Après son travail pour l'entreprise familiale, Francesco Illy se lance dans la viticulture.
Après son travail pour l'entreprise familiale, Francesco Illy se lance dans la viticulture.

Après le café Illy, voici le vignoble de l'entrepreneur italien Francesco Illy

Son nom fait penser à un bon espresso et pourtant, Francesco Illy a délaissé l’entreprise familiale pour se lancer dans la viticulture en Toscane.

En quittant les collines de Montalcino vers le sud, la Strada Provinciale della Badia di Sant’ Antimo mène au cœur de Castelnuovo dell’Abate, deux références géographiques de cette sublime abbaye romane au milieu des prés. De là, pour rejoindre le Podere Le Ripi, on emprunte un chemin qui mène au domaine et à la maison de Francesco Illy.

C’est ici, dans la zone d’appellation du Brunello di Montalcino, que s’est ancré Francesco Illy, petit-fils du fondateur de Illycaffè, lui aussi prénommé Francesco. Il y partage ses jours avec sa compagne Stella di Campalto, autre icône des vins de Montalcino.

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"Un mec de 50 ans décide de devenir quelqu’un d’important dans le monde du vin alors qu’il n’a aucune culture en la matière. C’est un fou, mais ce fou a un rêve."
Francesco Illy

C’est Francesco, curieux de découvrir ses vins de San Giuseppe, qui est venu vers elle. Leurs deux domaines ont en commun d’avoir été plantés sur des terres vierges: en 1992 pour Stella et en 1998 pour Francesco. La comparaison s’arrête là: leurs gestions sont totalement indépendantes.

À côté de la maison, le jardinier veille sur un potager bio et sur une ménagerie de volailles, de moutons, d’une vache et de deux ânesses, "L’animal le plus proche de l’homme", commente notre hôte. Avant cela, à gauche du portique, on aperçoit le toit pointu d’une construction ronde, décrite comme un panthéon romain de 750.000 briques.

Cette œuvre architecturale unique s’enfonce discrètement dans la terre pour y accueillir la cave de ce domaine viticole d’une trentaine d’hectares de vignes. Conçu par son fils architecte, Ernesto, ce "golden cellar", ainsi nommé parce que ses dimensions sont basées sur le nombre d’or, fut achevé en 2015, après sept ans de travaux et cinq ans de finalisation.

Le chai du domaine viticole de Francesco Illy a été construit sur base du célèbre nombre d’or.
Le chai du domaine viticole de Francesco Illy a été construit sur base du célèbre nombre d’or.
© Jean-Pierre Gabriel

Les principes d'Illy

Francesco et sa très jeune équipe y élaborent des vins qui portent des noms révélant la personnalité et les principes fondateurs de cet Illy pas comme les autres. "Amore e Magia" fut le premier, suivi par "Amore e Follia" et "Sogni e Follia". On y parle donc d’amour, de folie et de rêves.

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Ces binômes ont un écho dans un des postulats de Francesco. "La curiosité conduit à la culture, qui conduit à la sensibilité, qui conduit à l’enthousiasme, qui conduit à l’amour, qui conduit à la magie, qui conduit à l’amour universel. Parce que tout le monde ressent la magie. Par conséquent, la curiosité est un cadeau universel."

Il poursuit: "C’est quoi, ce rêve? Un mec de 50 ans décide de devenir quelqu’un d’important dans le monde du vin alors qu’il n’a aucune culture en la matière, mis à part le fait d’en boire volontiers. C’est un fou, mais ce fou a un rêve. Et moi, j’ai cru en ce rêve."

Illy Art Collection

Un flash-back s’impose. Retour à la case départ. En 1986, Francesco, dessinateur industriel de formation, entre dans l’entreprise familiale (fondée en 1933). Six ans plus tard, il prend en charge les campagnes publicitaires et se met à raconter l'histoire de son café en images. "J’ai été le premier torréfacteur à me rendre dans les plantations de café. Au travers de mes photographies, je voulais faire comprendre ce qui fait la qualité de notre café, ce qui le différencie", explique-t-il.

De l’image, il passe au texte – il aime manifestement écrire – et prend en charge les campagnes publicitaires aux USA pendant 25 ans. "La qualité sans story telling ne mène pas très loin, de même que le story telling sans la qualité est vide de sens. Par contre, si on réunit les deux, on va beaucoup plus loin."

"J’élabore des vins pour qu’ils me plaisent ou me ressemblent."
Francesco Illy

Francesco racontera d’autres histoires avec la machine à espresso X1, un design de Luca Trazzi qui s’inspire du tableau de bord de la Fiat 500 de sa mère. Puis avec les tasses à espresso et à cappuccino, le fameux modèle dessiné par Matteo Thun, l’architecte maison. Le coup de génie date de 1992: utiliser celles-ci comme véhicule, comme support visuel de communication.

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Francesco Illy, un des grands noms du café transalpin, est aussi un viticulteur passionné.
Francesco Illy, un des grands noms du café transalpin, est aussi un viticulteur passionné.
© Jean-Pierre Gabriel

Les premières collaborations sont menées avec des architectes et des designers, y compris du monde de la mode. Francesco veut aller plus loin en faisant entrer le monde de l’art dans cet objet de tous les jours. "Mon voisin à Montalcino est le peintre Sandro Chia. Quand je lui ai proposé de concevoir l’image d’une tasse, il m’a répondu que cela lui semblait impossible puisque j’avais débuté en mode mineur, sous-entendu avec des non-artistes."

"J’ai eu le sens de l’à-propos en lui répondant que nous allions créer la Illy Art Collection, qui compte aujourd’hui une centaine de noms." Francesco assure la direction de ce projet pendant cinq années riches de découvertes. Après Sandro Chia viendront Bob Rauschenberg, Philip Johnson ou encore James Rosenquist - "l’artiste qui m’a le plus touché, une personne merveilleuse", se souvient l'entrepreneur.

Ce projet lui offre aussi un enrichissement personnel et des rencontres passionnantes avec des directeurs de musées, des galeristes, des commissaires d’exposition. "En fait, la photo, le design et l’art ont créé une histoire pour les yeux qui, elle, raconte un produit du domaine de l’organoleptique (le goût, l'odeur, le toucher, NDLR). Cela se révèle une évidence quand on sait que nos yeux envoient des messages au cerveau à une vitesse des milliers de fois supérieure à celle de notre nez ou notre bouche."

Voilà pourquoi les vins du domaine Podere Le Ripi sont d’une grande qualité doublée d’une belle histoire. "Les deux choses dont je sois capable. Toutefois, je ne pourrais pas construire une narration pour quelque chose en lequel je ne crois pas. J’élabore des vins pour qu’ils me plaisent ou me ressemblent, et cela depuis 2003, l’année de notre première vendange."

Les vins de Podere le Ripi obtiennent régulièrement plus de 90 points chez Robert Parker.
Les vins de Podere le Ripi obtiennent régulièrement plus de 90 points chez Robert Parker.
© Jean-Pierre Gabriel

Stella di Campalto

Un trajet s’impose, un déplacement de 1.600 mètres à vol d’oiseau. On atterrit à San Giuseppe, dans le modeste vignoble de Stella di Campalto, 12 parcelles toutes différentes. Sur le chemin étroit qui sépare deux d’entre elles, Stella explique que celle du dessus est riche en fer, alors que celle du dessous est composée de calcaire, un sol filtrant. En haut, la vigne est vigoureuse, le feuillage est abondant, et en bas, le sol filtrant va stresser la vigne.

Au passage, celle dont les mots clés sont nature et temps nous fait remarquer un rocher. "Ce que vous voyez est la partie émergée de l’iceberg. Nous avons voulu l’extraire, mais la grue s’y est cassé les dents. Par contre, un genévrier a réussi à s’y enraciner: il a brisé la roche à sa manière."

Dans ses mots comme dans ses actes, Stella est la poésie incarnée. Convaincue par la biodynamie dix ans avant Francesco, elle respecte à la lettre les cycles lunaires, de la vigne à la mise en bouteille. Toutes les opérations de vinification, de la fermentation à l’élevage – chaque parcelle étant traitée indépendamment –, se déroulent dans des tonneaux et des fûts de chêne français. En découlent des vins qui révèlent la finesse et la délicatesse de la dentelle.

Stella di Campalto, partenaire à la ville comme à la viticulture de Francesco Illy, est une vigneronne de talent.
Stella di Campalto, partenaire à la ville comme à la viticulture de Francesco Illy, est une vigneronne de talent.
© Jean-Pierre Gabriel

Vignoble bonzaï

Depuis des années, leur cotation avoisine les 95 points chez Robert Parker. "Je ne produis que 4.000 bouteilles par millésime – et aucun n’est assemblé avec un autre: un 2014 est donc un 100% de cette vendange-là", pointe Stella. "Ce qui m’intéresse avant tout, c’est qu’il y ait une bouteille sur la table et qu’elle soit vide! Les guides qui veulent me coter achètent leurs propres bouteilles."

Côté récompenses, Podere le Ripi (35.000 bouteilles par an) n’est pas en reste, Robert Parker le cotant régulièrement au-delà de 90 et Jancis Robinson lui attribuant 17,5 pour la Riserva "Lupi e Sirene" 2014, par exemple.

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© Jean-Pierre Gabriel

"Francesco et moi appliquons des méthodes similaires, mais nos vins sont à l’antithèse. Pour les comparer à la musique, il est les notes et je suis le silence entre les notes. Pour moi la pause est très importante. J’appartiens au monde classique, Francesco est en permanence dans l’innovation, ainsi que l’illustre son vignoble bonzaï."

Comme son nom l’indique, ce dernier se différencie par la hauteur des vignes, mais également par une forte densité de 62.500 pieds à l’hectare. Les vins de Francesco ont cette caractéristique d’avoir de la profondeur sans puissance. Comme ceux de Stella, ils sont élevés en moyenne trois ans en fûts de chêne, la moitié de cette durée pour ceux issus des vignobles bonsaï.

Changement climatique

Planter de la vigne ne lui suffit pas. Francesco plante aussi des arbres. L'histoire commence par une conversation avec Christine Saahs, du célèbre domaine Nikolaihof, en Autriche. Celle-ci lui parle de Sekem, un grand domaine cultivé en biodynamie en Égypte, fondé par un homme d’affaires autrichien. Fasciné par cette ferme au milieu du désert, Francesco y voit la possibilité de réaliser un projet qui contribue à la diminution de l’empreinte carbone.

Sa compagnie suisse, Amici Caffè, finance à partir de 2012 la plantation de 10.333 arbres, suivis en 2019 de 40.000 autres. En 2021, 100.000 arbres seront plantés à Madagascar. Le projet a une triple portée. Humaine d’abord, car il fournit un emploi aux habitants de l'île. Écologique ensuite: à terme, le couvert forestier créera une sorte d’oasis qui apportera plus de fertilité à la terre.

En plantant des arbres, l'entreprise de Francesco Illy contribue à la fertilité des sols.
En plantant des arbres, l'entreprise de Francesco Illy contribue à la fertilité des sols.
© Jean-Pierre Gabriel

Économique enfin: les certificats CO2 engendrés seront revendus et l’argent ainsi récolté permettra de planter d’autres arbres. Le cercle vertueux est amorcé. "Mais je ne me fais pas d’illusions. La destruction des forêts au cours des récentes décennies a fait de tels ravages que mon expert en foresterie à Madagascar estime qu’il faudrait sept siècles pour retrouver le même biotope."

Actuellement, Francesco peaufine la mise en page d’un livre manifeste dont l’écriture a pris un an, entre le 26 décembre 2018 et le 26 décembre 2019. Il sera publié en 4 langues, sans doute à compte d’auteur. Son titre italien est "Mi fido di te"("Je te fais confiance"). Son credo: face au changement climatique (entre autres), il nous faut une nouvelle éthique, qui respecte les intérêts de tous.

Plus d'infos sur podereleripi.com et sangiuseppe.com.