Des maillots amples pour le basket aux jupes courtes pour le tennis, de strictes règles régissent ce que portent les athlètes féminines. Certaines décident de sortir des sentiers battus.
"Paris dicte la mode au monde entier", déclarait Maria Callas. Ces Jeux olympiques se déroulant pour la 3ᵉ fois dans la capitale française de la mode avec le conglomérat de luxe LVMH comme principal sponsor, les tenues portées sur le terrain et dehors risquent bien de faire couler autant d’encre que les performances sportives.
Retour au Paris des années 1900. C’est non seulement la première fois que les Jeux olympiques se déroulent dans la Ville Lumière, mais aussi que les femmes participent aux compétitions. Les 22 femmes présentes sont autorisées à concourir dans cinq disciplines: le tennis, la voile, le croquet, l’équitation et le golf. Pour la voile, le croquet et l’équitation, elles doivent se mesurer aux hommes, tandis que le golf et le tennis leur sont réservés. Charlotte Cooper (30 ans), remporte la première médaille d’or de l’histoire du tennis féminin. Conformément aux normes de l’époque et du Comité international olympique, elle est vêtue d’une longue robe blanche avec une ceinture et une cravate à rayures, les cheveux coiffés en chignon. Ce n’est pas ce qu’il y a de plus pratique pour jouer au tennis, mais la Britannique démontre ainsi que rien n’est impossible.
Black Panther et jupette
Quel contraste avec la combinaison noire portée par Serena Williams lors de Roland-Garros 2018! L’Américaine a exprimé son goût personnel avec une tenue qui était également une prouesse technologique conçue avec son sponsor, Nike: cette tenue visait à stimuler sa circulation sanguine, un peu comme des bas de contention, car, depuis son accouchement, la star du tennis est exposée à un risque accru de thromboses potentiellement fatales.
Ce qui est une victoire pour les femmes et les mères dans le sport de haut niveau, n’a pourtant pas été du goût de la Fédération française de tennis, qui a annoncé que cette tenue "Black Panther" resterait dorénavant au placard. "Nous devons respecter le jeu et ses règles", a déclaré son président, Bernard Giudicelli, dans Tennis Magazine. Il n’est pas le premier — et probablement pas le dernier- à se sentir obligé de commenter ce que les athlètes féminines de haut niveau peuvent ou non porter. En 2004, Sepp Blatter, alors président de la Fédération internationale de football association (FIFA), a déclaré que les joueuses de foot devraient porter "des shorts plus moulants" pour attirer davantage l’attention sur leur sport. Et en 2011, l’association internationale de boxe amateur AIBA avait suggéré que les femmes montent sur le ring en jupe courte.
"Comme il n’y a pas de code vestimentaire strict pour les heptathloniennes, nous jouissons d’une assez grande liberté."Nafi Thiam
Les codes vestimentaires stricts ne sont pas exceptionnels dans le monde du sport de haut niveau, mais pour les femmes, ces règles ont, par le passé, pris des proportions déraisonnables. En général, le confort des athlètes n’a pas été pris en compte. "Dès que les femmes ont été autorisées à participer aux J.O., l’attention de l’organisation s’est focalisée sur leur apparence, reléguant leurs performances au second plan", a déclaré Janice Forsyth, directrice de l’International Centre for Olympic Studies de l’université de Western Ontario, dans le New York Times. Mais, ces dernières années, le vent de la contestation des codes vestimentaires stricts et absurdes se lève. Ou pas encore tout à fait. Lors du Championnat d’Europe de beach handball en 2021, l’équipe féminine norvégienne a choisi de porter des shorts au lieu des culottes de bikini, mais cela lui a valu une lourde amende infligée par la commission disciplinaire.
Aux J.O. de 2021 à Tokyo, les gymnastes allemandes ont fait passer un message fort en optant pour une combinaison couvrant les jambes. "Nous voulions montrer que chaque femme -chaque personne- a le droit de choisir ce qu’elle veut porter", avait déclaré l’une d’elles. Il n’est un secret pour personne que beaucoup de jeunes filles abandonnent le sport à l’adolescence parce qu’elles ne se sentent pas à l’aise dans des tenues trop moulantes.
L’été dernier, la Kazakhe Elena Rybakina et l’Américaine Shelby Rogers portaient un short noir sous leur tenue de tennis à Wimbledon, un tournoi pourtant réputé pour son code vestimentaire strict "tout en blanc". Le tournoi britannique a enfin décidé de répondre aux plaintes des joueuses qui ne se sentaient pas à l’aise dans des shorts blancs pendant leurs menstruations: les joueuses peuvent désormais porter un short uni de couleur foncée.
Confort avant tout
"Comme il n’y a pas de code vestimentaire strict pour les heptathloniennes, nous jouissons d’une assez grande liberté", déclare Nafi Thiam. "Mon principal critère est le confort. Mes vêtements doivent pouvoir accompagner mes mouvements avec souplesse pendant les sauts et la course." Lors de la plupart des compétitions, Nafi Thiam dispose d’un beau choix de tenues de sport grâce aux colis que lui envoie son sponsor, Nike. "Je peux choisir des crop tops ou des T-shirts plus amples, à manches longues ou courtes, des leggings longs ou des shorts courts, dans une belle palette de couleurs. Je sais directement si un vêtement me convient ou non. Si la couleur ou la coupe ne me plaît pas, je ne l’essaie même pas." En revanche, lors des grandes compétitions comme les JO ou les Championnats du monde où elle représente la Belgique, les choix de la championne sont plus limités. "Je porte l’uniforme officiel de l’équipe de Belgique." Lors des derniers Jeux, elle arborait le crop top aux couleurs de la Belgique et un short noir.
La course à l’égalité n’est pas seulement une question de rémunération et d’exposition, mais aussi de tenues, et elle est loin d’être terminée.
Nike athlete think tank
Pour améliorer les équipements de son sponsor, Nafi Thiam a rejoint le Nike Athlete Think Tank en 2022. Ce groupe de réflexion, composé de 13 athlètes féminines de haut niveau, a pour mission de formuler des recommandations en vue de perfectionner les tenues et de rassembler la communauté du sport féminin. En plus de Nafi Thiam, la joueuse de tennis Serena Williams, la footballeuse britannique Ada Hegerberg et la basketteuse américaine Sabrina Ionescu en faisaient partie.
"Le Nike Athlete Think Tank a été une opportunité de rencontrer d’autres athlètes, issues de divers sports, confrontées aux mêmes défis et difficultés que moi", témoigne la sportive belge. "Bien sûr, il y a aussi eu des réalisations concrètes. Par exemple, Nike a développé une chaussure de course spécifiquement conçue pour les femmes."
Pendant des années, les marques ont proposé des chaussures de course pour les femmes pratiquement identiques à celles des hommes, à part les couleurs plus vives et les pointures plus petites. Comme des études ont mis l’accent sur le fait que certaines blessures qui affectent de manière disproportionnée les athlètes féminines sont en partie causées par des chaussures non adaptées, il était temps de revoir cet équipement. Tant Nike que des start-ups — Hettas, Saysh et Moolah — s’attellent à cette tâche. Et la marque canadienne de sport LuLulemon a collaboré avec le fabricant de scanners de voûte plantaire Volumental pour créer la chaussure de course idéale pour les femmes, en se basant sur des millions de scans.
D’autres avancées ont également été réalisées dans d’autres domaines, rapporte le site web consacré au sport, ispo.com. En 2020, la marque de vêtements de cyclisme Veloine a été la première à proposer des maillots pour femmes enceintes. Le fabricant de vélos Ergon Bike Ergonomics a récemment lancé de nouvelles selles et de nouveaux cadres adaptés aux femmes après que des radiographies et des CT-scans ont montré leur nécessité. Quant à la marque d’alpinisme LaMunt, elle développe des collections conçues exclusivement pour et par des femmes.
Pourtant, il reste encore du travail à faire. Il y a moins d’un mois, il y a eu à nouveau une controverse sur les tenues Nike pour les athlètes olympiques américaines, très échancrées. "Il s’agit d’un costume qui est né de forces patriarcales qui ne sont plus les bienvenues ou nécessaires pour promouvoir le sport féminin", a réagi Lauren Fleshman, ancienne championne américaine sur 5.000 mètres. La marque de sport s’est défendue en soulignant la large gamme disponible: la tenue controversée n’est qu’une parmi tant d’autres que les athlètes peuvent choisir. La course à l’égalité n’est pas seulement une question de rémunération et d’exposition, mais aussi de tenues, et elle est loin d’être terminée.