Le créateur de mode italien Walter Albini était visionnaire qui a inspiré ses contemporains, dont Giorgio Armani et Gianni Versace. Son label est aujourd'hui sur le point d’être relancé.
Qui est Walter Albini? Un créateur de mode dandy passionné par l’esthétique "camp" (l’esprit d’extravagance mêlé au glamour, selon sa théoricienne, l’Américaine Susan Sontag, ndlr), Hollywood, l’Art déco et Gatsby le Magnifique de F. Scott Fitzgerald, auquel il a même consacré une collection en 1973. Fort de ces connaissances sur un sujet de niche, vous pourriez aller loin dans un jeu à la "Questions pour un champion". Bien que son nom soit aujourd’hui pratiquement oublié, c’était un visionnaire. Celui qui fut un pionnier de l’exploration du genre et queer avant la lettre, est célèbre pour avoir adouci le costume pour homme dès 1973, une innovation sur laquelle Armani allait bâtir son empire.
Ce précurseur est mort jeune, en 1983, à 42 ans, mais il a eu le temps d’innover à tout-va: c’est aussi à lui que le business de la mode doit l’invention géniale — d’un point de vue marketing — de la ligne bis, plus commerciale et plus abordable, qui demeure à ce jour le modèle d’affaires par excellence de la mode italienne (comme Dolce e Gabbana et D&G, Giorgio Armani et Emporio Armani ou Prada et Miu Miu). Autre trait particulier: il ne présentait pas ses collections au Palazzo Pitti à Milan ou dans les salons dorés de Rome, ce qui était la coutume, mais dans l’intimité des galeries d’art ou, au contraire, dans des espaces réservés aux événements, capables d’accueillir trois mille invités, une échelle toujours considérée comme gigantesque en 2024.
Sa carrière fut marquée par des hauts et des bas, principalement en raison d’un manque de soutien commercial pour ses nombreuses idées. Il décède au début des années 80, emporté par le sida.
Du jamais vu
Après avoir étudié la mode à Turin, Albini démarre sa carrière en tant qu’illustrateur et graphiste pour divers journaux et magazines. Il décroche son premier emploi dans le secteur de la mode après sa rencontre avec Mariuccia Mandelli. Il rejoint alors Krizia, le label de Mandelli, qui était à l’époque un des plus influents de Milan. Il y travaille pendant trois ans, à peu près au même moment que les futurs géants de la mode Gianfranco Ferré et Karl Lagerfeld. C’est ce dernier qui a qualifié Mariuccia Mandelli de "Miuccia Prada des années 60 et du début des années 70", ajoutant qu’«à cette époque, Milan était encore plus excitante que Paris et que Mandelli en était l’indiscutable souveraine».
Après Krizia, Albini se fait un nom en tant que "styliste mercenaire", et est rapidement très sollicité par une foule de marques et de boutiques italiennes de prêt-à-porter, ainsi que par le prestigieux grand magasin Rinascente. Malgré ce succès, son nom n’apparaît généralement pas sur les étiquettes. Il rêve alors de lancer sa propre ligne, non pour faire une version italienne de la haute couture, mais pour proposer une mode accessible à tous.
À cette fin, il réunit ses créations pour cinq clients différents en une seule collection cohérente, qu’il présente à Milan le 27 avril 1971: du jamais vu. Ce défilé inaugure un nouveau modèle d’affaires où les rôles sont inversés: les créateurs occupent le devant de la scène et les fabricants, l’arrière-plan. Ses collections rendent hommage à l’Art déco, Hollywood et l’entre-deux-guerres. Du glamour teinté d’influences hippies, car Albini adorait l’Inde.
Le nouveau modèle d’affaires d’Albini s’avère éphémère, puisqu’il ne présente que six collections. À partir de 1978, il ajoutera trois saisons supplémentaires aux quatre déjà livrées. En 1979 et 1980, il introduit son concept de lignes bis, Arlanda styled by Walter Albini.
S’il ne fait aucun doute que le créateur était brillant, sa carrière fut marquée par des hauts et des bas, principalement en raison d’un manque de soutien commercial pour ses nombreuses idées. Il décède au début des années 80, emporté par le sida.
Une vaste rétrospective consacrée à son travail est présentée au Museo del Tessuto di Prato, une ville près de Florence. L’exposition retrace l’héritage créatif d’Albini, depuis ses débuts d’illustrateur à la fin des années 60 jusqu’à ses dernières collections du début des années 80.
Come-back
Quarante ans après sa disparition, sa marque s’apprête à renaître. Bidayat, une plateforme d’investissement basée en Suisse originaire du Moyen-Orient, a acquis les droits de propriété intellectuelle ainsi que les archives du créateur. Le directeur artistique n’a pas encore été nommé: on parle d’Alessandro Michele, ancien de chez Gucci et profondément influencé par Albini, mais ces bruits de couloir ont été promptement démentis. La date précise du lancement n’a pas non plus été communiquée. Les investisseurs prennent leur temps pour faire résonner à nouveau le nom de Walter Albini, notamment via le lancement d’un élégant site web et d’un compte Instagram. Pour ce faire, ils collaborent avec l’un des principaux collectionneurs de pièces vintage du créateur.
En attendant, une vaste rétrospective consacrée à son travail est présentée au Museo del Tessuto di Prato, une ville près de Florence. L’exposition retrace l’héritage créatif d’Albini, depuis ses débuts d’illustrateur à la fin des années 60 jusqu’à ses dernières collections du début des années 80. Les commissaires ont réuni vêtements, accessoires, bijoux et tissus, mais aussi dessins, esquisses et photographies. Pour ce faire, ils ont puisé dans la collection Walter Albini du musée, un trésor de plus de 1.700 pièces provenant des effets personnels du créateur léguées par Paolo Rinaldi, un proche collaborateur du maestro.
Énigme
Il semble judicieux de ne pas précipiter le processus de relance. Au cours de la dernière décennie, des fortunes ont été investies en vain dans la renaissance de marques de luxe jadis prestigieuses aujourd’hui oubliées comme Vionnet, Paul Poiret ou Halston. Même cas de figure pour le label Fiorucci, pour lequel les nouveaux propriétaires italiens ont élaboré une stratégie de relance dont l’efficacité reste à prouver. Quant à la relance de Patou, sous la houlette du créateur Guillaume Henry, les avis sont pour le moins partagés. Le nom d’Albini est moins connu que celui de Vionnet, Poiret, Halston ou Patou. C’est peut-être une chance: le fardeau d’une énigme est moins lourd à porter que celui d’un nom plus familier.
| Exposition "Walter Albini. The Talent, The Designer"
du 23 mars au 22 septembre au Museo del Tessuto di Prato
Via Puccetti 3 à Prato
www.museodeltessuto.it