Qu’ont en commun les béguinages en Belgique et le Taj Mahal? Pas grand-chose, si ce n’est l’UNESCO. À l’occasion des 50 ans de la Convention du patrimoine mondial, retour sur cinq sites à voir.
S’il y a une liste qui ne doit pas être exhaustive, c’est celle-ci: 1.154 “biens” classés (897 culturels, 218 naturels, 39 mixtes, dont 52 en péril) pour 167 États concernés. And counting. La liste du patrimoine de l’UNESCO est une carte de visite à nulle autre pareille: c’est un gage universel de qualité et une reconnaissance de la valeur exceptionnelle d’un site.
Revenons en arrière: Nasser arrive au pouvoir en Égypte en 1955 et entend, dans la foulée, faire construire le barrage d’Assouan, d’une importance économique capitale pour son pays. Fort louable sur papier, mais cela met en péril les temples de Nubie, dont le célèbre temple d’Abou Simbel, car il faut les engloutir sous un lac artificiel de 5.000 m², le lac Nasser. Les protestations sont véhémentes. L’UNESCO (l’Organisation des Nations Unies pour l’Éducation, la Science et la Culture a vu le jour en 1945) n’avait pas prévu de sauver les monuments de Nubie. Les missions mènent à des fouilles, les fouilles à d’autres fouilles, et celles-ci à un sauvetage hors-norme jusqu’en 1968: les temples seront déplacés pierre par pierre grâce à la coopération de nombreux pays et sous les yeux du monde entier.
Cet exploit fait germer une idée: le 16 novembre 1972, la Convention sur la protection du patrimoine mondial, centrée sur les dangers menaçant les sites culturels et la nature, est adoptée. En 1975, le traité est ratifié et, trois ans plus tard, le Comité du patrimoine (composé de 21 États parties, pour un mandat de six ans) établit une liste officielle de critères de sélection, aujourd’hui au nombre de dix. Citons, par exemple, “représenter un chef-d’œuvre du génie créateur humain” ou “contenir les habitats naturels les plus représentatifs et les plus importants pour la conservation in situ de la diversité biologique.”
La mission du Comité tient en “5 C”: renforcer la crédibilité de la liste du patrimoine mondial, assurer la conservation efficace des biens du patrimoine mondial (les différents pays ont des obligations), développer des capacités, développer la communication pour sensibiliser le public et valoriser le rôle des communautés. Après Abou Simbel, l’UNESCO se doit de sauver Venise, Angkor Vat ou Tombouctou.
Aujourd’hui, l’Italie est championne du monde avec 54 biens culturels et quatre biens naturels classés, suivie de près par la Chine. Quand un site est sur la liste, c’est reconnaissance qui se traduit par une croissance significative des visiteurs. Lyon a, suite à son inscription en 1998, enregistré une hausse de 25 pour cent de voyageurs dès l’année suivante. Mais face aux guerres, pandémies, crise climatique ou crise tout court, l’UNESCO ne peut pas toujours sauver un site, comme le prouvent les images de la destruction de Palmyre en Syrie, qui ont marqué les esprits.
Si on connaît le Machu Picchu, le Taj Mahal, Versailles ou les pyramides de Gizeh, la liste des sites de l’UNESCO compte également de très discrètes merveilles. En voici cinq choisies par Sabato.
01. La Réserve Naturelle Intégrale du Tsingy de Bemaraha
- Unique pour?
Les Tsingy, des cathédrales de calcaire. - Entré sur la liste?
1990. - Numéro?
494. - Statut?
Naturel. - Critère?
2 sur 10. - Où?
Madagascar.
À 300 kilomètres à l’ouest de la capitale Tananarive, on tombe sur... ou plutôt on lève la tête au Parc National de Bemaraha avec la fameuse Réserve Naturelle Intégrale du Tsingy de Bemaraha. Souvent comparé à une forêt de pierre, un Tsingy, fascinante formation géologique, ressemble à des massifs d’aiguilles calcaires, affutées et dressées vers le ciel.
Ces roches friables peuvent être observées dans trois lieux sur l’Île Rouge, notamment dans la région de Melaky, de Diego Suarez et de Diana. Mais le site du Parc National de Bemaraha est certainement le plus grand (150.000 hectares) et le plus spectaculaire, avec des pics atteignant trente mètres de hauteur. Cette fierté malgache est l’un des plus beaux lapiaz tropicaux du monde, peut-être seulement égalé que par celui de Shilin (assez ressemblant d’ailleurs au premier abord) en Chine du Sud.
Les formations des Tsingy remontent à la séparation de l’Île de Madagascar de la plaque africaine, il y a 160 millions d’années. Ce glissement tectonique entraîne alors le soulèvement d’une gigantesque plaque calcaire, créant des canyons. Enfin, la pluie légèrement acide, ruisselant le long de la roche, a rongé le calcaire et créé cette fameuse forêt de pierres aux arêtes acérées et grises.
Avantage et non des moindres: la protection et la préservation de la Réserve sont grandement dues à l’accès très difficile formé par les barrières calcaires et la formation végétale encore intacte. Elle constitue aussi un habitat propice à la conservation des espèces animales et végétales endémiques.
02. L’église d’Atlántida
- Unique pour?
Un des sites modernes classés au patrimoine mondial de l’UNESCO. - Entré sur la liste?
2021. - Numéro?
1612. - Statut?
Culturel. - Critère?
1 sur 10. - Où?
Uruguay.
Le traité gravé dans le marbre il y a un demi-siècle n’empêche pas l’institution des Nations Unies de se tourner vers la modernité. Ainsi sont classés la ville de Brasilia au Brésil, un modèle d’urbanisation réussie créée par l’urbaniste Lúcio Costa et l’architecte Oscar Niemeyer (1987), la station radio de Grimeton à Varberg en Suède (2004), une des premières structures de communications transatlantiques sans fil, conservée en état de marche, ou le célébrissime Opéra de Sydney en Australie (2007).
Une des dernières additions à la liste en 2021: l’église d’Atlántida à 45 kilomètres de Montevideo en Uruguay, à Estación Atlántida plus particulièrement. Inaugurée en 1960, l’église catholique du “Cristo Obrero” marque les esprits par ses lignes arrondies – pas très catholique me direz-vous – et par l’utilisation novatrice de la brique apparente et armée. Avec un clocher et un baptistère souterrain, le bâtiment de plan rectangulaire possède une unique salle dont les murs latéraux ondulants supportent une toiture qui, elle aussi, affiche de belles courbes. Fait notable: la succession de voûtes gaussiennes est sublimée par l’absence de colonnes ou de poutres.
L’église a été pensée par l’ingénieur et architecte uruguayen Eladio Dieste (1917-2000) réputé pour l’élégance exceptionnelle de ses réalisations: des silos à grains aux hangars d’usine, en passant par les marchés et les églises.
03. Le parc national de Canaima
- Unique pour?
La plus haute chute d’eau du monde. - Entré sur la liste?
1994. - Numéro?
701. - Statut?
Naturel. - Critère?
4 sur 10. - Où?
Vénézuéla.
On se bouscule au portillon des chutes du Niagara ou des Victoria Falls, mais il n’y a pas un chat au parc national de Canaima, qui s’étend sur trois millions d’hectares (environ la superficie de la Belgique!) dans le sud-est du Venezuela. Il jouit pourtant d’un atout de taille, au sens propre comme au sens figuré. Fondé en 1962, ce parc abrite de nombreuses et vertigineuses falaises escarpées et, surtout, les chutes Salto Angel, soit le plus grand saut du monde: 979 mètres dont 807 mètres sans obstacle.
Ici, la biosphère est unique, d’un grand intérêt géologique et de nombreuses espèces sont endémiques. Les paysages sont aussi spectaculaires que reculés. Éloignée de tout et noyée dans un océan de végétation tropicale, truffé de Tepuys, ces immenses plateaux rocheux tabulaires, la cascade, qui envoie un débit d’eau dans un impressionnant fracas, se mérite: il faut compter dix heures de randonnée ou trois jours d’expédition en pirogue en suivant les cours d’eau pour remonter à ses pieds.
Les chutes portent le nom de l’aviateur Jimmy Angel, un nom de star du rock’n’roll, qui la survola en 1933. Elle inspira également l’écrivain Arthur Conan Doyle pour son ouvrage “Le Monde perdu”, dont est tirée la saga Jurassic Park. Autre société de production sous le charme: Pixar qui, dans le film “Là-haut”, l’a nommée “Chutes du Paradis”.
04. L’amphithéâtre d’El-Jem
- Originalité?
La plus vaste ruine du Maghreb et troisième plus grand Colisée de l’Empire romain. - Entré sur la liste?
1919. - Numéro?
38 bis. - Statut?
Culturel. - Critère?
2 sur 10. - Où?
Tunisie.
En Tunisie, à mi-chemin entre Sfax et Sousse, la bourgade d’El Jem détient un fabuleux joyau: les ruines impressionnantes du plus grand Colisée encore debout d’Afrique du Nord. Cet immense amphithéâtre érigé plus de deux siècles après J.-C. aux dimensions elliptiques (148 mètres sur 122), peut accueillir 35.000 spectateurs (le Colisée de Rome pouvait en accueillir 50.000). Sa façade comporte trois étages d’arcades tandis qu’à l’intérieur, le monument a conservé la majeure partie de l’infrastructure de support des gradins. Le mur du podium, l’arène et les souterrains sont pratiquement intacts. Sous les loges du premier rang, au sous-sol, se croisaient, pour combattre sur la piste, gladiateurs, fauves et chrétiens condamnés.
Du fait de son excellente acoustique, l’amphithéâtre accueille chaque été le Festival International de Musique Symphonique d’El Jem. Il suffit de monter – les marches sont raides – en haut des gradins pour réaliser que l’on entend et voit parfaitement la scène et la ville. D’ailleurs, un décret limite à cinq mètres la hauteur des nouvelles constructions, sur un rayon de 300 mètres à partir du centre de l’arène.
05. Les grottes de Mogao
- Originalité?
Art bouddhiste daté du IVe au XIVe siècle. - Entrée sur la liste?
2019. - Numéro?
440. - Statut?
Culturel. - Critère?
3 sur 10. - Où?
Chine.
Les chiffres parlent d’eux-mêmes: les 492 cellules et sanctuaires rupestres de Mogao réunissent 2.000 statues peintes et 45.000 m² de peintures murales: il s’agit tout simplement de la plus vaste collection au monde de joyaux de l’art bouddhiste.
Point stratégique de la Route de la Soie et carrefour de la circulation des richesses religieuses, intellectuelles et culturelles, cet ensemble de grottes a été creusé dans les falaises qui surplombent la Dachuan, au sud-est de l’oasis de Dunhuang, dans la province du Gansu. Découvertes en 1900 et portant un numéro, la plupart de ces grottes sont rectangulaires, communiquent entre elles par des passerelles ou des couloirs, car elles sont placées à différentes hauteurs sur la paroi rocheuse. On peut y admirer des scènes illustrant les échanges culturels qui ponctuèrent la Route de la Soie dans la grotte 302 de la dynastie Sui. Ou, dans la grotte 61 de la dynastie Song, le paysage peint du Mont Wutai, un des meilleurs exemples de cartographie artistique chinoise où aucun détail n’est négligé: routes, montagnes, fleuves, villes, temples, caravanes...