Cette photo a été prise en 1984, juste après l’ouverture de Stijl. Ce manteau de la marque suisse A Propos. reste tout à fait tendance, Aujourd’hui encore.
Cette photo a été prise en 1984, juste après l’ouverture de Stijl. Ce manteau de la marque suisse A Propos. reste tout à fait tendance, Aujourd’hui encore.

Sonja Noël et Stijl : 40 ans d'avant-garde dans la mode bruxelloise

Il y a quarante ans, Sonja Noël installe sa boutique Stijl rue Antoine Dansaert, créant une mini-révolution urbaine avant-gardiste. Une institution en 8 moments-clés.

Septembre 1984

L’ouverture de Stijl

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La rencontre qui allait changer sa vie est tombée à point nommé. Étudiante en dernière année d’histoire de l’art à Bruxelles et de nouveau célibataire, Sonja Noël fait chez une amie la connaissance d’Imelda, une Suissesse très branchée, propriétaire d’une boutique à Lausanne. Imelda envisage de s’implanter à Bruxelles et lui lance une proposition: ouvrir une boutique ensemble. "À l’époque, je m’intéressais davantage à l’art, et j’aurais sans doute ouvert une galerie ou quelque chose dans le design. Mais quand on est jeune, on a envie de tout essayer, et j’ai su changer de cap rapidement. Après moins de cinq minutes de conversation, j’en étais sûre: c’était ce que je voulais. Avoir sa propre boutique, c’est la liberté. La liberté de choisir comment organiser à la fois son espace et sa vie."

Alors qu’à l’époque, la plupart des boutiques se concentraient dans le haut de la ville, Sonja Noël fréquentait le centre-ville, où elle retrouvait ses amis artistes dans des cafés comme L’Archiduc, Le Falstaff ou encore le Beursschouwburg. Elle connaissait bien le quartier: beaucoup de bâtiments vacants, beaucoup de lieux industriels, et surtout, des prix dérisoires. "En d’autres termes, avec énormément de possibilités de développement."

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La découverte du travail de Marina Yee a marqué le début d’une amitié durable, tout comme avec ceux qui deviendraient plus tard connus sous le nom des "Six d’Anvers".
La découverte du travail de Marina Yee a marqué le début d’une amitié durable, tout comme avec ceux qui deviendraient plus tard connus sous le nom des "Six d’Anvers".

Au final, Imelda a renoncé au projet - les réglementations et les taxes à l’importation rendaient l’entreprise belgo-suisse trop compliquée. Mais Sonja, elle, était lancée -tout comme Stijl. "Si j’ai paniqué? Pas du tout. Comme Imelda avait déjà acheté la première collection, je n’avais rien à perdre. J’étais surtout excitée. Comme je n’avais jamais fait ça auparavant, j’ai tout simplement foncé."

Sur la photo, prise quelques jours après l’ouverture, on aperçoit l’une des premières pièces vendues chez Stijl: un manteau avant-gardiste de la marque suisse A Propos, que Sonja avait découverte grâce à Imelda. Détail insolite: comme elle se souvenait encore de la personne qui l’avait acheté en 1984, elle a réussi à remettre la main sur cet exemplaire précis pour l’exposition.

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1984

Coup de foudre Marina Yee

"Marina Yee se souvient elle aussi encore très bien de notre première rencontre", sourit Sonja Noël. Au début des années 1980, le Plan textile belge tente de mettre l’industrie nationale à l’honneur grâce à ‘De Gouden Spoel’, un concours de design organisé tous les deux ans. Parmi les candidats, la jeune créatrice anversoise Marina Yee tente sa chance. "Elle raconte toujours que j’étais tellement impressionnée par ses manteaux que je l’ai immédiatement abordée en lui déclarant: ‘Je dois absolument vendre tes pièces dans ma boutique’. Avec le recul, c’était d’une naïveté totale, car bien sûr, Marina ne présentait que des prototypes, pas une véritable collection. Et pourtant, j’ai vendu ces pièces chez Stijl - des manteaux aux accessoires, y compris des lunettes de soleil fabriquées avec du matériel de dentiste."

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"Stijl a introduit un concept de boutique inédit. Je n’avais ni prédécesseurs ni modèles à suivre, si bien qu’avec le temps, Stijl est lui-même devenu une référence, bien au-delà des frontières."
Sonja Noël
Créatrice de la boutique Stijl

Ce fut le début d’une longue amitié, y compris avec d’autres amis de Marina Yee, bien avant qu’ils ne deviennent mondialement célèbres. "Ann Demeulemeester, Dries Van Noten, Dirk Bikkembergs, Walter Van Beirendonck... Je les connaissais déjà bien avant qu’ils ne deviennent célèbres, grâce à Marina." Lorsqu’ils sont partis à Londres et ont accédé à la notoriété en tant que ‘Six d’Anvers’, Marina m’a même lancé: ‘Sonja, viens avec nous!’. Dès qu’ils ont commencé à produire leurs propres collections, ils savaient qu’ils pouvaient compter sur moi à Bruxelles. Stijl a introduit un concept de boutique inédit. Je n’avais ni prédécesseurs ni modèles à suivre, si bien qu’avec le temps, Stijl est lui-même devenu une référence – bien au-delà des frontières."

Dans les coulisses du dernier défilé de Dries Van Noten

1984-2000

Events, events, events!

Les événements de mode à grande échelle n’ont pas attendu l’ère d’Instagram pour exister, la preuve en images. Autrefois, les boutiques organisaient leurs propres défilés. Stijl les mettait en scène dans la rue, à l’opéra et même à la piscine. "Mon compagnon de l’époque, Walter de Weerdt, sortait d’une école de cinéma et avait une vision résolument maximaliste. Il adorait organiser des événements, et nous nous sommes lancés", se souvient Sonja Noël. "Avec Sven Viaene, nous avons mis en scène un théâtre inspiré par le théâtre d’ombres chinoises du Beursschouwburg, pour présenter la collection d’hiver. Une autre fois, nous avons contacté feu Gerard Mortier, alors directeur de La Monnaie, qui souhaitait ouvrir l’opéra à un plus large public. Nous lui avons demandé s’il serait possible de louer le bâtiment pour un défilé, et il a accepté. La salle était pleine à craquer: tous les Bruxellois curieux et audacieux étaient là."

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Avec l’essor d’internet et l’accélération de la diffusion des informations et des images, l’impact commercial de ces grands shows s’est peu à peu estompé. Aujourd’hui, Sonja Noël préfère investir dans des événements de plus petite envergure: "Par exemple, des présentations de collections en boutique, en présence du créateur. Car ne vous y trompez pas: les clients aiment toujours autant le contact direct."

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Aucun lieu n’était trop ambitieux pour Stijl en matière de défilés: de la Beursschouwburg et La Monnaie à la piscine du Résidence Palace.
Aucun lieu n’était trop ambitieux pour Stijl en matière de défilés: de la Beursschouwburg et La Monnaie à la piscine du Résidence Palace.

1987

Pas de bustes, mais de la lingerie

L’histoire la plus marquante, et pourtant souvent oubliée de Stijl? Le nombre de boutiques que Sonja Noël a ouvertes. Moins d’un an après ses débuts, elle inaugurait déjà, avec Walter de Weerdt, une boutique pour hommes juste à côté de Stijl. Puis, en 1987, lorsqu’un local s’est libéré en face, la suite lui a semblé évidente. "Je sentais que la lingerie évoluait. Elle devenait plus sportive, et c’est précisément ce que je souhaitais mettre en avant." Stijl Underwear était né. "Là encore, c’était un concept inédit: beaucoup plus minimaliste, sans ces affreux bustes ni ces gros plans sur les affiches." (grimace) "Je me suis dit: dehors tout ça! Chez Underwear, on essayait la lingerie comme n’importe quel vêtement, dans de grandes cabines d’essayage en briques de verre. L’aménagement existe toujours: la boutique a d’abord été reprise par Geertje Milis, puis l’année dernière par les sœurs Prophete."

Au fil du temps, l’offre a évolué. "Ma sélection était encore très exclusive (à l’époque, on pouvait encore le dire!), tandis que les nouvelles propriétaires ont élargi l’offre, et avec succès. C’est une évolution normale: en tant que propriétaire de boutique, on ne peut pas tricher, on doit choisir son offre en accord avec sa propre sensibilité."

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L’ouverture d’Underwear, en 1987, a d’ailleurs donné lieu à l’un des défilés les plus spectaculaires du Résidence Palace, conçu par Michel Polak, l’architecte de la Villa Empain: "Les mannequins défilaient autour du bassin et sur l’iconique escalier Art déco de la piscine. Dans l’eau: des nageuses synchronisées, portant nos toutes dernières collections. Oui, car nous venions tout juste de nous lancer dans le swimwear!"

À 33 ans, Sonja Noël avait trois enfants et trois boutiques. "Je ne sais pas comment je m’en sortais à l’époque. Tout ce que je sais, c’est qu’à cet âge-là, on avait beaucoup plus d’énergie", explique-t-elle en souriant. Et d’autres boutiques allaient encore suivre...

2002

Première boutique Maison Martin Margiela au monde

En 1988, Sonja Noël fut la première à acheter des pièces de Martin Margiela. "Même de la collection de lancement, qui n’a jamais été mise sur le marché, j’ai réussi à vendre des pièces." "À mesure que Margiela lançait de nouvelles lignes - la gamme plus accessible MM6, des chaussures, des accessoires -, ses collections ont fini par prendre tellement d’ampleur que j’ai voulu lui consacrer une boutique à part entière."

Noël est ainsi devenue la toute première propriétaire d’une boutique Maison Martin Margiela au monde, fidèle à son approche éprouvée: "Nous avons ouvert rue Léon Lepage, en face du café Au Laboureur, à une époque où l’endroit était encore très brut."

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Reprise plus tard par Nicola Vercraeye, la boutique a fermé ses portes en 2020. Mais l’aménagement, conçu par Margiela lui-même, est resté intact. Depuis 2021, il accueille la librairie Saint-Martin Bookshop, spécialisée dans les livres d’art.

2010-2014

L’évangile vert d’Haleluja

Bien avant que la durabilité ne devienne un sujet brûlant et que toutes les marques ne se sentent obligées d’en parler, Sonja Noël voulait prouver que produire de manière responsable et adopter la slow fashion n’avait rien d’ennuyeux. En 2010, elle ouvre Haleluja. "Pas avec deux l, mais un seul - je trouvais que ça sonnait plus international", explique-t-elle. Dans les rayons, on trouvait notamment Honest by Bruno Pieters, Jan Jan Van Essche et les créations ingénieusement upcyclées de Christopher Raeburn, qui offrait une nouvelle vie à des surplus militaires.

"Je suis convaincue qu’un bon œil est un don inné -on l’a, ou on ne l’a pas. Aya explorait déjà mon armoire à chaussures avant même de savoir marcher."
Sonja Noël
Créatrice de la boutique Stijl

En 2014, Haleluja a fermé ses portes pour faire place à une boutique Stijl dédiée à la mode masculine. "Avec le recul, nous avons peut-être arrêté trop tôt. Depuis, et surtout après la pandémie, presque toutes les marques avec lesquelles je travaille misent sur la durabilité, souvent sans en faire un argument marketing. Rick Owens, par exemple, utilise très peu de plastique ou de dérivés du pétrole dans ses collections et emballages, et le cuir est de plus en plus tanné naturellement."

Détail amusant: l’un des tout premiers manteaux militaires de Christopher Raeburn a fait son retour chez Stijl à l’occasion de l’exposition. Pour Sonja, la preuve ultime du caractère visionnaire et intemporel du concept: "Cette pièce pourrait parfaitement avoir été conçue aujourd’hui."

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2010-2014

The first to show

Dans le monde de la mode, c’est bien connu: alors que d’autres boutiques attendent de voir comment les choses évoluent, Stijl ose être la première à miser sur de toutes nouvelles collections. "En effectuant des recherches pour préparer l’exposition, je me suis replongée dans d’anciennes interviews et j’ai réalisé que je travaille toujours selon les mêmes principes qu’à mes débuts, dans les années 1980", confie Sonja Noël. "Règle numéro un: je n’intègre de nouveaux créateurs à mon offre que s’ils apportent quelque chose de véritablement nouveau, un style que je n’ai encore jamais vu auparavant. Et cela arrive rarement. La dernière fois? C’était la Bruxelloise Marie Adam-Leenaerdt - j’ai directement acheté sa collection. Il est rare qu’une personne de son âge ait une vision aussi affirmée. Quelle personnalité! Et cela se reflète dans ses vêtements: les porter, c’est s’affirmer."

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© Chiara Steemans

2025

L’exposition 40+ Years of Stijl

S’il y a une chose que la fondatrice de Stijl tient à préciser, c’est qu’elle ne porte pas ce projet seule: "Ici, on plaisante souvent en disant que Sonja fait tout, et que tout ce qu’elle ne fait pas, c’est son mari Erik van der Post qui s’en charge!" (rires). "Il gère l’aspect commercial, même s’il aime se qualifier avec dérision de concierge de luxe -et il a raison: quelqu’un doit bien s’occuper des ampoules à remplacer!"

Le même principe s’applique à l’exposition qui ouvrira bientôt ses portes à Bruxelles: si elle repose sur l’histoire de Sonja Noël et la façon dont Stijl a traduit la mode iconique dans la vie quotidienne, sa conception est entièrement entre les mains de sa fille, Aya Noël.

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Aya Noël, ayant grandi dans l’univers de la mode, est devenue journaliste et experte en la matière. Ici, à côté de sa mère Sonja, elle assure le commissariat de l’exposition.
Aya Noël, ayant grandi dans l’univers de la mode, est devenue journaliste et experte en la matière. Ici, à côté de sa mère Sonja, elle assure le commissariat de l’exposition.
© Chiara Steemans

"Je suis convaincue qu’un bon œil est un don inné - on l’a, ou on ne l’a pas. Aya explorait déjà mon armoire à chaussures avant même de savoir marcher. Alors que ses frères insistaient pour que je leur choisisse des vêtements ordinaires, elle voulait toujours des pièces audacieuses. C’est ce qui la rend unique. Le fait d’avoir étudié et vécu à l’étranger pendant douze ans (Aya Noël est journaliste et critique de mode, NDLR) lui permet d’avoir le recul nécessaire sur cette histoire. Du concept à l’organisation thématique, en passant par les textes et le magazine qui accompagne l’exposition, c’est elle qui a tout imaginé."

"40+ years of STIJL"

Du 18 avril au 11 janvier 2026
Musée Mode & Dentelle
Rue de la Violette 12 à Bruxelles
www.fashionandlacemuseum.brussels

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