Anne-Sophie Dielen parcourt le monde en quête de diamants de couleur rares pour le compte de maisons de luxe, têtes couronnées, collectionneurs et investisseurs.
"Salut Thijs, je viens de rentrer du Qatar. J’ai été choisie pour trouver les diamants du diadème d’une princesse qatarie. Je suis aussi invitée à son mariage en avril: c’est génial! Vendredi, je pars pour Bangkok et Hong Kong, pour d’autres transactions. On pourrait se voir avant?"
Oui, Anne-Sophie Dielen (27 ans) n’est pas une jeune femme ordinaire. Et ce qu’elle "diele" ne l’est pas non plus: depuis un an et demi, elle mène, via sa société Dielen Diamonds, la recherche de diamants de couleur, de gros diamants blancs et de gemmes rares off-market. Sans révéler l’identité de ses clients, elle confie travailler pour des maisons de haute joaillerie et des maisons de luxe - Chanel, Cartier, Dior, Boucheron, Van Cleef & Arpels et Graff — et pour des familles (aristocratiques) désireuses d’investir dans ces pierres. "Les diamants de couleur, Fancy Diamonds, peuvent rapporter jusqu’à 12% par an. Et ils prennent moins de place dans un coffre-fort qu’une œuvre d’art", précise-t-elle.
Dans son coffre-fort personnel, Dielen prend une de ses pierres préférées: un saphir "fissuré de sorte qu’on dirait de la glace à l’intérieur: c’est la première pierre que j’ai achetée lorsque j’ai débuté en tant que diamantaire, il y a un an et demi", explique-t-elle. "Sur le plan financier, il ne vaut pas grand-chose, mais entouré de diamants blancs, il fera une bague originale."
Verre blindé
Nous rencontrons la jeune femme dans son bureau minimaliste du sixième étage du Diamantclub d’Anvers, un immeuble de la Pelikaanstraat qui abrite également le siège de la Fédération mondiale des bourses de diamants. Sans badge, il est impossible de franchir les portes d’entrée. Et même avec, il faut montrer patte blanche et déposer son passeport à la réception, sécurisée par du verre blindé. "Ici, la sécurité est vraiment extrême", s’excuse la chasseuse de diamants en me précédant dans son petit bureau. "Moi aussi j’ai eu du mal à y entrer, bien que je représente la troisième génération familiale active dans ce métier. Le Diamantclub est le club le plus exclusif de négociants et de courtiers en diamants. Le conseil d’administration examine chaque candidature en détail et le soutien de trois référents de confiance du milieu est requis pour soutenir une candidature. On peut considérer l’adhésion comme un gage de qualité, ce qui inspire confiance aux bijoutiers, maisons de couture ou autres interlocuteurs. Autrement dit, un diamantaire ‘douteux’ ne franchira jamais ces portes. Je fais partie des rares membres de moins de 35 ans et je suis également la plus jeune femme diamantaire à diriger mon propre bureau."
Elle poursuit: "Dans mon segment, la concurrence est faible. Je suis une jeune femme qui doit presque toujours négocier avec des hommes, souvent arrogants, et ce n’est pas toujours facile. Être membre du Diamantclub a aussi son prix: le loyer mensuel de mon bureau me coûte autant qu’un appartement de luxe dans le quartier Zuid à Anvers. Bien sûr, c’est une source de stress, mais j’en ai besoin: c’est ici que se concluent de nombreuses transactions entre membres."
1 à 2% de commission
"Ttout est question de sourcing: pour trouver discrètement les pierres adéquates, il faut des sources fiables."Anne-Sophie Dielen
Ses mots résonnent encore lorsque la sonnerie retentit. Dielen fait entrer un homme d’un certain âge, une enveloppe de papier de la taille d’une carte bancaire à la main. En silence, Dielen l’ouvre, prend sa loupe et vérifie la pureté de ce qu’elle contient. Elle examine le certificat, signe un accusé de réception et l’homme repart. "C’est une pierre à 180.000 euros", déclare-t-elle en me la déposant dans la main.
Étonné par la désinvolture avec laquelle ce diamant est échangé, je le laisse échapper et il tombe sur le sol. "Pas de panique, le diamant est le matériau le plus dur de la planète", me rassure-t-elle. "Cette pierre est destinée à un client qui souhaite faire réaliser un collier par un certain bijoutier. Je n’avais pas le diamant qu’il cherchait, mais comme mon voisin de couloir en avait un, il est venu me le livrer. En tant que diamantaires, nous ne disposons pas toujours de toutes les qualités ou variétés. Dans mon métier, tout est question de sourcing: pour trouver discrètement les pierres adéquates, il faut des sources fiables. Notre activité repose entièrement sur la discrétion et la confiance. Cela vaut pour nos collègues, mais aussi pour nos clients. Lorsque nous trouvons une pierre pour un client, nous demandons une commission de 1 à 2% par transaction. Cela peut sembler élevé, mais c’est dérisoire comparé à ce que prennent les bijoutiers."
Waiting game
Au cours de la conversation, Dielen consulte régulièrement son smartphone. Nous l’interrogeons à ce sujet et la cause de sa préoccupation devient claire. "À tout moment, une décision peut être rendue concernant un diamant d’une valeur de plus de 20 millions d’euros. La semaine dernière, on m’a confié la tâche de dénicher un diamant vert de cinq carats pour la nièce d’un émir d’un État du Golfe. Il faut savoir qu’il n’en existe que quelques-uns dans le monde. Les négociations sont en cours depuis un certain temps déjà, de sorte que je suis entrée dans un ‘waiting game’: le feu vert peut arriver à tout moment. Cependant, il arrive que ce genre de clients se rétracte subitement, sous prétexte que, finalement, il préfère une autre couleur."
Or, la couleur est l’un des facteurs cruciaux dans la détermination du prix des diamants de couleur. Les diamants rouges sont les plus rares, et donc les plus chers. "Il n’y a qu’une trentaine de diamants rouges connus au monde. Peu de diamantaires ont eu l’occasion d’en toucher un et moi non plus, je n’ai pas eu cette chance", déclare la jeune femme.
"La clarté influence également le prix, comme l’intensité de la couleur, avec des gradations allant de ‘fancy light’ et ‘fancy’ à ‘fancy intense’ et ‘fancy vivid’. La technique de la taille, par exemple en ‘poire’, en ‘coussin’ ou en ‘radiant’, est également importante. Je recherche aussi des diamants ‘old mine cut’, une taille de diamant également connue sous le nom de ‘taille ancienne’ et qui a été pratiquée du XVIIIE au XIXE siècle. Cette technique est tombée en désuétude, mais elle est toujours prisée par les familles aristocratiques et royales. Il m’arrive d’obtenir des diamants ‘taille ancienne’ qui ont été détachés de bijoux vintage", explique-t-elle. "La combinaison de tous ces facteurs fait qu’une pierre similaire de 5 carats peut coûter 200.000 euros comme 80.000 euros, en fonction de la qualité, de la clarté ou de la technique de taille."
En toute discrétion
Lorsqu’ils sont de qualité supérieure, les diamants de couleur peuvent rivaliser avec un Rothko, un Klimt ou un Picasso de premier ordre.
Anne-Sophie Dielen est principalement spécialisée dans les diamants de couleurs rares, beaucoup moins répandus que les blancs. "Je recherche des diamants off-market, qui ne sont pas vendus publiquement. En général, il s’agit de diamants dont presque personne ne connaît l’existence. Ils peuvent être la propriété de familles depuis un siècle. Si elles décident de vendre ces pierres en toute discrétion, elles s’adressent à moi, car que je dispose des contacts nécessaires."
Lorsqu’ils sont de qualité supérieure, les diamants de couleur peuvent rivaliser avec un Rothko, un Klimt ou un Picasso de premier ordre. Le "Pink Star" (un "vivid pink" de 59 carats) a été adjugé pour 71 millions de dollars en 2017, ce qui est un record. Autre diamant célèbre, le "Oppenheimer" (un "vivid blue" de 14,6 carats), un diamant bleu exceptionnel, a trouvé preneur pour 57,5 millions en 2016. "Récemment, un client m’a confié un diamant rose ‘vivid pink’ estimé à environ 20 millions d’euros. Ce client souhaitait qu’il soit vendu en toute discrétion: je l’ai donc présenté en off à des joailliers du calibre des grandes maisons - Chopard, Dior, Graff ou Chanel. Cette démarche s’apparente aux ventes privées organisées par les maisons de vente aux enchères, un circuit parallèle dans lequel les œuvres d’art de la plus haute qualité sont négociées en toute discrétion, sans être exposées publiquement ni mises aux enchères."
Femme de parole
Son smartphone s’allume: serait-ce enfin le feu vert tant attendu pour ce diamant vert? Fausse alerte: il s’agit du message d’un "acheteur de gemmes" d’une prestigieuse maison de luxe parisienne. "Nous sommes à la recherche d’un diamant jaune de 45 carats. Pourriez-vous le trouver pour nous?"
«Suis-je en train de devenir celle qui doit toujours mener l’impossible quête? On dirait bien!», soupire Anne-Sophie Dielen. "Personne sur ce marché ne doit savoir d’où vient ce type de demande. Il faut savoir où chercher une telle pierre tout en restant discrète afin de ne pas faire grimper le prix facturé à mon client."
Bien que sa clientèle soit aujourd’hui internationale, Anne-Sophie Dielen souhaite renforcer sa présence en Belgique. Elle voudrait offrir son assistance aux familles belges, aristocratiques ou issues du monde des affaires, dans leur recherche de pierres précieuses, pour des bijoux ou un placement. "Je sais que ces familles sont parfois bloquées pendant un an sur la liste d’attente d’une grande maison avant de pouvoir acheter une pierre. Alors qu’elles pourraient faire appel à moi, car ces grandes maisons m’achètent parfois aussi des pierres. Accordez-moi quelques jours et je vous ferai quelques propositions!"
Cricket chez les Indiens
Le fait que ses clients viennent principalement de l’étranger n’est guère surprenant, compte tenu de son profil international. Elle voyage beaucoup, a vécu pendant longtemps à l’étranger et a étudié à l’école de management HEC à Paris, où elle a rédigé une thèse de master sur l’avenir du diamant vert. Elle a obtenu un diplôme du Hoge Raad voor Diamant, travaillé à l’ambassade de Madrid et fait un stage à l’Antwerp World Diamond Center.
Bien avant que son père ne devienne consul général honoraire d’Inde, Anne-Sophie Dielen a eu l’occasion de travailler à Jaipur, au célèbre Gem Palace. "Les gens viennent du monde entier pour acheter des pierres précieuses dans ce centre historique de la joaillerie. Des têtes couronnées aux politiciens célèbres, en passant par les directeurs artistiques de l’industrie de la mode, je les ai tous rencontrés dans un cadre très informel", confie-t-elle. "J’y ai beaucoup appris sur les pierres précieuses et les techniques de taille, mais aussi sur la mentalité commerciale indienne. Cette expérience n’a pas de prix. Mais j’ai aussi rencontré des difficultés, car l’entourage du maharadja est très fermé. On n’y fait vraiment pas ce qu’on veut."
Grâce à son père, la famille Dielen est une des rares familles belges à être pleinement intégrée dans la communauté indienne d’Anvers. "Nous participons aux célébrations dans le temple jaïn de Wilrijk, le deuxième plus grand hors d’Inde. Nous assistons à des matchs de cricket. Et nous sommes la seule famille non indienne à célébrer Divali, une grande fête religieuse hindoue. Cette communauté est très fermée, mais nous sommes invités à des mariages en Inde, qui durent parfois plusieurs jours."
Personne de confiance
Le 1ᵉʳ juillet 2023, Anne-Sophie Dielen s’est envolée pour l’Italie afin d’assister au mariage d’une amie belge. Pendant le cocktail, elle a soudain reçu le message suivant: "Anne-Sophie, tu devrais être à Hong Kong après-demain pour la présentation d’un diamant." L’Anversoise savait ce que cela signifiait: elle a présenté ses excuses aux mariés, bouclé ses valises et s’est mise en route. "Il s’agissait d’une pierre importante. Bien sûr que cela me stressait, car il y avait beaucoup d’argent en jeu", explique-t-elle. "Cependant, je ne prends jamais de risques. Si l’argent n’est pas sur le compte, je ne négocie pas une pierre aussi exceptionnelle."
Pour Dielen, Hong Kong n’est qu’une destination parmi d’autres depuis qu’elle parcourt le monde entier pour dénicher et présenter des pierres à ses clients. "Mon objectif est d’être leur personne de confiance. C’est essentiel dans notre secteur", explique-t-elle. "C’est également la raison pour laquelle je ne négocie jamais de diamants de laboratoire. Cela nuirait gravement à la confiance, car la différence est à peine perceptible. Je ne considère pas les diamants synthétiques comme une menace pour mon activité, et encore moins dans le segment du luxe. Mes clients recherchent l’authenticité."