Isabelle Dervaux vous aide à faire le tri dans vos photos

Vous n’arrivez pas à mettre de l’ordre dans vos milliers de photos? Il est peut-être temps de faire appel à un curateur de photos personnel. Oui, ça existe...

Cet article commence par une mission. Prenez votre smartphone, allez dans votre galerie de photos et soyez impitoyable. Ces sept photos de votre raquette de padel avec ce couple d’amis à l’arrière-plan, les regarderez-vous encore dans 15 ans? Bien sûr, c’est génial que vous ayez fait le Mur de Grammont, mais combien de photos de votre vélo de course sur les pavés sont-elles vraiment nécessaires? Et cette soirée de 2014 au restaurant Hof van Cleve? Elle était magique, mais combien de fois allez-vous encore regarder ces images de la mise en bouche à la mousse d’algue?

Avant, c’était plus facile. En vacances, nous emportions deux pellicules et personne n’aurait eu l’idée de les consacrer à un verre de spritz. Avec l’arrivée de l’appareil photo numérique et, surtout, du smartphone, la situation a changé. Nous prenons des milliers de photos, mais combien de fois les regardons-nous une fois rangées dans des boîtes en carton ou dans des albums? Sans parler de toutes celles qui se trouvent encore dans de vieux GSM et PC, et que nous ne pouvons pas jeter.  Bref, un tri s’impose, mais qui y a consacré le temps nécessaire, même en cette année de pandémie?

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Un chaos photographique

Il y a une solution pour chaque #firstworldproblem. Pour celui-ci, pourquoi ne pas faire appel à une assistante à la Marie Kondo, la gourou du rangement? Une des plus célèbres curatrices de photos est Isabelle Dervaux. La Française vit avec sa famille à New York depuis des années. En tant que "photo organizer", elle y aide chaque année une quarantaine de clients à mettre de l’ordre dans leur chaos photographique. La formule de coaching starter coûte 995 dollars et donne droit à quatre séances de deux heures ainsi qu'à des conseils via Zoom, mais on peut aussi faire appel à elle en régie et lui confier sa collection pour 125 dollars de l’heure.

Soyez sélectif: ne prenez pas 20 photos si vous n’avez pas le temps d’éliminer les 19 ratées.
Isabelle Dervaux
Curatrice de photos

"Mes clients sont soit des couples dans la cinquantaine et la soixantaine, soit des jeunes mères. Les couples plus âgés sont en général des personnes aisées qui souhaitent mettre de l’ordre dans leur collection de photos pour la génération suivante. Dans ces cas-là, je travaille à la manière d’un détective et je passe des heures à farfouiller dans des vieux cartons. J’essaie de comprendre les photos et de les utiliser pour raconter la vie de mes clients. Un bon exemple est celui d’un couple qui fêtait son 25e anniversaire de mariage. Chaque année, il partait en vacances au même endroit et j’ai trouvé 25 photos du sommet de la montagne qu’il gravissait à chaque fois."

"Les jeunes mamans me contactent plus souvent par désespoir. En général, quand elles ont leur premier bébé, elles parviennent à se constituer une collection de photos organisée, mais, à partir du deuxième ou du troisième bébé, le chaos prend le dessus. Je leur apprends à être sélectives et leur dit de ne pas prendre 20 photos si elles n’ont pas le temps de supprimer les 19 qui sont ratées. Il vaut mieux ne prendre qu’une seule bonne photo en veillant à la qualité de la lumière et de la composition. Qui veut d’une poubelle à l’arrière-plan de la photo de son bébé?

©Philip Van Bastelaere

Des ex et des clichés de nus

Mais pourquoi se donner tant de mal? Est-ce si dramatique d’empiler les albums de  photos dans un placard poussiéreux? Ou de mettre ses photos en sécurité dans le cloud? En fait, une bonne raison d’organiser sa collection de photos est de penser à la génération suivante. "Il est important que les enfants ou les autres membres de la famille comprennent d’où ils viennent, qui les a façonnés dans leur enfance", explique Dervaux. "Certains clients préfèrent ne pas tomber sur un ex dans leur collection de photos éditée. Pourtant, j’insiste pour qu’ils ne suppriment pas ces photos, même si le divorce a été douloureux. Les enfants ont besoin de savoir que leurs parents se sont aimés."

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Bien sûr, fouiller dans la collection de photos de quelqu’un d’autre n’est pas sans risques. Dervaux n’est-elle jamais tombée sur des "nus" ou des informations confidentielles? "J’ai déjà vu tout ce que l’on peut imaginer. Mais, avant de me lancer, je signe un accord de confidentialité. Mon travail est tellement intime que je tiens à garantir à mes clients que ce que je découvre restera entre nous."

"Les gens oublient souvent que, dans leur jeunesse, ils ont fait des choses un peu spéciales. Je place alors ces photos 'spéciales' dans un fichier à part et je leur recommande de ne pas les montrer à leurs enfants. Mais il s’agit généralement d’un travail ennuyeux: filtrer des centaines de photos de bébé ou  supprimer tous les clichés ratés pris par un enfant en bas âge, ce n’est pas particulièrement foufou."

Un entretien préliminaire gratuit

Aux États-Unis, on dénombre aujourd’hui environ 750 "photo organizers" reconnus. Le phénomène est beaucoup plus implanté là-bas qu’en Europe. "Je ne sais pas si ça marcherait aussi bien à Paris", pointe Dervaux. "En Amérique, les gens sont plus habitués à faire appel à un professionnel en cas de problème."

Pourtant, plus près de chez nous, on peut également trouver des curateurs de photos professionnels, dont Ellen Massaro, Karin Brouwer et Ingeborg Koot qui ont fondé FON (Photo Organizers Netherlands). "Récemment, pour une jeune maman, nous avons fait une sélection parmi toutes les photos qu’elle avait prises depuis la naissance de son enfant, qui a maintenant trois ans. Cependant, nous avons remarqué que la plupart des gens préfèrent suivre des ateliers pour apprendre à gérer leur propre collection de photos, plutôt que de le déléguer", explique Koot. "Si c’est le cas, nous commençons toujours par un entretien portant sur ce qu’ils veulent exactement."

Les trois dames m’accordent un premier entretien gratuit. Qu’est-ce que j’attends vraiment de ma collection de photos? Je voudrais, de préférence, une collection chronologique reprenant quelques dizaines de photos par an de voyages, de soirées, mais aussi des petits moments de bonheur du quotidien.

La première neige

"Ne montrer que le meilleur et être impitoyable", telle est la devise de Dervaux. Elle a établi trois règles d’or pour sélectionner de bonnes photos: émotion, esthétique et information. Recherchez des photos chargées d’émotion, quelque chose qui vous fait sourire ou un portrait qui capture pleinement une personne. Autre critère, l’esthétique: préférez l’éclairage parfait et la composition nickel. Troisièmement, demandez-vous quelle information, limitée ou importante, la photo communique. Les chaussures Buffalo et les crop tops représentent bien la mode des années 2000. Un selfie pris à Paris sur fond de Tour Eiffel. Bref, préférez les images qui représentent bien l’époque où elles ont été prises.

"Les plus importantes sont celles que vous prenez pour en garder le souvenir, en famille et avec vos amis."
Photo Organizers Netherlands
Curatrices photo

Il est bon de savoir quels types de photos vous avez dans votre collection, expliquent les curatrices de FON. "Les plus importantes sont celles que vous prenez pour en garder le souvenir, en famille et avec vos amis. Un peu comme les photos que vous preniez autrefois avec votre appareil jetable, lors des mariages et anniversaires, à Noël et au Nouvel An, mais aussi les chouettes moments de la vie quotidienne."

Les photos et les captures d’écran "pense-bête" sont une nouveauté résultant de la révolution numérique. Des recettes, des adresses où vous avez envie d’aller... "Ces photos ont une valeur temporaire et utilitaire et il est inutile de   les conserver dans votre collection. Placez-les donc dans un dossier séparé."

Enfin, il y a les photos que l’on voit apparaître à des milliers d’exemplaires sur les réseaux sociaux. C’est le printemps et tout le monde poste des fleurs; la première neige tombe et nous voilà inondés de tapis immaculés sur Instagram. "Ces photos purement esthétiques ont également une valeur", explique Dervaux. "Elles illustrent la beauté à laquelle on est sensible, une vision du monde, ce qui rend heureux. Ces images ont tout à fait leur place dans une bonne collection de photos, mais il faut bien les sélectionner."

Douze photos de cappuccino

Il est temps de passer à l’action. Je fais défiler mes 26 années de photos, déjà bien fournies. Des albums remplis de photos d’enfants dans les champs que ma mère avait prises et conservées avec grand soin. Des clichés numériques pris avec mon smartphone lors de mon dernier voyage à Cuba avec des amies, et qui me font plus que jamais rêver. En parcourant ces photos et ces souvenirs, on apprend à se redécouvrir. Une des leçons les plus importantes que mon passé m’ait apprises? On n’épile jamais ses sourcils!

Parmi les photos récentes, il y a aussi 12 (!) clichés du premier cappuccino pris lors de la réouverture des terrasses. Leur valeur esthétique est discutable, mais ça me rend tellement heureuse que j’en garde un. Mon but ultime? Quelques albums de photos que je peux feuilleter de temps en temps avec plaisir avec mes amis et ma famille, pour se remémorer des souvenirs le soir, avec un petit verre de vin. Et je garderai certainement à l’esprit un dernier conseil de Dervaux: "Assurez-vous que lorsque vous montrez votre collection de photos à quelqu’un, il ne s’ennuie jamais. Always leave them wanting more."

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