Achever 8 triathlons en 8 jours sur 8 îles canaries, c'est l'exploit qu'a réalisé le Belge Matthieu Bonne. Retour avec lui sur son parcours d'exception.
Aucune montagne n’est trop haute, aucune mer trop profonde, aucune distance trop longue. L’ultra-athlète Matthieu Bonne aime dépasser ses limites. Ceux qui en douteraient encore doivent assister à la première du documentaire "8 Islands", présenté au film Festival d’Ostende le week-end prochain. Le réalisateur ostendais Klaas Backers a documenté la performance de cet athlète d’exception, qui a accompli 8 triathlons en 8 jours sur 8 îles des Canaries. "Tout le monde semblait avoir trouvé sa voie dans la vie, sauf moi."
Pour rappel, un triathlon consiste en 3.800 mètres de natation, 180 kilomètres de cyclisme et 42 kilomètres de course à pied.
Le 7 mai 2022, La Gomera. La nuit tombe sur l’île des Canaries. Deux capitaines hésitent à prendre la mer à bord du voilier. L’Atlantique est trop déchaîné pour naviguer. La destination? Ténériffe, où Matthieu Bonne (29 ans) est prêt à accomplir son quatrième triathlon en quatre jours. Pour rappel, un triathlon consiste en 3.800 mètres de natation, 180 kilomètres de cyclisme et 42 kilomètres de course à pied. Matthieu Bonne s’est lancé le défi de répéter cet exploit huit fois en huit jours consécutifs sur les huit îles officielles des Canaries. En somme, il ambitionne d’être le premier au monde à réaliser le "8 Islands Challenge".
Matthieu Bonne est exténué. Lors des traversées nocturnes précédentes, de La Palma à El Hierro et d’El Hierro à La Gomera, la mer ne s’était guère laissée dompter. Dans sa cabine, il roulait d’un bord à l’autre. Barricader le lit avec une valise n’y changeait rien. Il aspirait juste à quelques heures de sommeil. "Dans ces moments-là, on entre dans un cercle vicieux. Je savais que j’avais besoin de dormir, mais je n’y parvenais pas, ce qui me rendait nerveux et m’empêchait de m’endormir."
À ce moment-là, il a probablement pensé à Josef Ajram. En 2013, l’ultra-sportif espagnol a échoué dans un défi similaire pour la deuxième fois. En tant que daytrader, il aurait pu s’offrir un jet privé pour voyager d’île en île. "L’affrontement avec la nature fait partie du jeu", explique Bonne, heureux que son équipe ait pu réunir 25.000 euros pour financer la logistique de ce défi. "Ce n’était pas une période facile, la pandémie venait à peine de se terminer. De plus, je n’étais pas vraiment connu."
"Je me suis toujours senti différent. Je ne me sentais à ma place nulle part."Matthieu Bonne
Michael Jordan
La Flandre, par contre, connaissait déjà l’Ostendais. En 2019, Bonne avait été sélectionné parmi 6.000 candidats pour la série télévisée "Kamp Waes" diffusée sur la VRT. Dans ce programme, des citoyens ordinaires doivent suivre une formation du Groupe des Forces Spéciales. Bonne s’est amélioré au fil des épreuves, mais, à sa grande surprise, il a dû quitter le programme prématurément, car ses compétences en matière de leadership se sont avérées insuffisantes. "J’ai eu l’impression que mon univers s’effondrait. Je croyais être fait pour ce programme et pourtant, je ne suis pas allé jusqu’au bout."
Matthieu Bonne a longtemps eu du mal à identifier son talent. "Je me suis toujours senti différent. Je ne me sentais à ma place nulle part." Son TDAH n’a pas facilité son parcours scolaire, mais il trouve une échappatoire dans le basket. "J’étais petit, mais je marquais beaucoup. J’étais ambitieux et je voulais progresser." Comme Michael Jordan, il est né un 17 février et des posters du grand basketteur ornent les murs de sa chambre. Cependant, il ne perce pas dans le basket: après une dispute avec l’entraîneur dans un nouveau club, le basket passe au second plan. "À cette époque, je me sentais mal dans ma peau. Tout le monde semblait trouver sa voie dans la vie, sauf moi."
Accro à l’euphorie
Matthieu cherche le sens de sa vie à 3.726 mètres d’altitude, au sommet du volcan Rinjani, sur l’île de Lombok, en Indonésie. Il se souvient parfaitement des pulsations dans sa tête, des vertiges et des tremblements incontrôlables de ses jambes. Les quatre derniers kilomètres de l’ascension sont un enfer. Dans l’obscurité totale, chaque pas dans le gravier risque de le faire glisser en arrière; une fois arrivé au sommet, il éclate en sanglots.
"Cette sensation, au sommet du volcan, est indescriptible", déclare-t-il. Ses yeux brillants trahissent la microdose de bonheur que produit son corps tandis qu’il se remémore ce moment. "Je n’étais absolument pas préparé, j’étais mal équipé et je n’avais aucune attente. Ce moment a été le début de tout."
Matthieu Bonne devient accro à cette euphorie, qu’il cherche à provoquer autant qu’il le peut. Il escalade le Mont Blanc, le Cervin et le Mont Fuji, participe à un triathlon en Australie en 2017, et est le deuxième plus jeune Belge de l’histoire à terminer le légendaire Marathon des Sables au Maroc en 2018. Il traverse la Manche à la nage en 2019, parcourt à la nage les 67 kilomètres de la côte belge en 2020. "À ce moment-là, j’ai eu l’impression d’avoir accompli un des plus grands exploits de ma vie. J’avais longé toute la côte belge à la nage en 23 heures. Que pouvais-je faire de plus?"
Relever des défis de plus en plus extrêmes. C’est l’ancien triathlonien Luc Van Lierde qui le pousse à aller encore plus loin. En 2021, ils effectuent ensemble plusieurs stages pour préparer le "8 Islands Challenge". Matthieu adore les entraînements difficiles. Des heures seul sur son vélo ou dans l’eau, il n’y a rien de mieux pour lui. "J’aime être seul. Je ne sais pas exactement à quoi je pense pendant tout ce temps. C’est l’avantage des épreuves d’endurance: je n’ai pas besoin de réfléchir constamment."
Ne jamais abandonner
S’il y a une chose à laquelle Matthieu Bonne ne pense jamais, c’est à abandonner. Une ténacité qu’il attribue à son grand-père Alfons. "Il a rayé ce mot du dictionnaire familial. Enfant, Alfons a perdu trois doigts à cause d’une grenade qui a explosé dans sa main; jeune homme, il a déjà gravi à plusieurs reprises le Mont Ventoux à vélo avant de chuter et de se briser le cou. Pourtant, il est remonté en selle pour conquérir encore 11 fois le Mont Ventoux", raconte son petit-fils.
L’ultra-sportif a jusqu’à présent échappé à de telles mésaventures, car la chance a joué en sa faveur. "Dans les dix derniers kilomètres à vélo sur la dernière île canarienne, je suis tombé tête la première. Par bonheur, ma chute a été moins grave qu’elle aurait pu l’être."
Il a bouclé le dernier triathlon sur l’île de Graciosa en 20 heures environ. "Il n’y a pas de routes et le parcours à vélo ne pouvait se faire qu’en VTT. Un défi d’une difficulté inouïe!" L’émotion à l’arrivée est donc immense, comme le montre le documentaire "8 Islands" du réalisateur ostendais Klaas Backers, qui sera projeté en avant-première au festival du film d’Ostende le week-end prochain. "Klaas et moi sommes Ostendais tous les deux et c’est une amie commune qui nous a présentés."
L’athlète ne pense pas qu’il relèvera un jour un défi à la hauteur des "8 Islands". "La nature sauvage, la navigation au milieu des baleines, les magnifiques levers et couchers de soleil, tout cela était magique." Pourtant, cette expérience n’a pu égaler le sentiment éprouvé au sommet du volcan Rinjani. "Cette émotion unique est le moteur de tout ce que j’entreprends", déclare-t-il.
L’ultra sport ne correspond pas vraiment aux standards médiatiques du XXIe siècle: il n’y a pas de vainqueur.
Adventure quest
Cette année encore, Matthieu Bonne prévoit de relever des défis extrêmes: "Il y en aura trois, mais je préfère ne pas en dire plus pour l’instant." Il espère pouvoir un jour vivre pleinement de son sport. Pour le moment, il travaille à temps partiel comme sauveteur à la piscine olympique de Bruges. Sur le papier, le businessmodel est simple: plus le défi est extrême, plus il attire l’attention, plus sa notoriété augmente, plus il attire de sponsors. Certains le soutiennent financièrement, d’autres lui fournissent du matériel. Des chaussures à la nourriture en passant par le vélo, tout son équipement sportif lui a été offert. Dans la pratique, ce modèle est moins évident, car l’ultra sport ne correspond pas vraiment aux standards médiatiques du XXIe siècle: il n’y a pas de vainqueur et le spectacle n’est pas toujours palpitant. "Heureusement, je n’ai pas à me soucier des finances: c’est mon manager Matthias Lievens qui s’en occupe."
Pour rendre son projet viable financièrement, le jeune homme doit s’aventurer hors de sa zone de confort. Il ne peut plus vivre en solitaire et doit renoncer à une partie de ses précieux entraînements en solo pour se mêler davantage aux autres. Aussi, il est de plus en plus sollicité pour donner des conférences. Son public va des sportifs amateurs cherchant de l’inspiration aux hommes d’affaires curieux d’entendre parler de la persévérance nécessaire pour réussir.
"Après avoir nagé pendant deux jours d’affilée, j’ai commencé à ‘voir’ des serpents sous l’eau. Mon corps peut encaisser beaucoup, mais le manque de sommeil est un adversaire redoutable.'Matthieu Bonne
En parallèle, Matthieu Bonne a organisé pour la première fois en 2023 une "Adventure Quest", dans le cadre de laquelle il entraîne des personnes ordinaires dans une aventure de sept jours aux îles Canaries avec, au programme, des séances de vélo, de course à pied et de natation. "Partager mon expérience me plaît de plus en plus. Aujourd’hui, je me sens bien dans ma peau, tout simplement."
En 2023, le sportif a également établi deux nouveaux records du monde incroyables. Fin mars, il a parcouru 3.619 kilomètres et 720 mètres à vélo en sept jours. Début septembre, il est sorti de la baie de Corinthe, en Grèce, après avoir nagé 131 kilomètres non-stop pendant 61 heures. "Comme j’avais oublié de me protéger les lèvres, elles étaient complètement brûlées ce qui, à cause du sel marin, provoquait une douleur presque insupportable."
Lors de ces deux performances, il a poussé son corps à de telles extrémités qu’il commençait à avoir des hallucinations. "En pédalant, j’ai vraiment cru voir des zombies sur le bord de la route. Et après avoir nagé pendant deux jours d’affilée, j’ai commencé à ‘voir’ des serpents sous l’eau. Mon corps peut encaisser beaucoup, mais le manque de sommeil est un adversaire redoutable."