Claudya Moreira captive plusieurs millions de personnes sur Tik Tok. Entre ses mains, les foulards se transforment en cravates baroques, en ceintures, en roses et même en capuches.
Quand le monde s’est arrêté de tourner en février 2020, Claudya Moreira (39 ans) a fait comme 850 millions de personnes: elle a téléchargé l’application TikTok. Pour tromper l’ennui, elle fait du lipsync et des battles de danse avec son fils. "C’était fun, mais j’étais super nulle." L’algorithme lui soumet une vidéo de quelqu’un qui transforme un foulard en top. La Portugaise, descendante d’une longue lignée de Capverdiennes, se dit alors: "S’il y a bien une chose que je connais, ce sont les foulards. Ça, je peux le faire." Elle pioche dans son placard, s’exerce devant un miroir et poste son premier #scarfhack. En pleine pandémie, alors que personne ne peut mettre le nez dehors, c’est une bouffée d’air frais: ses créations font le tour des réseaux sociaux.
Aujourd’hui, Claudya Moreira peut faire mille choses avec un simple carré de tissu. Elle montre sur TikTok et Instagram comment transformer un T-shirt avec un foulard (7,8 millions de vues), comment un foulard peut remplacer une blouse (5,5 millions de vues) ou comment, détail très tendance, un foulard d’hiver peut devenir une capuche (1,3 million de vues).
Des magazines tels que Vogue et Vanity Fair l’ont surnommée "Scarf Wizard" et "Scarf Queen" et, de Lisbonne à la Fashion Week de New York, elle rencontre des gens inspirés par ses conseils de style. "Je vois directement si cette personne a regardé une de mes vidéos ou si elle a été influencée par quelqu’un d’autre. Les grandes marques s’inspirent parfois de mon travail, créant des éditoriaux influencés par mes styles de foulards. Je le considère comme un compliment: cela prouve que je fais du bon travail", sourit-elle.
Parcours semé d’embûches
Claudya Moreira nous parle depuis sa maison à Cascais, un village de pêcheurs sur l’océan Atlantique à 15 minutes de route de Lisbonne. "Toute ma vie, j’ai vécu entourée d’eau. Cela m’inspire pour créer mes designs." Après ses premières vidéos, elle lance Zafia, sa marque de foulards. Aujourd’hui, la boutique en ligne est temporairement hors ligne, dans l’attente de la nouvelle collection qui sera présentée cet été accompagnée d’un bel ouvrage sur "l’art du foulard".
Avec plus de 1,1 million de followers sur TikTok et pas moins de 575.000 sur Instagram, sa propre marque et une liste impressionnante de collaborations d’influenceurs, The Queen of Scarfs est aujourd’hui à la tête d’un business florissant. Pourtant, ce chemin vers ce succès a été semé d’embûches. 2020 n’a pas seulement été l’année où Claudya Moreira a posté ses premières vidéos sur TikTok: c’était aussi une année de changements majeurs. Lors de notre entretien, elle a confié que cela faisait cinq ans qu’elle avait quitté la Suisse pour emménager au Portugal avec son fils adolescent pour s’installer avec celui qui est aujourd’hui son époux et son partenaire commercial.
"Les instructions des tutoriels doivent être clairement présentées, elles doivent être reproductibles et, surtout, je veux que ce soit quelque chose que l’on puisse faire soi-même."
"Je pensais continuer à travailler en tant que mannequin, mais, une semaine après mon arrivée, le pays s’est mis sur pause à cause de la pandémie; catastrophe! J’ai toujours été très indépendante et comme mère célibataire, je me suis débrouillée toute seule. Dépendre de mon partenaire était une situation que je ne pouvais pas accepter, mais il n’y avait pas moyen de trouver du travail. D’abord, j’ai créé du contenu avec mon fils, juste pour le plaisir, mais, ensuite, j’ai aussi posté des tenues que j’aimais. La mode m’a toujours inspirée -j’ai suivi une école d’été à la Central Saint Martins School of Design à Londres. Je partageais donc déjà ce que j’aimais en matière de mode – mon style est plutôt élégant – et cela ne marchait pas si bien, jusqu’au jour où j’ai été inspirée par cette vidéo de foulards. Après avoir fait la mienne, je l’ai postée sur TikTok et ça m’a lancée."
Cinq jours
Pour Claudya Moreira, ces vidéos de foulard sont un moyen de nouer son passé avec son avenir. "Toute ma vie, j’ai été entourée de femmes qui portaient des foulards: ma grand-mère, ma mère, mes tantes. Comme presque toutes les femmes noires, les Capverdiennes portent des foulards pour protéger leurs cheveux, mais c’est aussi une tradition. Lorsque j’avais quatre ans, ma mère a déménagé à Lisbonne, me laissant avec ma grand-mère. Je suis restée avec elle jusqu’à mes sept ans, sa présence et ses foulards ont eu une grande influence sur moi. Puis j’ai rejoint, en avion, seule, ma mère à Lisbonne. Aujourd’hui, j’ai décidé de donner un nouvel élan à cette tradition."
"Porter un foulard doit être facile: qui voudrait passer sa journée à le remettre en place?"
Qu’elle ait commencé à porter des styles de foulards beaucoup plus complexes au cours des cinq dernières années découle de l’interaction avec la communauté en ligne, dit-elle. "Les progrès et les innovations sont souvent le résultat de ce que les gens me demandent. Voyez-le ainsi: ma vie entière n’est qu’une somme de défis. Autrefois, je faisais du sport -du 100 mètres haies au Sporting Club de Lisbonne – et ne pas essayer de s’améliorer n’était pas une option. Voilà pourquoi, quand quelqu’un me demande de créer quelque chose qu’il n’a jamais vu, je n’hésite pas à essayer. L’un des défi les plus difficiles que j’ai relevé? Réaliser une capuche avec un foulard. Cela m’a pris trois jours, mais (elle sourit) le résultat était meilleur que ce que j’avais espéré.
"Nombre de vues à ce jour de la capuche: 509.000. Un autre consistait à emballer une bouteille dans un foulard en soie, je pense que j’y ai consacré cinq jours pour trouver une méthode qui soit non seulement esthétique, mais aussi qui permet de reproduire chaque étape facilement."
"Les tutoriels représentent différents défis", poursuit Claudya Moreira. "Les instructions doivent être clairement présentées, elles doivent être reproductibles et, surtout, je veux que ce soit quelque chose que l’on puisse faire soi-même. Je veux que porter un foulard soit confortable: qui voudrait passer sa journée à vérifier si le foulard est toujours bien en place?" Ses abonnés en témoignent dans toutes les langues: "Ça marche vraiment, merci!", s’exclame l’un d’entre eux en... kirghize.
"Presque toutes les femmes noires, y compris les Capverdiennes, portent des foulards pour protéger leurs cheveux."
"Ce n’était pas dans mes projets: j’ai commencé à poster mes foulards noués et voilà", confie la Portugaise. "J’ai su que j’avais fait quelque chose d’intéressant quand le Vogue US m’a envoyé un e-mail disant ‘Nous aimons ce que vous faites avec les foulards et nous voudrions vous interviewer.’ Je me suis demandé si c’était une blague et, après quelques recherches sur Internet, j’ai compris que non: j’avais bien été contactée par une vraie personne. Et j’ai réalisé que ce que je faisais était bien plus que de partager des vidéos de ce que j’aimais: j’aidais les gens en leur montrant qu’un foulard est beaucoup plus pratique qu’ils ne pouvaient l’imaginer. Et cela, cinq mois après avoir mis en ligne mon premier tutoriel."
Boutique en ligne
Avant cette première interview avec le Vogue US, Claudya Moreira avait déjà pris les devants et lancé sa propre marque de foulards, Zafia. "En commentaire de chaque vidéo, on me demandait où trouver le foulard que j’avais utilisé. Du coup, je me suis dit que ce serait une bonne idée de leur proposer mes propres modèles de foulards."
Aujourd’hui, la boutique en ligne de Zafia est temporairement "en construction": la nouvelle collection (conçue par le duo) est inspirée de ses racines capverdiennes et de la vie au bord de la mer, et doit encore être photographiée. Désormais, elle n’utilise plus que de la soie. "Quand j’ai commencé, je n’avais aucune connaissance des matières ni des affaires. Ma marque était une réponse à ma communauté en mode ‘Vous voulez des foulards? Et bien, je vais vous en donner!’ Je n’étais pas très consciente de l’importance des matières: je voulais surtout offrir un beau choix. Aujourd’hui, j’ai fait plus de recherches et je sais que, pour les foulards, aucune matière n’est meilleure ni plus durable que la soie."
Sa marque, qui proposera bientôt des foulards d’été et des foulards d’hiver, est entièrement financée par les activités principales de la créatrice: le mannequinat et, depuis qu’elle poste des tutoriels en ligne, l’influence et la création de contenu.
"Cela rapporte suffisamment pour mettre de l’argent de côté. D’autre part, je suis très stricte en ce qui concerne mes collaborateurs et ma façon de travailler, ce qui représente un engagement important. En tant que mannequin, on amène son corps lors d’une prise de vue et c’est tout, alors qu’en tant que créatrice de contenu, je conçois les idées, je choisis les tenues, je propose les plans et j’édite les images. Il y a cinq ans, je n’y connaissais rien; aujourd’hui je suis une femme d’affaires qui négocie des contrats."