Depuis 1932, Omega est le chronométreur officiel des J.O. Pour ceux de Paris, l’horloger se concentrera pour la première fois sur la performance et le déroulement de la compétition.
Il lui reste une longueur à parcourir pour décrocher sa huitième médaille d’or aux Jeux de Pékin, en 2008. Cependant, la situation ne semble pas favorable au nageur américain Michael Phelps. Il n’est que septième lorsqu’il entame les 50 derniers mètres de l’épreuve reine, le 100 mètres papillon. Le grand favori, le Serbe Milorad ČaviČ mène tout au long de la course, mais dans la course de sa vie, Phelps opère une remontée épique. Mètre après mètre, il se rapproche de ČaviČ.
Les deux athlètes touchent presque simultanément. À l’œil nu, il est absolument impossible de déterminer qui l’emporte dans la course la plus excitante de l’histoire de la natation. Le temps gagnant est de 50,58 secondes: Michael Phelps s’avère être un centième de seconde plus rapide que son rival. À peine 4,7 mm de différence, moins qu’un ongle. L’entraîneur de ČaviČ conteste les résultats, mais les données d’Omega, le chronométreur officiel, sont indiscutables. Dans le combat des titans le plus héroïque de tous les temps, ce n’est pas l’émotion, mais le chronométrage qui a le dernier mot.
En 2016, lors de ses derniers Jeux, Phelps ajoute une touche d’argent à son impressionnant palmarès. Dans le 100 mètres papillon, il termine deuxième, ex-æquo avec deux autres nageurs. Lui, Chad le Clos et László Cseh touchent en exactement 51,14 secondes. C’est donc une triple médaille d’argent. "Se retrouver à trois sur le podium a été un moment incroyable!", déclare Chad le Clos après la compétition. "Nous l’avons célébré comme un record du monde."
"Nous sommes en train de tirer 200 km de câbles dans toutes les installations sportives de Paris. Une équipe de 550 personnes y travaille à plein temps."
Compétitions tests
Même si ces événements datent de 2008 et 2016, les revoir sur YouTube est toujours une émotion intense. "Le sport, c’est de l’émotion, mais nous préférons l’aborder de la manière la plus rationnelle et la plus neutre possible. C’est typiquement suisse, non?", s’exclame Alain Zobrist en riant.
Le CEO de Swiss Timing, le département d’Omega chargé du chronométrage, nous accueille au siège à Bienne, en Suisse, où le parking accueille très peu de voitures. "Et il y en aura encore moins à l’approche des Jeux", déclare-t-il. "Nous sommes en train de tirer 200 km de câbles dans toutes les installations sportives de Paris. Une équipe de 550 personnes y travaille à plein temps. Bientôt, nous y organiserons également des compétitions tests pour nous assurer que notre équipement fonctionne parfaitement. Si l’on veut mesurer le temps avec exactitude, on ne peut pas s’y prendre à la dernière minute."
"Même en tant qu’amateur de sport, on n’a aucune idée de la technologie impliquée dans la mesure des scores ou des temps. Quand on suit une compétition en direct, cela semble évident, mais c’est loin d’être le cas. Une fois que l’on sait ce qui se cache derrière ces chiffres, on regarde le sport d’un autre œil", poursuit Zobrist. "Je ne peux plus regarder une compétition de manière détendue, parce que je sais tout ce que mon équipe a dû faire pour qu’elle se déroule parfaitement. Notre responsabilité est immense. Il y a tellement de choses qui peuvent mal tourner."
"Savez-vous pourquoi les pistolets de départ classiques ne sont plus utilisés lors les compétitions? Parce que le principe n’était pas équitable: les athlètes qui se trouvaient le plus près du pistolet entendaient le coup de feu une fraction de seconde avant les autres."
Confidentiel
Il est évidemment interdit de prendre des photos dans le département R&D de Swiss Timing que Zobrist me fait visiter. C’est là que les ingénieurs et les développeurs de produits conçoivent de nouveaux appareils pour réaliser les mesures les plus précises possible pour toutes sortes de compétitions sportives.
"Une de nos innovations majeures a été la fameuse plaque de touche", explique-t-il. Cette technologie a été lancée par Omega lors des compétitions de natation des Jeux de Mexico en 1968. L’appareil devait éviter les discussions interminables, comme en 1960, quand le jury ne parvenait pas à se mettre d’accord sur l’identité du vainqueur du 100 mètres nage libre. Deux athlètes avaient terminé la course très proches l’un de l’autre, mais c’est l’Australien John Devitt qui fut déclaré vainqueur. Cette décision donna lieu à des années de discussions et de procédures.
"Depuis l’arrivée de la plaque de touche, il n’y a plus de discussion possible: les données ne mentent pas", déclare Zobrist. "La natation a d’ailleurs été le premier sport où les athlètes arrêtaient eux-mêmes leur chrono. Depuis les Jeux de Tokyo en 2021, une autre discipline fait de même: l’escalade sportive."
"Bien qu’Omega soit le chronométreur officiel de 500 compétitions sportives par an, les Jeux olympiques restent le plus grand événement sportif du monde", ajoute Zobrist. "Mais aussi le plus complexe. Vous voyez ces flight cases? Tout ce matériel provient d’autres événements sportifs, mais il doit d’abord être minutieusement testé avant de pouvoir être envoyé à Paris. La logistique est extrêmement complexe. Chaque sport nécessite une approche différente en termes d’instruments de mesure. Nous développons ici ces appareils et le logiciel, et nous brevetons la technologie. Sous la bannière Swiss Timing, nous vendons également ces produits à des clubs sportifs, des entraîneurs, des fédérations et des organisateurs de compétitions."
L’équipe Omega se rendra aux Jeux olympiques de Paris avec 350 tonnes de matériel et 550 chronométreurs.
À la poursuite d’Usain Bolt
Cela peut sembler un peu étrange, mais diverses installations sportives ont été recréées en miniature au siège de Bienne afin de tester tous ces instruments de mesure spécifiques. Par exemple, une piste d’athlétisme de 7 mètres de long a été aménagée dans le couloir. "Cela nous permet de simuler à la fois l’arrivée et le départ d’une course à pied", commente Zobrist.
Il me tend un pistolet de départ électronique. Ce qui, à première vue, ressemble à un petit pistolet jouet blanc et rouge, a représenté une véritable avancée en la matière. "Savez-vous pourquoi les pistolets classiques ne sont plus utilisés lors les compétitions? Parce que depuis le 11 septembre, il est difficile de voyager avec des armes. Mais surtout, parce que le principe n’était pas équitable: les athlètes les plus proches du pistolet entendaient le coup de feu une fraction de seconde avant les autres. Depuis les Jeux de Vancouver, en 2010, le signal est électronique et le pistolet déclenche automatiquement le chronométrage. Chaque starting-block est équipé d’un haut-parleur et d’une lampe. Tous les athlètes entendent et voient le signal de départ exactement au même moment, même les athlètes malentendants."
Il me challenge: "Voilà pour la théorie. Maintenant, vous pouvez réveiller l’Usain Bolt qui est en vous. Placez-vous dans les starting-blocks." Je regrette de porter des mocassins classiques et un pantalon de costume ajusté. Je rassemble donc mes forces pour un départ fulgurant, selon mes standards. Heureusement, pas de faux départ, car depuis les Jeux de Los Angeles en 1984, ces starting-blocks détectent également ce type d’erreur: ceux qui partent moins de 0,100 seconde avant le signal de départ sont disqualifiés. Les capteurs du starting-block mesurent 4.000 fois par seconde la force de poussée au départ. "Vous avez exercé une pression de 23 kilos. Pas mal, mais Bolt atteint 28 kilos", sourit Zobrist. "Au fait, avez-vous vu cette petite boule rouge passer à côté de vous pendant vos 10 mètres? C’est la simulation de la vitesse de Bolt sur la même distance. Encore un peu d’entraînement s’impose!"
Révolution des données à Paris
Omega ne se contente pas de mesurer les (faux) départs, les chronos et les résultats. Depuis ces dernières années, grâce à des capteurs et au suivi par caméra, l’horloger collecte également toutes sortes de données pendant les compétitions. Depuis les Jeux de Pékin en 2008, des traceurs GPS sont intégrés dans l’équipement des coureurs, des marins et des rameurs. À partir des Jeux de Paris, chaque performance sportive sera suivie grâce à des points de données placés sur le corps des athlètes. Des images de caméra en haute définition captureront chaque mouvement. "Nous ne mesurons plus seulement le temps, mais aussi la performance. Ainsi, on comprend mieux pourquoi certains se distinguent plus que d’autres", explique Zobrist.
"Pour un coureur, nous pouvons mesurer non seulement le chrono, mais aussi le temps de réaction, le nombre de pas, la vitesse, l’accélération ou la position à l’instant T par exemple" Ce "live data mining" fournit des informations très intéressantes. À partir de ces Jeux, toutes ces données pourront être traitées en temps réel pour produire des graphiques et des statistiques à l’aide d’algorithmes et de l’intelligence artificielle. Ces analyses seront ensuite mises à la disposition des chaînes de télévision, des commentateurs, des journalistes et des jurys.
Quand cet athlète a-t-il perdu de la vitesse en finale? Pourquoi ce saut n’a-t-il pas été parfaitement exécuté? Quel a été le temps de réaction d’un joueur de tennis sur un service? Quel faux mouvement a coûté sa médaille à cette gymnaste? Quelle distance ce perchiste a-t-il franchie au-dessus de la barre? Ce plongeur synchronisé est-il resté suffisamment éloigné du tremplin? "Nous obtenons une réponse métrique à toutes ces questions. Nous mesurons non seulement le résultat, mais aussi le déroulement d’une compétition et le comportement individuel des athlètes", précise Zobrist. "À partir des Jeux de Paris, nous ferons du data storytelling."
Note en poche
Être le chronométreur officiel des Jeux olympiques est un titre honorifique, un honneur qu’Omega conservera au moins jusqu’en 2032, soit 100 ans après ses débuts. "Non, nous ne devons pas renégocier notre contrat tous les quatre ans", déclare Raynald Aeschlimann, le CEO d’Omega qui court de réception VIP en événement Omega pendant les Jeux.
En 2024, l’équipe de Zobrist se rendra à Paris avec 350 tonnes de matériel et 550 chronométreurs. À titre de comparaison, en 1932, il n’y avait qu’un seul chronométreur et 30 chronomètres. "Auparavant, chaque chronométreur utilisait son propre chronomètre, mais la précision n’était pas garantie."
Dans les années 30, le chronométrage des Jeux était encore expérimental. Aux Jeux d’hiver de 1936 à Garmisch-Partenkirchen, le chronométreur glissait une note dans la poche de chaque skieur qui entamait sa descente, indiquant l’heure de départ du skieur précédent. À l’arrivée, le skieur remettait cette note au chronométreur en bas de la piste. Ce n’est qu’à ce moment-là que ce dernier pouvait calculer le temps exact du skieur précédent.
Même lors des courses avec photo-finish, il fallait souvent attendre longtemps pour obtenir le résultat. Cette technologie, tout comme les starting-blocks, a été utilisée pour la première fois lors des Jeux de Londres, en 1948. Lors d’une course au coude à coude, il fallait 20 minutes pour que la photo analogique soit développée et évaluée par le jury. "À Paris, les caméras de photo-finish prendront jusqu’à 40.000 images numériques par seconde. Leur analyse se fera en quelques secondes", explique le spécialiste d’Omega. "Notre équipe est extrêmement performante dans ce domaine."
Lors des Jeux olympiques de Paris, non seulement la durée de la course sera mesurée, mais aussi le temps de réaction du coureur, son nombre de pas, sa vitesse, son accélération ou sa position à l’instant T.
Décongélation au sèche-cheveux
À chaque édition des Jeux depuis 1932 ou presque, Omega a lancé une nouvelle technologie de mesure. Et plus la couverture médiatique de l’événement augmentait (en 1936, les Jeux furent retransmis pour la première fois en direct à la télévision), plus celui-ci devenait un coup de publicité mondial pour Omega. Lors des Jeux d’hiver d’Innsbruck en 1964, on a pu voir, pour la première fois, les chronos, les temps intermédiaires et les résultats en temps réel à la télévision. "La pression s’est accrue pour que les mesures soient diffusées le plus rapidement possible. Et depuis lors, la marge d’erreur s’est encore réduite."
Pourtant, il arrive que des erreurs se produisent. Aux Jeux de Montréal en 1976, les tableaux d’affichage pour la gymnastique étaient conçus pour des scores allant jusqu’à 9,99. Mais quand la Roumaine Nadia Comaneci exécuta une performance parfaite aux barres asymétriques, le tableau d’affichage indiqua 1,00 au lieu de 10,0. Un score que la gymnaste allait encore atteindre à six reprises. "Nous devons constamment mettre à jour notre équipement et le préparer à toute éventualité. C’est pourquoi il y a toujours plusieurs sauvegardes et que nous fonctionnons toujours indépendamment du réseau électrique, afin de garantir les mesures, même en cas de panne de courant", explique Zobrist.
Lors des Jeux d’hiver de Sarajevo en 1984, il s’en fallut de peu pour qu’un incident gâche la fête. Un matin, il faisait si froid que les tableaux d’affichage étaient gelés. Omega n’a pas trouvé d’autre solution que d’apporter des sèche-cheveux sur les sites des compétitions afin de maintenir les instruments de mesure à l’abri malgré le froid polaire. "Nos appareils doivent résister à des températures allant de -40°C à +45°C", ajoute Zobrist. "Lors des Jeux d’hiver de Pyeongchang (Corée du Sud) en 2018, nous avons été victimes d’une cyberattaque. Nous avons heureusement pu la contrer, car nous disposons d’un réseau complètement fermé. Nous n’avons jamais pu déterminer quelle en était la motivation."
Il n’y a qu’un seul instrument olympique sur lequel Omega n’a pas fait de R&D depuis près de 100 ans: la cloche, le signal du dernier tour en athlétisme ou en cyclisme sur piste. "Ces cloches en bronze sont encore fabriquées de manière entièrement analogique dans un petit atelier du coin", confie Zobrist. "Elles n’ont pas encore été remplacées par une version numérique. Celle de Paris est déjà accrochée ici. Si vous le souhaitez, vous pouvez l’essayer." Jamais je ne serai plus proche de la gloire olympique!