Urs Fischer a réalisé une collection pour Louis Vuitton. L'artiste punk a dessiné à main levée le logo de la célèbre marque et le résultat est psychédélique.
Les œuvres d’Urs Fischer (47 ans) suscitent presque toujours les mêmes réactions stupéfaites, qu'il s'agisse de photographies, de peintures ou d'installations, et qu’elles datent des années 2000 ou d’aujourd’hui. L'expression "what the hell" résume bien le sentiment partagé par de nombreux visiteurs aux expositions de ce Suisse établi aux États-Unis.
Urs Fischer a d’abord attiré l’attention avec "Untitled (Bread House) 2004-2005", un chalet suisse grandeur nature fabriqué avec des miches de pain, dont le processus de décomposition faisait partie de la performance. En 2006, il a suscité à nouveau la controverse quand il a convaincu le propriétaire de la galerie new-yorkaise "Gavin Brown’s enterprise" d'en creuser le sol. Quant au résultat, un trou de plus de 2,5 mètres de profondeur entre les murs blancs de la galerie, l’artiste l’a baptisé "You". Dubitatif, le New York Times l’a qualifié de "méditatif".
Parmi ses œuvres plus récentes: une banane suspendue à un fil de nylon, un méga buste en argile de la pop star Katy Perry dans laquelle le public était invité à sculpter son propre "art", ou "Leo (George & Irmelin)", une sculpture grandeur nature en cire représentant Leonardo DiCaprio et ses parents -lors du vernissage à la galerie Gagosian, à Paris, Fischer l’a allumée et Leo s’est peu à peu transformé en mare de cire, comme un rappel du temps qui passe.
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Urs Fischer x Louis Vuitton
Après le monde de l’art, c’est au tour de celui de la mode de s’enthousiasmer pour ce photographe, sculpteur et peintre, et ce, grâce à Delphine Arnault. La vice-présidente de LVMH et amatrice d’art, lui a donné carte blanche pour élaborer "Louis Vuitton x Urs Fischer", une collection capsule en édition limitée, disponible en ligne et hors ligne dans quelques boutiques. En janvier, le Suisse a donc suivi la route tracée par Stephen Sprouse, Takashi Murakami et Yayoi Kusama.
Monogramme psychédélique
Urs Fischer ne serait pas Urs Fischer s’il ne voulait pas, ici également, inciter à la réflexion. Par exemple, à partir du célèbre monogramme de Louis Vuitton. Enfant, le Zürichois ne savait pas que c’était celui du bagagiste-maroquinier parisien depuis 1886. "Je voyais partout des gens qui portaient des sacs avec ce monogramme, je trouvais ce mimétisme... étrange", se souvient-il.
"Chacun devrait expérimenter un peu plus souvent: qu’y a-t-il à craindre ou à perdre?"Urs Fischer
Il a redessiné le logo pour que les passants se demandent s’il s’agissait bien du célèbre monogramme de la maison française ou d’une copie. Fischer appelle sa méthode "Memory sketches". Le résultat est psychédélique: les motifs noirs, rouges et blancs ont fondu, comme si on y avait appliqué un fer à repasser trop chaud.
"Ce monogramme est mondialement connu et sa signification varie en fonction de chacun. C’est pourquoi j’ai décidé de le redessiner à main levée, comme si je l’esquissais de mémoire. C’est un peu comme demander à plusieurs personnes de reproduire de mémoire la carte du monde et de regarder le résultat: sur l’une, l’Europe paraîtra plus grande, tandis que sur une autre, ce sera l’Inde." Pour Fischer, le concept l’emporte parfois sur la réalité: "L’idée que la mémoire distorde ainsi les choses me fascine."
Humour
La collection capsule pour Louis Vuitton est née entre les deux vagues de la pandémie. Une fois l’équipe créative réunie à Paris, Urs Fischer a travaillé depuis New York et Los Angeles via Zoom. "En tant qu’artiste, je travaille généralement seul. Réfléchir avec d’autres était enrichissant, surtout en cette période d’isolement."
"En tant qu’outsider, on est moins tenu à un luxe ‘responsable’ qu’en tant que créateur."Urs Fischer
L’atelier parisien a utilisé la technique du tuffetage pour donner un effet texturé et tactile à la surface veloutée du monogramme. Ainsi, les sacs "invitent au toucher, comme un ours en peluche". Le fait que son prénom sonne comme "ours" en français est une heureuse coïncidence.
Le concept de "Louis Vuitton x Urs Fischer" diffère radicalement de ses débuts dans la maison de luxe. En 2019, il avait été l’un des artistes qui, selon la coutume annuelle, avaient revisité un sac à main Capucine en "Artycapucines". Son approche exprimait son légendaire humour pince-sans-rire. Le sac était resté inchangé, mais avait été accessoirisé avec une série de "porte-clés améliorés": une banane, une pomme, une fraise, un champignon et un œuf hyper réalistes. Chez Fischer, l’humour est une constante.
L’approche radicalement différente de Fischer pour cette collection a manifestement séduit Arnault. Au départ, il était seulement question d’un foulard, une tradition chez LV depuis celui conçu par l’artiste américain Sol LeWitt dans les années 80. "Après le foulard, on m’a demandé de concevoir des sacs et des vêtements", ajoute Fischer. "De là, la collection a décollé." Et probablement rapporté gros.
L'art et la mode
Depuis que Marc Jacobs (directeur artistique chez Louis Vuitton de 1997 à 2014) a demandé au créateur de mode et artiste graffeur Stephen Sprouse de laisser libre cours à son imagination sur un sac, en 2001, les collaborations entre artistes et maisons de luxe sont devenues incontournables dans l’univers de la mode.
Selon Urs Fischer, les collaborations sont toujours intéressantes: "Quand, en tant qu’artiste, on collabore avec une maison de mode, cela n’est pas nécessairement de l’art ni de la mode: c’est un entre-deux. Ce type de collaboration a une portée plus large et représente une bonne manière d’évoluer: quand on travaille toujours dans le même segment, on ne raconte pas d’histoire intéressante. Chacun devrait expérimenter un peu plus souvent. Qu’a-t-on à craindre ou à perdre?"
Grand public
Mais Fischer sait qu’en tant qu’artiste, les collaborations présentent un autre avantage: "J’arrive, je saute dedans, puis je ressors". Ce qui, selon lui, est libérateur. "En tant qu’outsider, on est moins tenu à un luxe ‘responsable’ qu’en tant que créateur. Les artistes ont tendance à être aventureux, sans doute parce qu’ils créent souvent pour eux-mêmes. C’est comme avec la nourriture: quand vous cuisinez pour vous-même, vous avez la liberté totale de décider de ce que vous mangez."
Urs Fischer vient de loin. Il fut un temps où l’artiste était encore un étudiant en photographie parfaitement inconnu qui travaillait comme videur dans les boîtes de nuit de Zurich. Aujourd’hui, le patron de Kering est aussi un grand fan de son travail: Fischer a été le premier à exposer en solo au Palazzo Grassi de François Pinault.
Il est donc loin d’être inconnu, mais si cette collaboration s’inscrit dans la lignée des précédentes expériences du genre réalisées par Louis Vuitton, elle pourrait bien lui conférer un tout autre statut. Au bras de quelqu’un, son travail a, en effet, une portée plus grande qu’exposé dans une galerie.
La collection Louis Vuitton x Urs Fischer est disponible dès ce mois de janvier dans les magasins Louis Vuitton à travers le monde.