Cristaux de guérison. Masques de beauté à la tourmaline. Application qui prédit son avenir proche selon l’astrologie. On note un regain d’intérêt pour la superstition. Pourquoi aimons-nous tellement avoir la tête dans les étoiles?
Depuis la semaine dernière, j’ai six poissons dans un bocal. Et tout l’univers est déjà au courant. En effet, l’app personnalisée Co-Star, que j’ai téléchargée sur mon smartphone, me signale que je dois faire plus attention à mes animaux domestiques. Sauf que je n’ai jamais eu ni chiens, ni chats, ni cobayes. Cela ne fait qu’une semaine que mon fils a reçu six minuscules poissons pour son anniversaire et voilà que cette app astrologique me met en garde contre une possible négligence!
D’un côté, je trouve cette coïncidence ridicule et ne crois en rien à ces sornettes, mais, de l’autre, je trouve ça intriguant, et même un peu effrayant. Ce double sentiment est normal, car je suis Gémeau ascendant Vierge (la constellation qui se trouvait à l’horizon oriental au moment de ma naissance).
Cela pourrait être un autre ascendant, car je n’ai pas demandé l’heure exacte de ma naissance à ma mère, ce que recommande pourtant Co-Star. Cette app a beaucoup de succès aux États-Unis et au Royaume-Uni. Elle prétend offrir en temps réel des informations astrologiques personnalisées -avec le concours de la NASA et de l’intelligence artificielle. Comme il sied à une véritable journaliste d’investigation, voilà donc une semaine que je vis au rythme des notifications quotidiennes concernant mon proche avenir astrologique. Foutaises. Jusqu’à ce que l’app parle des poissons...
Magiciens en herbe
Vrai ou faux, foutaises ou bons conseils, l’astrologie est tendance. Et, dans son sillage, tout ce qui touche à l’ésotérisme. Dans l’univers de la mode et du lifestyle, tout le monde semble se
diriger vers les sphères supérieures. Avant le défilé de mode printemps-été 2019, le label Chloé avait invité ses meilleurs clients à méditer. Dans le droit fil de la collection qui allait défiler sur le catwalk, ‘Hippie Moderniste’, un style boho-chic pour lequel la créatrice, Natacha Ramsay-Levi, s’est inspirée d’Ibiza et de Marrakech.
L’Américaine Tory Burch a donné à ses mannequins, avant le défilé, un ‘komboloi’, sorte de chapelet traditionnel grec connu pour ses propriétés déstressantes. La marque de streetwear Cottweiler a organisé son dernier défilé dans la galerie Earth’s Treasury du National History Museum de Londres, un espace regorgeant de pierres précieuses et de cristaux.
Et, six mois plus tôt, The Row a offert, sous la houlette des sœurs jumelles Mary-Kate et Ashley Olsen, des cristaux blancs et noirs lors de la présentation de la
collection automne-hiver 2018. Les blancs, pour apporter plus d’harmonie dans la vie et les noirs (de la tourmaline), pour protéger des forces négatives. Ils étaient accompagnés d’un mode d’emploi pour leur entretien: "Laisser tremper pendant 24 heures dans de l’eau salée."
Depuis l’année dernière, les jumelles proposent aussi une ligne de produits pour magiciens en herbe: des cristaux de quartz, un élégant et minimaliste chaudron de sorcière en fonte, des bougies rituelles censées préserver votre habitation de l’énergie négative ou encore des amulettes destinées à protéger contre les accidents et les maladies.
Cet intérêt pour l’astrologie pourrait s’expliquer par une quête d’absolu qui exorcise l’anxiété de l’époque.
Le label de beauté Aveda a également pris conscience de la puissance de la tourmaline et décline une gamme complète de soins: crèmes hydratantes, produits capillaires et sérums portent la mention ‘tourmaline charged’. Et pour ceux qui désirent se plonger dans les secrets des cristaux de guérison, il y a la gourou britannique Lucy Knowles, qui a notamment écrit le livre ‘The Power of Crystal Healing’ et encouragé Victoria Beckham à porter des cristaux de guérison.
Cet intérêt de la jeune génération pour l’astrologie pourrait s’expliquer par une quête d’absolu qui exorcise l’anxiété de l’époque. En cas de crise d’angoisse, tout soutien est le bienvenu, même sous la forme d’une pierre.
Plusieurs analystes attribuent également le nouveau ‘new age’ à la surabondance de ‘fake news’. Lorsque nous ne savons plus ce qu’est la réalité, nous créons notre propre version de la réalité.
C’est également ce que prédisait il y a deux ans Hilde Francq, de l’agence de tendances Francq Colors, pour l’été 2019: "Aujourd’hui, nous sommes inondés de chiffres et de données qui sont utilisés à bon comme à mauvais escient pour étayer les affirmations les plus diverses. Certaines personnes raccrochent, abandonnent le monde quantifié et cherchent leur salut dans le monde spirituel."
Cartes de tarot
Par souci d’honnêteté, il faut cependant reconnaître que l’histoire d’amour entre lifestyle et spiritualité n’a rien de nouveau. En 1938, Elsa Schiaparelli présentait ‘Astrologique’, une collection couture inspirée par le système solaire et la Voie lactée. Coco Chanel, sa contemporaine (et rivale), était quelqu’un de très superstitieux. Elle faisait de la numérologie et vivait entourée de cristaux et de statuettes de lions -née un 19 août, elle était du signe du Lion. D’où les têtes de lions qui apparaissent toujours dans les collections de bijoux de Chanel, en guise de talismans.
À propos de talismans, Christian Dior gardait dans les poches de son manteau un porte-clés avec une étoile et un cœur, deux porte-bonheur. Et on raconte que le très superstitieux couturier se faisait tirer les tarots avant chacun de ses défilés.
Dans le sillage de ce come-back fashion de l’astrologie, Maria Grazia Chiuri, directrice artistique de Dior, a dessiné une collection croisière entièrement placée sous le signe de la superstition, avec des robes, des pantalons et des vestes ornés d’imprimés sur le thème du tarot. Pour souligner le trait, il y a même eu des boutiques éphémères déclinant l’iconographie du tarot. "Parce que les ventes de cartes de tarot ont augmenté de 30% l’an dernier", déclarait-elle au magazine américain Harper’s Bazaar. C’était donc écrit dans les étoiles.