré la collection d’hiver qui n’est disponible qu’aujourd’hui. Nous devons donc nous arranger en direct avec les labels de mode et les maisons de couture. Bien sûr, je suis souvent approché par des designers qui m’envoient leurs lookbooks, et ça me plaît beaucoup parce que ça me permet de découvrir de nouveaux noms."
"En tant que Belge, j’essaie aussi d’utiliser la mode belge. Récemment, Gaga a porté une bague Bare, la marque du jeune joaillier anversois Dries Criel", confie le styliste. "Pour les grands événements, Sandra et moi sommes sur place, pour vérifier les tenues mais, pendant les périodes plus calmes, nous envoyons à Gaga une grande valise de vêtements, avec un PDF de tous les looks. Et quand elle part en vacances, nous lui envoyons des bikinis.
"En tant que styliste, on peut bien entendu avoir son propre style, mais il faut avant tout écouter attentivement son client, explique-t-il.
"Les tenues doivent sembler tout droit sorties de sa garde-robe. Je n’ai pas de recette pour capturer le style de Gaga. Il doit toujours y avoir un brin de folie. En tant que styliste, je fais partie du ‘Haus of Gaga’, l’équipe créative qui l’entoure.
Tout comme moi, la plupart des membres du collectif travaillent pour elle depuis des années. Nous formons une grande famille très unie."
Gaga ooh-la-la
Tout au long de l’entretien, nous sommes frappés par son accent étrange, résumé de son parcours. Né et élevé à Bredene, sur la côte belge, c’est lors d’une formation artistique à Bruges qu’il se retrouve à l’Académie d’Anvers, où il étudie la photo pendant quelques mois.
"L’école n’a jamais été mon truc: je déteste les structures. Quand j’ai arrêté la photographie, j’ai eu la chance de trouver un job de visual merchandiser chez American Apparel. En tant que responsable du Benelux, j’étais souvent à Amsterdam.
Finalement, il fait ses bagages et s’installe à Amsterdam, où il rencontre Joost Vandebrug, un photographe de mode et de documentaire avec lequel il s’est marié. "Joost a décroché un contrat avec la prestigieuse agence Art & Commerce pour lequel il devait s’installer à Londres. Je l’ai suivi. Cependant, je ne trouvais pas de job. Mais via-via, j’ai rencontré Nicola Formichetti, qui était le styliste de Gaga, et je suis devenu son assistant en mars 2010. On me payait au lance-pierres, mais j’aimais ce job et je suis resté. Quatre ans plus tard, quand j’ai eu l’occasion de travailler pour Kylie Minogue que j’adorais, j’ai quitté Gaga avant de replonger."
"Travailler pour Lady Gaga est le job de mes rêves: je bosse avec des gens agréables, je peux déployer ma créativité et tous les jours sont différents. Mon père avait du mal à comprendre qu’habiller une star pouvait être un travail à plein temps.
Pendant des années, il m’a poussé à chercher un “vrai métier”, mais tout a changé lors du concert de Lady Gaga au Sportpaleis d’Anvers, en 2018, quand elle m’a dédié une chanson: ma famille a réalisé l’impact de mon travail. Au fil des ans, Gaga est devenue une très bonne amie. Regardez, j’ai fait faire ce tatouage avec elle", raconte-t-il en nous montrant un de ses ‘jobstoppers’.
À partir du 17 octobre, Lady Gaga reprendra sa résidence ‘Enigma’ au Park Theater de Las Vegas.