Malgré la tendance qui nous encourage à accepter notre corps tel qu’il est, les vêtements sculptants ont le vent en poupe. Alors, hypocrisie ou promesse alléchante?
Il y a une bonne vingtaine d’années, la jeune Sara Blakely coupa les pieds d’un collant gainant au niveau des cuisses pour le porter sous une robe d’été. Elle trouvait que cela amincissait sa silhouette et ses jambes. Dès lors, elle n’eut de cesse de l’améliorer.
Dans la foulée, elle crée une petite entreprise dans laquelle elle injecte 5.000 dollars et se lance dans la prospection de fabricants de bonnèterie. Elle baptise sa marque Spanx, un nom qu’elle voulait plus audacieux que ceux des marques de lingerie traditionnelles de l’époque.
En 2000, année du lancement, le succès est au rendez-vous: Spanx réalise un chiffre d’affaires de 7,8 millions d’euros. L’histoire de Blakely ressemble à un énième exemple du rêve américain... La stratégie marketing mise en place par l’entrepreneuse était simple, mais efficace: fabriquer des prototypes dans de nouveaux tissus technologiques et les faire tester par de (très) nombreuses femmes.
Résultat: les femmes aux formes généreuses, à l’instar d’Oprah Winfrey, sont fans. Plus étonnant, les femmes minces le sont aussi: Gwyneth Paltrow, la minceur incarnée, fait savoir qu’elle en porte sous ses vêtements couture.
Grâce aux confidences d’une foule de clientes enthousiastes, Spanx est aujourd’hui une entreprise qui pèse pas moins de 1,1 milliard d’euros et appartient au groupe d’investissement américain Blackstone. Tout comme "bic" pour le stylo à bille, "Spanx" est devenu le synonyme de sous-vêtement correcteur élastique.
Aujourd’hui, la marque propose non seulement des culottes et des shorties, mais aussi des fonds de robe et des bodys. Elle est loin d’être misandre, il existe également des "control-tops" pour hommes. Oui, eux aussi ont manifestement besoin de soutien, mais au niveau du ventre.
Lovers, haters, and... players
À quoi est dû ce succès? De nombreuses femmes sont des adeptes de ces sous-vêtements dont l’élasticité ferme dissimule l’affaissement des fesses, floutent la peau d’orange des cuisses, aplatissent le ventre et affinent la taille. Ce ne sont pas elles qui le disent, mais moi. En effet, je dois avouer que j’ai porté une culotte correctrice - pas une Spanx, je précise - le jour de mon mariage. Et à la fin de la soirée, mon mari a dû m’en extirper!
Bref, Spanx n’a rien à voir avec la bonne vieille gaine à l’ancienne: à grand renfort d’élasthanne et de technologie textile, ces body shapers sont confortables et bien conçus. En termes de tension, on a le choix entre firm control, light control, medium control et tummy control.
Par où commencer? J’ai posé la question à mes amies Facebook. Leurs réponses révèlent que les vêtements sculptants comptent autant de ferventes adeptes que de détractrices absolues. Celles qui détestent le shapewear après un essai infructueux resteront sur leurs positions.
La marque Spanx a révolutionné le monde du shapewear au début des années 2000. Depuis, Kim Kardashian (avec Skims) et Lizzo (avec Yitty) ont également lancé leur marque, prônant le body positivity.
Celles qui l’apprécient en portent presque tous les jours. Une amie m’a avoué: "Ce n’est pas toujours confortable, mais on s’y fait." Une autre, également extrêmement satisfaite, m’a confié: "Presque tous les jours, j’enfile un shorty Spanx ou Snag Tights, une marque pour les femmes rondes. Ils se portent comme des bas nylon, ils sont fins et respirants."
Un monde merveilleux de formes sculptées s’offre à moi. Cependant, obtenir une silhouette en sablier n’est pas une mince affaire. Il faut procéder par essais et erreurs. Ce n’est pas parce qu’une première culotte correctrice a été une catastrophe qu’une autre ne conviendra pas,
Outre les lovers et les haters, il existe manifestement un troisième groupe: les players, qui comptent en tirer profit. Kim Kardashian en tête. Il était inévitable que Kim lance des sous-vêtements gainants, elle qui a toujours été la reine de la compression. L’Américaine explique que ses sous-vêtements visent à remédier aux "faux pas de la mode tels que bretelles de soutien-gorge visibles et bourrelets disgracieux, des problèmes auxquels même la plus superbe fashionista peut se trouver confrontée."
Oui, Kim ressent notre douleur. Sa ligne de shapewear, Skims, c’est du "solutionwear". Les pièces Skims sont fabriquées dans une matière confortable et douce et elles promettent un changement notable et stylé de la silhouette.
La silhouette Kardashian
Qu’à cela ne tienne, nous commandons une culotte haute sur le site de Skims, où Kim Kardashian propose toutes sortes de pièces stylées, dont un shorty à porter sous une robe fendue. Si les culottes de Kardashian sont aussi stylées que sa maison, dans laquelle Axel Vervoordt et Vincent Van Duysen ont pu laisser libre cours à leur grand sens du style, nous sommes prêts à payer 50 euros, histoire de pouvoir enfin céder à l’attrait de mes robes, trop ajustées pour être honnêtes.
D’autres surfent sur la même vague. La chanteuse Lizzo a suscité une certaine controverse suite au lancement de sa marque de shapewear, Yitty. En effet, elle ne rate pas une occasion pour créer la polémique au sujet de (ou plutôt avec) son corps aux formes généreuses. Elle lance ses kilos dans la mêlée avec bravoure. Sur scène et en dehors. Lizzo est l’une des figures de proue du mouvement "body positive".
C’est un nouvel impératif: nous devons aimer notre corps tel qu’il est et cesser de nous conformer à l’idéal de beauté patriarcal de ces maudits boomers. Dès lors, il peut paraître étonnant que Lizzo ait lancé Yitty. Son label a été commercialisé de façon magistrale: Yitty ne promet pas une taille de moins ou une silhouette plus fine, car, chez Lizzo, tout est axé sur le fun, les couleurs flashy et le confort de sous-vêtements destinés à toutes les femmes, de la taille XS à 6X. La promesse? "Do whatever makes you feel good."
Cependant, le shapewear flirte avec cette étrange limite de la contradiction. Le fait est que toutes les femmes (même les plus grandes body positivistes) ont parfois des jours sans et alors, un soutien supplémentaire est le bienvenu. Le shapewear peut avoir le même effet que le maquillage ou les stilettos. Cependant, on peut se demander pourquoi l’illusion d’une silhouette plus ferme parvient à donner cet effet de bien-être.
Se pourrait-il qu’une aspiration à un poids plus léger et une silhouette plus fine sommeille en toute femme? L’appel à la body positivity ne serait-il pas l’expression cachée d’une insatisfaction vis-à-vis de ses imperfections plus qu’une réaction contre l’idéal patriarcal? J’avoue que là, je donne ma langue au chat.
Compression et expansion
Dans l’intervalle, ma nouvelle culotte Skims est arrivée, dans une terne enveloppe brune et sans le moindre mot de remerciement. Autant pour le style de Kardashian, dont la marque de loungewear pèse aujourd’hui 2,8 milliards d’euros, après une levée de capitaux frais de 212 millions d’euros au début de l’année. Il est temps de procéder au grand test. En ce jour le plus chaud de l’année, le thermomètre affiche un très beau 39°C. Je sors la culotte de l’emballage. Une fois dépliée, il s’avère qu’elle ne fait que 20cm de large. Un format plutôt mini pour une taille L/XL! Reste à savoir si je peux y passer ne serait-ce qu’une jambe.
Si elles sont trop moulantes, ces pièces peuvent comprimer et bloquer les organes, avertissent les experts médicaux.
"Allez maman, vas-y, tu peux le faire!", s’écrie la fan des Kardashian de 15 ans qui se trouve à mes côtés. On y va et, yessss, ça marche! Mes fesses sont rondes, ma silhouette est affinée. Mais, que dire de ces deux poignées d’amour sous les aisselles? Et quand je m’assieds, le bord supérieur de mon slip roule vers le bas. Ma tête est sur le point d’exploser: je pense qu’il me faut une autre marque. Désolée, Kim, je vais devoir chercher une alternative!
Heist me paraît une bonne idée: pour son functionwear, cette marque britannique aligne les commentaires positifs et semble encore plus stylée que Skims. Heist s’oppose aux vêtements sculptants qui vous étouffent et estime que tout le monde mérite des habits procurant une belle apparence et un véritable bien-être. Voilà qui me semble très libérateur.
D’ailleurs, est-il sain de se comprimer les chairs dans un fourreau aussi serré? L’étroitesse appelle à une certaine prudence. Si elles sont trop moulantes, ces pièces peuvent comprimer et bloquer les organes, avertissent les experts médicaux. Ce serait mauvais pour les poumons, la circulation du sang et la digestion. Il est donc recommandé de réserver les sous-vêtements gainants à un usage occasionnel.
Toute personne souffrant de problèmes intestinaux ou vésicaux est à risque d’incontinence, affirme-t-on plus loin. De la vessie et des intestins. Bye bye contrôle, bonjour culotte d’incontinence! Le shapewear ne provoque-t-il pas non plus un relâchement musculaire? Davantage de cellulite? Faut-il être pour ou contre? Nous débattons, tournons et retournons la question, la tête penchée avec incrédulité sur les marques profondes laissées par les élastiques sur la peau.
En tout cas, une chose est sûre: ceux qui ont investi dans l’industrie du shapewear se portent comme des charmes. Et il y a encore beaucoup de marge pour faire croître ce business et multiplier les bénéfices. Une période passionnante nous attend.