Le 1er juillet sera donné le coup d’envoi du Mare Nostrum Run. Par étapes de 100 kilomètres par jour, les équipes courent en suivant les côtes européennes. Le Belge Charles Van Haverbeke aurait-il inventé le nouveau Marathon des Sables? "C’est l’énergie collective qui m’importe, pas la performance."
Sous l'Empire romain, Mare Nostrum désignait la mer Méditerranée. Mais Charles Van Haverbeke (30 ans) voit encore plus grand, car son Mare Nostrum Run est un défi sportif sans précédent: parcourir toutes les côtes du continent européen en étapes de 100 kilomètres par jour.
Un projet ambitieux car à ce rythme, il faut un an rien que pour la côte norvégienne, un mois et demi pour la Grèce continentale, 49 jours pour la côte espagnole et 67 pour la côte française.
"Si nous parcourons toutes les côtes européennes, nous sommes partis pour quelques années!", sourit le Belge. "Le Mare Nostrum Run est la plus longue course de relais jamais organisée. En équipe d'au moins deux personnes, on s'inscrit à une étape de votre choix. Le coup d'envoi sera donné le 1er juillet à 7h au Zwingeul, entre Cadzand et Knokke. Un jour et 100 kilomètres plus loin, à Dunkerque, les premières équipes passeront leur sablier aux suivantes."
Performance collective
Les vingt premières étapes auront lieu en juillet, après quoi la course repartira de Brest, le 23 septembre seulement. Après la France, elle mettra le cap sur l'Espagne et le Portugal puis, via l'Italie, sur la Grèce et l'Ukraine.
La côte scandinave ne sera abordée qu'ultérieurement. C'est du moins l'objectif, car Charles Van Haverbeke considère les vingt premières étapes comme une étude de faisabilité pour son idée novatrice. "J'organise ça avec quelques amis, mais comme je suis le seul à y avoir injecté des fonds privés, je vais devoir évaluer la situation après la première partie. Si le concept a du succès, je lancerai une campagne de crowdfunding et je chercherai des sponsors."
En tant que coureur de marathon expérimenté, Van Haverbeke s'est déjà inscrit pour trois étapes. Et il sert également de back-up au cas où personne ne s'inscrirait à une des étapes. "L'idée est que le sablier soit transmis à chaque fois, sans interruption. Peu importe qu'on coure ou qu'on marche", explique-t-il. "Cent kilomètres par jour, c'est beaucoup, mais c'est vraiment faisable. Le Dodentocht de Bornem est tout aussi long et il attire chaque année 13.000 participants: des sportifs, mais aussi des personnes qui veulent relever le défi. Je ne vise pas un tel nombre. Une centaine ou un millier, en fait, peu m'importe. Et réaliser un bon temps n'est pas non plus ma priorité."
Outre le côté sportif, l'aspect créatif du projet est au moins aussi important. "Partout, nous envoyons un photographe et un vidéaste, qui mettront le parcours en image. L'objectif est de réaliser un livre d'ambiance, qui mettra l'accent sur la performance collective. Ces photos et vidéos devront inspirer des gens à participer à une étape, par la suite. C'est cette énergie collective qui compte pour moi. Plus de trajets auront été courus, plus nous aurons d'ambassadeurs et plus nous pourrons raconter d'histoires. Le projet prendra de l'ampleur avec le temps."
Haut niveau
Le Mare Nostrum Run est une ode aux paysages maritimes d'Europe, et donc aussi à la côte belge. "L'avantage de commencer ici, c'est qu'on peut courir presque partout sur du sable dur et humide. Par la suite, ça devient moins évident. Au Pays Basque, il faut parfois remonter jusqu'à un kilomètre à l'intérieur des terres, car il n'y a pas de piste de course digne de ce nom le long de la côte."
L'itinéraire au bord de la mer variera largement. "J'ai été agréablement surpris pendant mes recherches, explique Van Haverbeke. En France et en Espagne, on rencontre des falaises fantasques, un monolithe préhistorique, la dune du Pilat, mais aussi une abbaye en ruines et une centrale nucléaire désaffectée."
"Ce genre de course d'endurance peut sembler inutile, mais elle apporte énormément. Elle peut vous sortir de l'ornière."
L'idée du Mare Nostrum Run lui est venue au Maroc. En 2017, Van Haverbeke y a couru le Marathon des Sables, une des courses à pied les plus difficiles au monde: 254 kilomètres en six jours à travers le Sahara, ce qui n'est pas rien. "Pendant des jours, on n'a pratiquement aucun contact avec le monde extérieur. On relève le défi avec des amis et on touche l'extrême, physiquement et mentalement.
C'est peut-être temporaire et superficiel, mais on plane dans une sorte de folie collective, dont vous tirez des tonnes d'énergie positive. J'ai été confronté à mes propres limites en cours de route! Mais avec l'arrivée en vue, on entre dans une transe incroyable", témoigne Van Haverbeke.
"Le Marathon des Sables est arrivé au bon moment de ma vie. Je travaille pour Cowboy, la startup belge de vélos électriques trendy, mais à l'époque, j'étais chez Uber. Cette entreprise excelle en termes de vitesse et de performance. D'une certaine manière, Uber est aussi impitoyable que le sport de haut niveau. Travailler pour eux a été une expérience formidable, mais à un moment, la créativité et l'émotion m'ont manqué."
Il poursuit: "En Occident, nous sommes plutôt focalisés sur une belle carrière, de bons revenus, une voiture, une maison... Avec comme gourou Steve Jobs, qui a monté une entreprise dans son garage, qui a amélioré le monde et qui est devenu milliardaire. Je voulais vraiment mettre en place un projet qui ne soit ni fonctionnel ni nécessairement lucratif, mais qui crée de la beauté avant tout. Ce genre de course d'endurance peut sembler inutile à certains, mais elle apporte énormément. Elle peut vous sortir de l'ornière."
Athlète en herbe
Chaque participant peut associer son itinéraire à un organisation de bienfaisance de son choix. "En ce qui me concerne, je cours pour Tout Bien, une initiative axée sur la prévention du suicide. Une de mes nièces a mis fin à ses jours, et cela m'a durablement marqué." D'autres participants soutiennent Proper Strand Lopers ou Plastic Soup Surfer, des associations caritatives qui s'engagent pour limiter la pollution des côtes et des océans.
Pour Van Haverbeke, le Mare Nostrum Run est aussi un défi personnel. Adolescent, il ambitionnait une carrière sportive. Il ne manquait pas de talent, mais des blessures sportives et une revalidation épuisante ont mis cet objectif en veilleuse.
"J'ai encore des comptes à régler avec la longue distance."
Vue sur la mer
Dès les premières étapes, le Mare Nostrum Run passe par des spots fantastiques sur les côtes françaises. Charles Van Haverbeke les explorés pour nous.
Cap Blanc-Nez
"Avec le Mont Saint-Michel, le cap Blanc-Nez est certainement, pour les Belges, la plus célèbre partie de la côte occidentale de France. Le cap Blanc-Nez et le cap Gris-Nez sont séparés par 10 kilomètres de côtes accidentées et forment la partie d'Europe la plus proche de l'Angleterre: 34 kilomètres seulement séparent les falaises blanches de Douvres de leurs homologues françaises. Depuis la falaise de 134 mètres de haut, par temps clair, on peut voir l'autre rive de la Manche. Il est préférable de s'y rendre le matin: le soleil est à l'est et illumine les falaises britanniques", s'extasie Charles Van Haverbeke.
"Il y a deux façons d'apprécier la grandeur de la falaise: lors d'une promenade au sommet ou, à marée basse, sur la plage qui s'étend à ses pieds."
"Sur la falaise à proprement parler, la prairie verdoyante se termine par un précipice. En allant vers l'intérieur des terres, dans la direction de Sangatte, le paysage calme est interrompu par un tapis de cratères, cicatrices de la Deuxième Guerre mondiale. Le dernier fait d'armes remonte à la fin septembre 1944, quand les Canadiens ont chassé l'artillerie allemande."
Rivière d'Étel
"La rivière d'Étel, en Bretagne, est un petit delta en forme de main aux doigts écartés qui s'étend sur plus de 15 km2 à l'intérieur des terres. Dans cet enchevêtrement de baies et de plages, 75 ostréiculteurs pataugent presque quotidiennement dans l'eau pour ramasser plus de 3.000 tonnes d'huîtres. Au milieu de l'eau se trouve la minuscule île de Saint-Cado.
Au XIIème siècle, un prince gallois qui avait décidé d'en faire sa demeure fit relier l'île à la terre par un pont", décrit Van Haverbeke. "La véritable attraction est une maison isolée construite sur un minuscule îlot. Lorsqu'on ferme la porte derrière soi, on ne voit ni allée ni jardin, mais uniquement de l'eau. C'est dans cette petite maison symétrique à la porte et aux volets bleus que dormait le gardien du parc ostréicole local, sur l'îlot de Nichtarguer."
Phare du Petit Minou
Le phare du Petit Minou est un phare charmant qui semble tout droit sorti d'un film de Jean-Pierre Jeunet. Depuis 1848, il trône sur un promontoire rocheux pour guider les bateaux lors de l'entrée en rade de Brest. Avec le phare du Portzic, situé à quelques kilomètres de là, il marque l'embouchure du goulet de Brest, de 3 kilomètres de large, et met les bateaux en garde contre la présence de rochers", indique Van Haverbeke.
"Le goulet de Brest est la seule voie d'accès à cette ville portuaire d'importance stratégique. Il est donc logique que des forts et d'autres structures militaires aient été érigés le long de la route. 500 mètres au-dessus du phare se dresse le fort du Petit Minou. Depuis celui-ci, on accède au phare en empruntant un sinueux chemin pavé qui relie la terre ferme au rocher par un gigantesque pont de pierre."
Pont de Saint-Nazaire & Serpent d'océan
"Le pont de Saint-Nazaire mesure pas moins de 3.356 mètres de long et 68 mètres de haut à son point culminant. À sa livraison, en 1975, c'était le plus long pont de France", précise Charles Van Haverbeke.
"Cette prouesse de l'ingénierie française relie Saint-Nazaire à Saint-Brevin-les-Pins, où se trouve le Serpent d'océan, une sculpture monumentale de l'artiste Huang Yong Ping. En fonction de la marée, ce serpent de 130 mètres de long est plus ou moins affleurant. Cette installation artistique a été inaugurée en 2012 et est hautement Instagrammable. C'est aussi une façon de sensibiliser les gens à la protection de la faune et de la flore maritimes."
Dune du Pilat
"On peut difficilement qualifier la dune du Pilat de trésor caché: située à une soixantaine de kilomètres de Bordeaux, cette dune est la plus grande d'Europe et attire un million de visiteurs par an. Avec ses 110 mètres de hauteur, elle offre une vue magnifique sur le bassin d'Arcachon et l'océan Atlantique", décrit l'organisateur du Mare Nostrum Run.
"La gravité permet de faire deux descentes surréalistes: l'une mène à une forêt et l'autre, à l'océan. En raison de l'importante déclivité, la dune de sable est aussi le paradis des paragliders. Ses 60 millions de m3 de sable pourraient remplir 24.000 piscines olympiques ou une tranchée de 1,5 mètre sur 1 mètre sur toute la longueur de l'équateur.
Chaque année, cette dune large de 3 km et étendue sur 600 m de côtes s'avance d'environ 3 à 4 mètres vers l'intérieur des terres en raison de l'érosion et du vent. Celui qui a acheté un bien immobilier trop près de la dune verra donc sa propriété disparaître dans le sable!"