© Alexander D'Hiet

Les palmiers de Bruno V. Roels s'implantent chez Saint Laurent

"Il faudrait être fou pour refuser", déclare Bruno V. Roels. L'artiste gantois a collaboré avec la maison de mode Saint Laurent sur une exposition solo et une collection capsule. Portrait d'un fétichiste du palmier devenu artiste sur le tard. "Tout ce qui m'arrive aujourd'hui, c’est du bonus."

La Belgique fait la pluie et le beau temps chez Saint Laurent. Anthony Vaccarello en est le directeur créatif depuis 2016. Et, la semaine dernière, une collection capsule a été lancée avec les photos de l'artiste Bruno V. Roels.

Le Belge expose également ses dernières œuvres dans deux flagshipstores Saint Laurent (Paris et Los Angeles  – un timing idéal, car le festival californien de Coachella débute ce weekend). Le line-up de la boutique Saint Laurent est une belle reconnaissance: avant lui, Jean-Michel Basquiat, Memphis avec Ettore Sottsass et Robert Mapplethorpe y ont exposé. "L'art est inscrit dans l'ADN de Saint Laurent, et particulièrement dans celui de François-Henri Pinault, CEO du groupe de luxe Kering auquel Saint Laurent appartient", explique le galeriste de Roels, Roger Szmulewicz. "Pinault est un grand collectionneur d'art. Il possède également des œuvres de Bruno."

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La collection capsule reposant sur les photos de Bruno V. Roels compte vingt pièces: sweats à capuche, T-shirts, écharpes,  chaussures, et même un short de bain. Elles sont exclusivement vendues dans les deux flagshipstores et, dans une mesure limitée, en ligne. "Naturellement, mon travail sur un sweat à capuche est totalement différent de l'original. Je considère que la collection est complètement indépendante des photos qui ont été utilisées pour sa création", précise Roels. "Pour moi, la collaboration avec Saint Laurent est la confirmation que mon travail a une résonance universelle."

Quand Roels a présenté son travail pour la première fois, il avait 38 ans. "Ce n’est qu’à cet âge-là que j’ai senti que j’avais quelque chose à dire."
Quand Roels a présenté son travail pour la première fois, il avait 38 ans. "Ce n’est qu’à cet âge-là que j’ai senti que j’avais quelque chose à dire."
© Alexander D'Hiet

Du jazz et des palmiers

Bruno V. Roels (46 ans) considère son travail comme une "recherche du paradis", dont une métaphore parfaite est le palmier. "Le palmier est le symbole de l'exotisme, mais aussi du glamour, de l'aventure, du tourisme de masse, des vacances de luxe, du colonialisme et du paradis", indique-t-il.

"Chacun interprète le palmier à sa manière, ce qui en fait un phénomène intéressant. Le palmier est intemporel et présent dans de nombreuses cultures et religions, comme le dimanche des Rameaux, également appelé fête des palmes. J’ai une collection d'objets autour de ce thème. Récemment, j'ai acheté sur Catawiki une pièce de monnaie romaine sur laquelle était représenté un palmier. Un joailler l'a montée en bague pour mon épouse Eva, qui subit depuis des années ma propension à le collectionner."

Le palmier est récurrent dans de nombreuses œuvres du Gantois. Il réalise des séries d'impressions photographiques, strictement agencées selon un rythme, à la manière d'une partition graphique, d'une rime visuelle ou des variations conceptuelles d'un thème sémantique. Ces compositions sérielles de palmiers séduisent sur différents plans.

Chambre noire

"Tout part des photos, les miennes ou du matériel d'archive. Mon travail se fait surtout en chambre noire: le temps d'exposition, la température, la durée du développement, le type de papier, les produits chimiques sont des paramètres que de nombreux photographes veulent contrôler parce qu'ils visent la photo parfaite, mais hélas, le résultat est souvent stérile. Je préfère laisser faire le hasard. Si un bouchon de bouteille d'eau traîne dans la chambre noire, il peut devenir un élément de mon photogramme. Les inspirations du moment sont comparables aux improvisations de jazz. Il y a parfois, il y a des erreurs, mais cela ne me dérange pas. C'est pour cela que je ne pourrais jamais passer au numérique. Tout part de l'expérimentation physique avec le matériel photographique."

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 "Mon imagination me porte sur le paradis, la beauté, les palmiers, l’argent, le repos, le luxe et les vacances", avoue l’artiste belge Bruno V. Roels.
"Mon imagination me porte sur le paradis, la beauté, les palmiers, l’argent, le repos, le luxe et les vacances", avoue l’artiste belge Bruno V. Roels.
© Alexander D'Hiet

Pour la réalisation de ses œuvres uniques, Roels a le contrôle final de la composition, de la qualité d'impression et du type de papier. Par contre, il ne maîtrise pas la manière dont la maison Saint Laurent imprime ses œuvres. "Si cela vous fait paniquer, vous ne devez jamais accepter ce type de collaboration", précise-t-il. "Si l'on vous fait une telle proposition, il faudrait être fou pour ne pas l'envisager. Quelle est la probabilité qu'une maison comme Saint Laurent choisisse mes œuvres parmi les centaines de milliers d'autres artistes?"

La magie d'Instagram

"Nous recevons des demandes de collaboration de tous types, mais, s'il s'agit simplement d'imprimer une photo de l'œuvre de l'un de nos artistes sur un T-shirt, nous refusons", explique Szmulewicz, fondateur de la Gallery FIFTY ONE à Anvers, qui représente Roels dans le monde entier.

Comment Roels est-il apparu sur le radar de Saint Laurent? "Un talent scout m'a demandé via Instagram si je voulais collaborer avec une grande marque. Dans un premier temps, on ne m'a pas dit de qui il s'agissait. Mais je ne fournis jamais de photos gratuitement en échange d'une plus grande visibilité", explique Roels. Et c'est alors que le nom de Saint Laurent a été révélé. "Il n'y a que quelques marques de mode avec lesquelles j'envisageais une collaboration et Saint Laurent en faisait partie. J'adore les maisons de couture françaises qui recourent à la fois à la tradition de l'artisanat et à l'innovation."

© Alexander D'Hiet

Naturellement, Yves Saint Laurent (1936-2008) est une source d'inspiration. Le couturier était aussi un amateur d'art érudit, passionné de littérature, comme Roels. Et, comme Roels, il aimait l'exotisme et les palmiers. "Vous me croyez si je vous dis que je n'ai pas encore eu l'occasion d'aller voir les palmiers et les cactus du Jardin Majorelle à Marrakech? J'aime l'idée d'être juste un gars qui peut atteindre le monde entier grâce aux palmiers qu'il intègre à son travail."

Chimère du paradis

En tant qu'artiste, Bruno V. Roels a commencé sa carrière sur le tard. Il n'a pas fréquenté l'Académie des Beaux-Arts, mais a étudié la littérature et la linguistique. "C'est à l'université que j'ai compris pour la première fois qu'il y avait un artiste en moi. À l'époque, je ne faisais pas encore de photo d'art, mais uniquement des photos de ma vie quotidienne", raconte Roels. "Harry Gruyaert, photographe chez Magnum, m'a dit un jour: "Je trouve que se définir en tant qu'artiste quand on est photographe est très arrogant". Je le comprends: il n'y a rien de mal à être un photographe 'ordinaire'. Mais on peut se poser la question: suis-je un photographe parce que je sais utiliser un appareil photo? Ou suis-je un artiste parce que je maîtrise un procédé photographique?"

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Quand Roels présente pour la première fois ses œuvres, en 2014, il a 38 ans. "À l'époque, j'avais déjà vu tellement d'art et lu tellement de livres sur l'anthropologie, la psychologie et la philosophie, que mon bagage intellectuel était plus important que celui d'un étudiant lambda de 18 ans. Pendant vingt ans, j'ai observé et appris, et ce n'est qu'alors que j'ai senti que j'avais quelque chose à raconter. Quand je me suis fait connaître en tant qu'artiste, je n'avais pas grand-chose à proposer. Mais, dans ma tête, j'avais un catalogue d'idées dans lequel puiser. Grâce à ma formation littéraire, je savais que l'amour et la mort, éros et thanatos, sont les deux principaux thèmes de la littérature, mais aussi dans de nombreuses autres formes d'art. La mort n'est pas explicitement récurrente dans mon œuvre, contrairement au fait 'd'échapper à la mort'. Et c'est dans ce contexte que s'inscrit ma chimère du 'paradis', une promesse faite de beauté, de palmiers, d'argent, de luxe, de vacances, de vie oisive... Les grandes marques de luxe jouent aussi là-dessus."

UN CV plutôt léger

Cette maturité explique peut-être pourquoi la carrière de Roels démarre en flèche, faisant par la même occasion des jaloux. "J'ai l’impression d'avoir sauté quelques étapes", concède-t-il. "En tant qu'artiste, vous participez d'abord à de petites expositions collectives, dans l'espoir qu'un marchand d'art vous remarque. C'est peut-être arrogant, mais je trouvais ce parcours d'échauffement inutile: je voulais directement être exposé dans des galeries. J'avais dit à mes amis en riant: 'Dans un an, je veux vendre des œuvres que vous ne pourrez plus vous permettre d'acheter'. Ils n'ont pas trouvé ça drôle, mais c'est pourtant ainsi que cela s'est passé: je ne pouvais déjà plus m'offrir mes propres œuvres quand, en novembre 2014, j'ai été exposé pour la première fois à Paris Photo."

Le galeriste Roger Szmulewicz a exposé le travail de Roels pour la première fois lors d’un salon de talents émergents. Les réactions ont été si bonnes qu’il l’a emmené à Paris Photo.
Le galeriste Roger Szmulewicz a exposé le travail de Roels pour la première fois lors d’un salon de talents émergents. Les réactions ont été si bonnes qu’il l’a emmené à Paris Photo.
© Alexander D'Hiet

À peine six mois plus tôt, Roels s'était présenté chez le marchand d'art Roger Szmulewicz, avec une seule œuvre sous le bras. "Je voulais lui demander quelle galerie serait éventuellement intéressée par mon travail. Je n'aurais pas imaginé que ce serait lui!", rit Roels. Après un entretien de deux heures, Szmulewicz décide de l’exposer en septembre à Unseen, Amsterdam, le salon artistique pour les talents émergents.

Les réactions ont été tellement positives qu'il a inscrit Roels en novembre à Paris Photo, la plus grande foire photographique au monde. "Les séries représentant les palmiers étaient très intéressantes. Et le travail de Bruno en chambre noire frappe l'imagination", ajoute Szmulewicz. "Nous avons très bien vendu, même si le CV de Bruno était plutôt léger. De grandes institutions américaines et françaises ont marqué leur intérêt, alors qu'il faut plus de temps pour que de 'nouveaux' artistes percent. Simon Baker, à l'époque conservateur de la photographie à la Tate Modern, est venu régulièrement sur notre stand pour montrer des œuvres de Bruno. Pour moi, cela a été un signal important."

Plan directeur

Pourtant, en 2014, Roels travaillait encore à temps plein dans une entreprise de logiciels. Depuis, il a eu les honneurs de trois expositions solo à la Gallery FIFTY ONE et une à la Howard Greenberg Gallery à New York. Malgré le succès, il n’est pas encore artiste à temps plein.

Il travaille toujours en tant que marketing content manager chez Kongsberg Precision Cutting Systems, un producteur de tables de découpe. "Je préfère avoir deux sources de revenus, d'autant plus qu'une des deux ne m'offre aucune garantie", commente-t-il. "Je ne veux pas avoir à m'inquiéter si je vends moins. En cette époque incertaine, je trouve cela dangereux de basculer complètement dans la vie d'artiste, par ailleurs assez solitaire. L'idée romantique qu'un artiste doive travailler à temps plein et se battre pour survivre est bien ancrée. Je ne la partage pas. Je vise ce que, dans l'Antiquité, les Grecs appelaient l'ataraxie: être mentalement libéré de tout souci."

La collection capsule de Bruno V. Roels pour Saint Laurent comprend vêtements et autres accessoires, mais aussi de la vaisselle ou des planches de surf. Hoodie ‘Fake Billboards (Looking for paradise ?)’, 1.090 euros.
La collection capsule de Bruno V. Roels pour Saint Laurent comprend vêtements et autres accessoires, mais aussi de la vaisselle ou des planches de surf. Hoodie ‘Fake Billboards (Looking for paradise ?)’, 1.090 euros.

"Cela peut être dû à ma vision rationnelle des choses, mais j'ai un plan directeur pour ma carrière d'artiste. Mon objectif m'est très clair, et je sais où je veux être à telle ou telle échéance. Les artistes que je trouve intéressants,  – John Baldessari, Ed Ruscha, On Kawara – ont tous atteint certains jalons au cours de leur vie. C'est également ce que je veux. Une collaboration avec une maison de mode n'était pas dans mon plan directeur, mais je la prends avec plaisir. Je vise aussi une exposition solo dans un musée important. Mon œuvre n'est pas encore mûre pour cela, mais je suis déjà très loin et je ne m'en rends pas toujours bien compte. C'est l'avantage d'un début tardif: tout ce qui m'arrive aujourd’hui, c'est du bonus."

La collection capsule Bruno V. Roels
est disponible chez Saint Laurent à Paris et à Los Angeles. www.ysl.com,
www.brunoroels.art, www.gallery51.com

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