L'app Strava permet aux cyclistes de se mesurer aux professionnels. Moins axée sur la performance, Komoot, elle, leur propose de sortir des sentiers battus.
Il est tôt. À Denderleeuw, le ciel se pare de couleurs et l’obscurité recule. Stijn De Veylder clipse sa chaussure de course et montre les Wellemeersen. "Autrefois, cette région était beaucoup plus vaste", explique le jeune sportif. "Avant, le matin, je voyais des cerfs et des faisans: l’industrie à gagné du terrain."
Il introduit sa destination sur son ordinateur de vélo et part au bureau, en direction de Liedekerke. Chaque semaine, il cherche de nouveaux itinéraires, ce qu’il fait toujours via Komoot. "Il y a tellement de belles choses à voir!"
Comme beaucoup, Stijn est à la recherche de nouveaux trajets, ce qu’il fait dans l’esprit du livre "Sur les chemins noirs" du voyageur, aventurier et philosophe Sylvain Tesson qui, il y a quelques années, est parti à pied à travers la France. "Je voulais m’en aller par les chemins cachés, bordés de haies, par les sous-bois de ronces et les pistes à ornières reliant les villages abandonnés", écrit ce dernier.
Ici, il n’y a pas d’ornières et toutes les mûres ont été cueillies. "Grâce à Komoot, je continue à découvrir des chemins. Je ne savais pas qu’il y avait autant de châteaux!"
En quête de calme
Ce qui titillait Tesson est aujourd’hui ce qui, par nécessité, nous motive tous. En quête de calme et de distraction, mais balisés par des règles et des limites, nous sommes poussés hors de la maison par la pandémie et portons depuis un tout autre regard sur notre paysage quotidien. Notre pays devient une terra incognita, à découvrir par le biais d’applications.
C’est la recherche chemins inconnus qui oriente les sportifs vers Komoot.
"We love Tech. We love Nature. We make it easy for everyone to explore the world’s most beautiful places. With just one tap" (Nous aimons la technologie. Nous aimons la nature. Nous facilitons à chacun la tâche d'explorer les plus beaux endroits de la planète. C'est juste au bout du doigt). C’est ainsi que se présente Komoot (dont le nom rappelle "commute" en anglais). L’app a été lancée en 2014 par six jeunes Berlinois, pour rendre la nature plus accessible aux marcheurs et aux cyclistes.
Grâce au capital-risque, provenant notamment de KRW Schindler, le fonds de Philipp Schindler, vice-président de Google, Komoot a rapidement percé en Europe et a désormais un pied en Amérique du Nord.
Komoot déclare être leader du marché européen des "outdoor apps" et compte environ dix millions d’utilisateurs. L’entreprise est constituée d’un réseau de septante collaborateurs qui travaillent à la communauté d’utilisateurs au départ de différents pays.
Ils aident les utilisateurs à créer leurs propres itinéraires, à découvrir de nouveaux chemins et à les faire connaître à d’autres, qui téléchargent à leur tour des photos de ruines, temples, lacs, forêts, mares, pistes pavées, animaux et bien d’autres choses encore.
Les utilisateurs de la plateforme deviennent ainsi des "pionniers" qui ont un statut spécial sur Komoot et qui, à leur tour, inspirent d’autres personnes et ainsi de suite, dans l’espoir que Komoot devienne une communauté mondiale d’amoureux de la nature.
Komoot vs Strava
"J’ai aussi fait de la course", témoigne Stijn en nous guidant à travers les Wellemeersen. Il connaît la réserve naturelle comme sa poche. "Quand mon père participait à des ultraruns (jusqu’à cent kilomètres), il m’arrivait de le suivre à vélo et j’étais aussi fatigué que lui! (rires)
"Avant, j’utilisais Strava. Mais, à la longue, je regardais plus mon compteur que le paysage!"Stijn De Veylder
C’est comme ça que je me suis mis au vélo, mais j’ai abandonné quand j’étais étudiant. Ce qui m’attirait le plus, c’était l’aventure, comme la Transcontinental Race (une épreuve cycliste d’endurance de 3.000-4.000 kilomètres à travers l’Europe). Figurez-vous qu’il s’est avéré que les participants utilisaient Komoot!"
"Avant, j’utilisais Strava, mais je n’aimais pas la pression sociale. À la longue, je regardais plus mon compteur que le paysage. Si je ne roulais pas à une moyenne de trente kilomètres à l’heure, je ne voulais parfois même pas télécharger le trajet."
En effet, Strava (payante depuis le coronavirus) enregistre tout: vitesse moyenne, fréquence cardiaque, calories consommées... et montre ces chiffres en graphiques. Tout est axé sur la performance: d’ailleurs, "Strava" signifie "s’efforcer" en suédois!
"Je n’avais plus envie de ça", ajoute Stijn. "Comme les 'like' sur Facebook, on reçoit des 'kudos' sur Strava et, au bout d’un moment, on est plus préoccupé par ce que les autres pensent que par ce que l’on fait. Par contre, Komoot est axé sur les forêts et l’aventure."
Plus aventureux
Komoot utilise le modèle "freemium", ce qui permet de l’utiliser gratuitement, mais les outils les plus importants, qui portent le label premium, ont un prix. Cependant, il est également possible d’acheter une carte du monde en une seule fois, sans devoir s’abonner.
Komoot affiche un profil plus explorateur que Strava, Runkeeper ou Runtastic.
Comme tous les réseaux sociaux, Komoot tente de pénétrer au cœur du temps libre de ses membres. L’application "colle" demande une participation active (que l’on peut facilement refuser) et propose des annonceurs.
Pour chaque itinéraire, Komoot indique combien de kilomètres on va parcourir sur routes asphaltées, sur pavés, à travers bois, sur graviers ou dans la boue, et mentionne tous les sites touristiques de la région. L’application affiche donc un profil plus explorateur que Strava, Runkeeper ou Runtastic, qui comptent nettement plus d’utilisateurs. C’est la recherche du calme et des chemins inconnus qui, en cette étrange période, oriente les sportifs vers Komoot.
Performance
Le calme est bien la dernière qualité de Brecht Destoop, qui arrive à toute allure sur son vélo. Dans une vie antérieure, Brecht pesait 120 kilos. Aujourd’hui, il court des marathons et il lui arrive même de gagner une course amateur. "Strava a joué un rôle important", témoigne-t-il. "Je faisais des progrès, je perdais du poids, je m’amusais et je cherchais à améliorer ma condition physique."
Nous sommes au pied du Koppenberg, où Strava a peint une ligne de départ sur le sol. La ligne d’arrivée se trouve au sommet de la côte pavée. Strava est connue pour ses segments, comme le Koppenberg, des lieux où la performance est mesurée et reprise dans un classement, ce qui permet ensuite de se comparer à ses amis et des pros.
Celui qui gravit le Koppenberg le plus rapidement est le "Kom", le King of the Mountain (le meilleur grimpeur). Ou la Queen, bien sûr. "Avant, je choisissais des segments dans l’espoir de pouvoir être le Kom!", sourit Brecht. "La compétition, c’est amusant."
Hors des sentiers battus
Les marques de Strava qui apparaissent sur la chaussée sont peut-être une pollution visuelle, mais elles attirent beaucoup de monde. Et c’est l’objectif de Strava. Tout comme les concepteurs de Komoot et d’autres apps de navigation, les Américains de Strava savent, grâce aux "heat maps", qui court, nage, pédale ou marche, et où il le fait. Des données anonymes que l’application vend à des villes.
"Je comprends parfaitement que beaucoup de personnes souhaitent sortir des sentiers battus", déclare Brecht. "Moi aussi je le fais. Il est agréable de chiffrer ses performances, mais entrer dans une forêt et profiter des arbres et du paysage l’est tout autant. J’ai besoin de cet équilibre. Et manifestement, je ne suis pas le seul!"