Ces derniers mois, tout n'a pas été comme sur des roulettes. Mais en ces temps chamboulés par le Covid-19, les roulettes ont refait leur apparition dans nos rues. Les roulettes des patins, s'entend...
Suis-moi, je connais un bon spot! En évoluant suivant des courbes gracieuses, mon meilleur ami glisse devant moi, chaussé d’inline skates tout neufs, une des dernières paires qu’il a réussi à se procurer dans un skate shop. Quant à moi, je porte la paire bleu-violet seventies tout droit sortie du grenier de ma mère. Nous touchons à la fin de ce qui restera dans les annales comme l’été du coronavirus où, comme la moitié de la population mondiale, je me suis lancée dans le roller skating.
Je n’en avais plus fait depuis que j’avais définitivement rangé mes rollers, à onze ans. Mais, quand on a dû se contenter pendant des mois d’ennuyeuses promenades dans le même parc, de salles de fitness dégoulinantes de gel hydroalcoolique ou de séances de fitness en solitaire et à domicile, les patins à roulettes sont plutôt tentants.
Sans compter que, faire du roller à deux est le moyen le moins désagréable de respecter un mètre et demi de distance avec les amis qui ne font pas partie de sa bulle. Et puis, il y a cette irrésistible sensation de liberté: un peu maladroitement et protégée de la tête aux genoux, je cahote sur les pavés, mais l’adrénaline coule déjà dans mes veines.
Rollerbabes
Cependant, ne vous y trompez pas: si le coronavirus est le grand catalyseur de la ruée sur les rollers, le véritable initiateur est TikTok. Cette app, qui, il y a un an encore, était le domaine privé des ados de douze ans nourrissant des ambitions de danse, est aujourd’hui peuplée de jeunes curieux dans la vingtaine et la trentaine. Et s’il y a une chose devant laquelle cette génération se met massivement à genoux (au sens propre, dans ce cas), c’est bien la nostalgie!
C’est aussi ce qu’a vécu la danseuse cubano-américaine Ana Coto, 29 ans, quand elle a publié, à la mi-avril, une vidéo dans laquelle elle errait dans les rues désertes de Los Angeles, avec comme bande sonore le tube de Jennifer Lopez "Jenny from The Block". La vidéo a été vue des millions de fois, et Coto a été bombardée… "role model"!
@anaocto Call me Jenny 💋 @jlo ##rollerskating ##jlotiktokchallenge
♬ Jenny from the Block (Bronx Remix No Rap Edit) - Jennifer Lopez
Et elle n’est pas la seule: grâce aux pirouettes sexy d’Oumi Janta, tout le monde connaît désormais Tempelhof, l’aéroport historique de Berlin, aujourd’hui transformé en gigantesque roller park. Et, grâce à la Californienne Coco Franklin, les skeelers fluorescents avec legging assorti sont tout sauf une relique des années 80.
Toutes ces roller babes nous font rêver d’une vie insouciante sous le soleil du soir, faite de beats joyeux et de tenues colorées. Ou comme le dit Janta: "Pour moi, le roller, c’est comme une transe, comme un trip. Pendant un instant, j’oublie toutes les mauvaises choses et je profite de l’instant présent."
Black Skaters Matter
En même temps, faire du patin à roulettes est bien plus qu’une tendance superficielle sur TikTok. L’invention en revient au fabricant belge d’instruments de musique Jean-Joseph Merlin qui, en 1760, avait attaché des roulettes métalliques sous ses chaussures pour se rendre à un bal masqué et... avait heurté de front un miroir doré! Ses "inline skates" (patins à roues alignées) étant plus excentriques que confortables, Merlin avait relégué son idée dans un tiroir. C’est ainsi que nous devons les premiers patins à quatre roulettes à l’Américain James Plimpton, qui les a lancés en 1863.
Avant la fin du XIXe siècle, son invention était devenue une curiosité appréciée par la bourgeoisie. Mais la grande percée ne s’est pas produite avant les années 50 et 60 en Amérique, où l’engouement était tel qu’on aménageait une piste dans chaque hameau.
"Ce n’est pas un revival: dans la culture afro-américaine, les rollers n’ont jamais disparu."Toni Bravo
Malheureusement, cela se caractérisait par une discrimination: les patineurs noirs n’y avaient généralement pas accès, ce qui a généré une prolifération de roller discos "black-only", dans lesquels la culture afro-américaine s’épanouissait sans être importunée. De nouveaux mouvements de danse y ont vu le jour alors que les tenues excentriques scintillaient sous les boules disco. Beaucoup de jeunes DJ du rap et du hip-hop, comme Dr Dre et Queen Latifah, ont d’ailleurs commencé leur carrière sur les pistes de skate.
Les roller discos ont aussi servi de champ de bataille contre la ségrégation, comme le montre le documentaire HBO "United Skates" (2019). Et quand le nombre de roller parks a chuté, au cours des dernières décennies, les roller skaters noirs ont perpétué cette sous-culture. "Ce n’est pas un revival: pour nous, les rollers n’ont jamais disparu", déclare Toni Bravo, un TikTokker à plus de 300.000 abonnés.
@bonitravo support black skaters!!! here’s some clips of me within the past year skating my booty off <3 ##rollerskating
♬ original sound - Jay Lampy
Du vent dans les roues
Come-back ou pas, la hype est loin d’être terminée. Sur Amazon, pendant tout l’été, il y a eu une pénurie dans la section patins à roulettes, avec des délais d’attente pouvant atteindre six semaines. Sur Google Trends, le hashtag #rollerskating est en plein essor, notamment grâce à des événements comme le Worldwide Rollout Day. En Belgique, la Roller Bike Parade a repris début septembre. Cette randonnée bimensuelle à travers les rues de Bruxelles, Charleroi et Hasselt, entre autres, a pour objet de pointer la nécessité d’une infrastructure urbaine plus favorable à la mobilité douce.
Les skateparks ne sont plus relégués en périphérie, mais intégrés au sein même de la ville.
Ce dernier point est d’ailleurs le plus grand défi posé aux patineurs: alors que, pendant le confinement, la ville entière faisait office de paradis pour les rollers, il faut de nouveau slalomer entre les voitures. Bien qu’un revirement soit en vue: comme les cyclistes corona ont boosté l’aménagement de pistes cyclables, l’attention pour les rollers et les skates se développe dans l’architecture urbaine.
Alors que la présence des skaters était autrefois découragée, de plus en plus de villes européennes les considèrent désormais comme une valeur ajoutée. Les skateparks ne sont plus relégués en périphérie, mais intégrés au sein même de la ville et les half-pipe font aujourd’hui place à des mégacomplexes architecturaux, avec revêtement souple et collines ondulantes.
Les automobilistes n’ont qu’à bien se tenir: les roller skaters sont là pour rester. Et grâce au dress code des années 70, 80 et 90, le vilain gilet fluo n'est même plus nécessaire.
Quatre skateparks adaptés aux patins à roulettes
Partout dans le monde, skateboarders, roller skaters et autres sportifs sur roulettes revendiquent leur place dans l’espace public. Ces quatre villes les accueillent déjà à bras ouverts
1. StreetDome, Haderslev
Où? À Haderslev, une petite ville portuaire du sud du Danemark. C’est le long du front de mer qu’a été aménagé le StreetDome, un hub réunissant des sports urbains tels que skate, escalade et le basket-ball.
Architecture? Les architectes de CEBRA et Glifberg+Lykke ont imaginé un terrain de jeu ouvert destiné à tous les types de roulettes. Le site comprend une vaste place ainsi que des collines ondulantes et des rampes de skate. Au centre se trouve le dôme, un hall en forme d’igloo coiffé d’un toit de mousse verte.
Particularité? Une partie du skatepark est cachée sous le dôme où se trouve une salle d’escalade et de sport. On y entre aisément par de grandes portes ouvertes.
2. Péitruss Park, Luxemburg
Où? Près de la forteresse historique de la vallée de la Péitruss, une frontière naturelle entre l’ancienne et la nouvelle ville de Luxembourg. Au-dessus du skatepark se trouve le pont de la Passerelle, célèbre porte d’entrée de la ville.
Architecture? Constructo, un studio de design spécialisé dans les skateparks, a construit un parc polyvalent s’adressant aussi bien aux amateurs de rollers que de BMX. Avec une superficie de 2.750 mètres carrés, il est l’un des plus grands et des plus verts d’Europe.
Particularité? Le skate tunnel est une réinterprétation des lignes géométriques de la forteresse. Afin de renforcer le lien avec le patrimoine, les concepteurs ont opté pour un revêtement de pierre longeant l’extérieur du tunnel en béton.
3. Stapelbäddsparken, Malmö
Où? Dans la ville portuaire suédoise de Malmö. Le parc est situé dans le port ouest, une ancienne zone industrielle convertie en quartier animé, foisonnant de projets d’architecture et de design.
Architecture? Sous la bannière Skate Malmö, des architectes travaillent avec les skateurs pour ranimer des lieux peu attrayants. Ici, l’architecte Stefan Hauser s’est attaqué à un ancien chantier naval en collaboration avec l’école secondaire locale.
Particularité? Le parc de 3.000 mètres carrés comprend également un domaine séparé pour le roller derby, un sport d’équipe se pratiquant en patins à roulettes.
4. Merida Factory, Merida
Où? À Mérida, capitale de l’Estrémadure, une région du sud-ouest de l’Espagne.
Architecture? Le duo d’architectes Selgascano est passionné par le plastique industriel aux couleurs cinétiques, comme il l’a démontré avec le pavillon conçu pour la Serpentine Gallery à Londres. Dans ce centre pour la jeunesse où artistes, danseurs, escaladeurs et skaters se retrouvent, ils ont conçu un auvent orange vif très pop.
Particularité? Le toit en polycarbonate transparent, qui protège les patineurs du soleil intense de cette région, est qualifié de "nuage" en plastique.