Imaginez qu’une vague parfaite se forme au coin des rues animées de la ville. Non, le surf urbain n’est plus un rêve, mais une tendance en pleine forme à Rotterdam et à Munich.
En 2012, Edwin van Viegen mange un sandwich sur le quai du Steigersgracht, dans sa ville de Rotterdam. Surfeur passionné, il se prend à rêver: et si on pouvait surfer ici? Il soumet son idée à la Stadsinitiatief, un projet permettant aux habitants de la ville de voter en ligne pour des propositions de rénovation urbaine. Le projet de canal de surf rencontre un large soutien et finit par être approuvé. Fast forward à 2024: sur le quai, des spectateurs mangent un sandwich en admirant les vagues et les surfeurs. Dans l’air flotte le "stoke", terme utilisé par les surfeurs pour désigner la sensation de bonheur intense qui les envahit quand ils prennent une vague. Un spectacle unique se déroule ici: on surfe au cœur de la grande ville portuaire. Depuis juillet, des vagues artificielles déferlent dans le Steigergracht, où les surfeurs pagaient pour rejoindre les vagues.
La surfpool, baptisée RIF010 (en référence à l’indicatif téléphonique de Rotterdam), est un succès. D’une part, grâce à l’afflux de surfeurs, mais aussi à la foule de visiteurs qui profitent du spectacle depuis les quais -une attraction qui vaut le détour. "Nous avons aussi beaucoup de succès auprès des Belges", confie Marc van Laar, responsable du marketing. Et pour cause: Rotterdam n’est pas très loin et la mer du Nord n’est pas le paradis des grosses vagues -et même s’il y en a, encore faut-il avoir la chance de pouvoir les intégrer à son emploi du temps. Avec une surfpool: on réserve sa session (à partir de 45 euros) sur le site et, à l’heure prévue, on se jette à l’eau.
Voir défiler la ville
L’eau de la surfpool provient de la rivière de Rotterdam, la Rotte. Filtrée, elle paraît propre: je m’apprête donc à tester cette "intermediate wave". Ici, les débutants comme les experts sont les bienvenus. Bien que ce ne soit pas ma première expérience de surfpool, je suis un peu tendue. Les curieux venus en nombre n’aident pas à faire baisser la pression liée à cette performance. Je n’ai pas le temps de m’acclimater: les vagues se succèdent rapidement. Les surfeurs attendent en rang et, si on rate «sa» vague, on perd non seulement son tour, mais aussi un peu de sa fierté avant de retourner faire la file.
Après une première vague ratée, je me relance et, enfin!, je suis dans mon élément. Quelle sensation incroyable! Je glisse sur les canaux de Rotterdam en regardant la ville défiler. Si les vagues sont artificielles, le "stoke" est, lui, bien réel. En moyenne, on peut attraper 10 à 12 vagues par heure."L’eau est aspirée depuis nos ‘chambres à vagues’ avant d’être propulsée dans le bassin. En passant sur le récif, elle forme des vagues", détaille Marc Van Laar à propos de la technologie pneumatique qui anime cette surfpool. Après la première vague, on oublie qu’il n’y a pas de sable sous l’eau, mais un bassin en béton: il vaut donc mieux descendre de sa planche avant qu’elle n’atteigne la paroi: nous avons vu plusieurs planches sortir de l’eau bien cabossées. Et les surfeurs? "Bien sûr, cette piscine a été testée en matière de sécurité et nous mettons tout en œuvre pour protéger les surfeurs", assure Van Laar. "Les enfants doivent toutefois porter un casque. Pour améliorer la sécurité, nous cherchons un revêtement waterproof pour rembourrer les parois."
Avec la possibilité d’améliorer sa techniquede surf grâce au coaching vidéo, la surfpool est le spot idéal pour apprendre à surfer.
Surfer dans un canal présente pourtant un inconvénient majeur: on se retrouve très rapidement de l’autre côté: 125 mètres de long pour pour 25 mètres de large. Bien que les sessions soient courtes, je suis séduite par ce concept. À côté de la surfpool se trouvent une boutique et un bar où l’on peut prendre un café ou une bière avec vue sur les surfeurs et la ville. J’ai passé la nuit précédant mon test grandeur nature à l’hôtel design Motto, à quelques minutes de la surfpool, et me voilà, à 40 kilomètres de la mer, planche sous le bras, traversant les rues de Rotterdam -c’est surréaliste.
À quand la première surfpool en Belgique?
Des piscines à vagues se multiplient un peu partout dans le monde, sauf en Belgique. Pourtant, à Knokke-Heist, une surfpool, équipée de la technologie de l’entreprise belge AllWaves, est déjà prête.
Les vagues sont générées par un système de coussins mis au point par Geert et Steven Nauwelaerts. En l’état, cette piscine est un bassin d’essai, situé sur un site industriel où AllWaves n’a pas l’autorisation d’exploiter de surfpool, car il lui faudrait un terrain officiellement destiné aux loisirs. Le projet d’AllWaves a pour objectif de tester cette technologie avant de la commercialiser. Hélas, les vagues ne sont pas encore tout à fait au point.
Frank Vanleenhove et l’administration communale de Knokke-Heist se montrent intéressés par la technologie AllWaves pour l’installation d’une surfpool à côté du terrain de loisirs Lakeside Paradise. Affaire à suivre.
Le vent en poupe
En termes de développement et de marketing urbains, ce concept a le vent en poupe. "Le Markthal attire huit millions de visiteurs par an", précise Marc van Laar. "Comme il se trouve à une minute à pied de la surfpool, le potentiel est réellement énorme." En effet, le RIF010 est entouré de boutiques, de restaurants et d’immeubles: difficile d’imaginer un cadre plus urbain. Même en hiver, il est ouvert pour accueillir les surfeurs de la mer du Nord qui, eux, n’ont pas froid aux yeux. D’ailleurs, des brevets ont été déposés pour en installer d’autres, un RIF020 à Amsterdam et un RIF030 à Utrecht.
La technologie du RIF010 est fournie par la société américaine Surf Loch, qui a récemment inauguré unesurfpool à Palm Springs. Si celle de Rotterdam est une première mondiale, les "piscines à vagues urbaines" ne sont pas une nouveauté: on en trouve un peu partout dans le monde. La technologie la plus connue est celle de Wavegarden, une entreprise espagnole qui a installé des surfpools à Bristol (Royaume-Uni), Sion (Suisse), Sydney et Melbourne (Australie) -et elle prévoit d’en ouvrir 50 de plus. L’une d’entre elles sera inaugurée à Édimbourg en octobre.
"Wavegarden est le leader du marché", explique Frank Vanleenhove, de Surfers Paradise à Knokke-Heist. "Cette société se consacre à cette technologie depuis une vingtaine d’années et elle est aujourd’hui parfaitement au point." Le Belge est probablement la personne qui a cumulé le plus de sessions dans une surfpool: il a déjà surfé sur des vagues artificielles au Pays de Galles, à Kuala Lumpur, à Tenerife et même au mythique Surf Ranch de la Kelly Slater Wave Company, où une sorte de train sur rails génère une vague qui peut durer jusqu’à 45 secondes, une éternité dans le monde du surf. Kelly Slater demande pas moins de 85.000 dollars par jour et la piscine doit être privatisée: «Heureusement, moi, j’étais invité!», s’exclame Vanleenhove. Cette technologie a traversé l’océan: le mois dernier, une piscine Kelly Slater a ouvert à Abu Dhabi. "Les tarifs pour une session ne sont pas encore connus, mais on m’a dit qu’il faudra compter plus de 500 euros de l’heure."
Plus puissantes et plus rapides
Le mois dernier, c’est O2 Surftown MUC qui a été inaugurée, une surfpool dotée d’un spectaculaire "lagon" et d’installations ultra modernes. Bien qu’elle se trouve à cinq minutes de l’aéroport, j’ai choisi de m’y rendre en voiture, ce qui représente environ huit heures de route, ce qui n’est pas vraiment la porte à côté, mais, en tant que passionnée autoproclamée de surfpools, je ne pouvais pas résister.
Ici, l’ambiance est très différente de celle de Rotterdam: la surfpool est entourée de bureaux et l’on se croirait dans une salle de sport en plein air, mais avec des vagues. L’eau est d’un beau bleu piscine et il flotte dans l’air un léger parfum de testostérone: des hommes bien entraînés se préparent avant leur session de surf. Les vagues sont également plus puissantes, plus creuses, plus raides et plus rapides. Alors qu’à Rotterdam, l’accent est mis sur le fun, Munich joue sur la performance.
Ici, travail et loisirs se mêlent: des free lances pianotent sur leur laptop avant ou après leur session; pendant la pause de midi, des employés de bureau mangent leur poke bowl avec vue sur les surfeurs; le soir, des hommes d’affaires viennent boire un verre de vin en profitant du spectacle. Le restaurant, avec ses fauteuils jaunes et son bar en bois, dégage une atmosphère résolument hipster. L’expérience a, ici aussi, une petite touche légèrement surréaliste: on se trouve dans une zone industrielle en périphérie de Munich, mais les immeubles de bureaux sont soigneusement dissimulés. L’ambiance? Sportive, commerciale, outdoor, branchée et healthy.
Une session coûte entre 89 et 139 euros de l’heure, selon la longueur de la vague. Ce n’est pas donné, mais cela reste abordable comparé au Surf Abu Dhabi. Ici, la technologie est signée Endless Surf, un challenger canadien. Les vagues, propulsées depuis 34 "chambres", sont d’une qualité exceptionnelle. "Nous pouvons régler chaque chambre à part", explique le CEO, Chris Boehm-Tettelbach. "Un peu comme un piano avec ses 34 touches sur lesquelles on peut jouer."
Les surfpools sont l’endroit idéal pour apprendre à surfer ou pour perfectionner sa technique. En effet, le surf est l’un des sports les plus difficiles au monde et progresser se fait à une lenteur de tortue – croyez-en quelqu’un qui parcourt le globe depuis sept ans, espérant ainsi gagner quelques centimètres. Cette difficulté s’explique par l’imprévisibilité des vagues: chaque vague est différente de la précédente, sauf dans une surfpool.
Et plus
De plus, à RIF01 comme à O2 Surftown, un système piloté par l’IA filme les sessions, ce qui permet ensuite de télécharger les images pour analyser sa technique et l’améliorer. Le coaching vidéo constitue l’outil ultime pour progresser, car, quand on surfe, on peut facilement imaginer que l’on fait des cutbacks incisifs ou que l’on domine les vagues alors que la réalité des vidéos ne l’indique pas forcément.
Les chiffres allemands sont impressionnants. À O2 Surftown, on peut choisir son niveau parmi sept grades différents. La plus longue vague atteint 160 mètres et dure 16 secondes. La piscine peut accueillir jusqu’à 350 surfeurs par jour et, pourtant, elle affiche complet de 7 à 23 heures -oui, on vient y surfer même après la tombée du jour. "Si nous le souhaitons, nous pouvons également fonctionner de nuit", déclare Chris Boehm-Tettelbach. Je le crois sur parole, car l’enthousiasme des surfeurs est palpable: pour surfer sur certaines vagues, il faut réserver plusieurs semaines à l’avance.
Pourtant, les surfpools ont aussi leurs détracteurs. Certains surfeurs dénoncent ces vagues artificielles, affirmant que "l’océan ne peut pas être remplacé" ou que "les parcs de surf sont une commercialisation sans âme de ce que la nature offre gratuitement". En 2021, lors de ma première expérience dans une piscine à vagues, à Bristol, j’étais sceptique moi aussi. Mais une fois qu’on y a goûté, il est difficile d’y résister. L’expérience est certes différente (moins de nature, plus de technique), mais la joie est tout aussi intense: on en sort avec une seule idée en tête: y retourner». Car, oui, ces vagues sont aussi réelles que le frisson qu’elles procurent.