Choisir une bouteille sur la carte des vins de restaurants réputés n'est pas une sinécure. Comment s'y prendre? Quatre sommeliers de haut niveau vous éclairent.
À propos de cette série sur le vin
Les lectures à propos de bouteilles iconiques, de vignobles idylliques et de vignerons passionnés nous font rêver. Même si nous savons que le vin est un grand commerce, nous aimons privilégier le romantisme. En général, ouvrir une bouteille suscite encore plus d'émotion: déguster un bon vin en bonne compagnie constitue un des plus grands plaisirs de la vie.
Cette série allie rêve et action: non seulement nous recherchons les vins les plus chers du monde, mais nous nous mettons également en quête d'alternatives intelligentes à ces flacons légendaires. Nous nous demandons comment vivre le plaisir du vin au restaurant sans nous perdre dans une carte des vins aussi épaisse qu'un dictionnaire. Comment naviguer joyeusement dans les rayons vin au supermarché. Comment effectuer les meilleurs achats lorsqu'on souhaite constituer sa propre cave. Et s'il est judicieux d'investir dans le vin. La série que Sabato et L'Écho consacrent au vin est idéale pour les plaisirs de la lecture et de la dégustation.
Même dans l'élégante salle à manger du Vintage à Kontich, il est souvent difficile de choisir. Avec des langoustines et du canard au menu de ce restaurant raffiné, nous nous décidons rapidement en ce qui concerne les plats. Mais qu'allons-nous boire? Vintage ne propose pas de "vins assortis", l'échappatoire de nombreux clients pour éviter la tâche ardue de sélectionner eux-mêmes une bouteille, explique Steven Wullaert, sommelier et gérant de l'établissement. Il dépose la carte des vins sur la table. Les onze pages sont plutôt modestes comparées aux bibles des vins comportant des centaines de références que certains restaurants utilisent encore.
Sur les pages du Vintage, des noms prestigieux tels que Brunello de Biondi Santi, Sassicaia et Château Ausone côtoient des bouteilles intrigantes provenant de régions moins évidentes, comme un vin japonais élaboré à partir du cépage koshu ou un gamay du nord de la Californie. Un riesling du réputé domaine Keller de Rheinhessen coûte 65 euros, une offre alléchante. C'est alors que le sommelier Wullaert pose la question salvatrice: "Puis-je vous suggérer quelques verres?"
Alors, il y a finalement des "vins assortis"? "C'est exact", répond Wullaert. "Mais ils sont véritablement adaptés, car j'effectue une sélection différente pour chaque client, en fonction de ses préférences en matière de vin. Pour ces langoustines, je pourrais sélectionner dix vins adéquats, mais je préfère proposer aux convives le verre qui leur procurera le plus de plaisir. C'est pourquoi je ne travaille jamais avec une offre standard au verre et vous ne trouverez pas davantage une formule fixe de vins assortis au menu."
Pour certains plats, le sommelier propose même deux verres, comme le riesling et le weissburgunder de Burg Ravensburg du pays de Bade pour accompagner un morceau de truite. "Personnellement, j'adore jouer avec le vin, voir comment il se marie avec le plat, et c'est ce plaisir du jeu que je veux transmettre."
Comment reconnaître une bonne carte des vins?
Les restaurants dotés d'une bonne carte des vins figurent sur le radar de nombreux guides. Par exemple, le Wine Spectator américain décerne des récompenses aux établissements proposant une sélection de vins exceptionnelle. En Belgique, seize établissements, du restaurant Au Vieux Port à Anvers au Ralf Berendsen à Lanaken, méritent cette distinction d'après le site web.
Le site web suédois Star Wine List répertorie également des cartes des vins prestigieuses. Les soixante adresses sélectionnées sont classées par catégories, allant des restaurants offrant une courte mais excellente carte des vins (Barge à Bruxelles) aux endroits proposant une large sélection au verre (Tablàvins à Knokke).
Pour les amateurs de vins naturels, l'application Raisin propose des dizaines de suggestions.
Cependant, la sélection la plus étendue est disponible en cochant l'option "Carte des vins intéressante" sur le site Michelin et "Cave exceptionnelle" sur celui de Gault&Millau. De manière prévisible, on retrouve alors à peu près tous les grands restaurants, de Boury à Zilte, mais aussi de nombreuses adresses surprenantes, telles que Lammekeshoeve à Grimbergen et Sophie & Nicolas à Comblain-la-Tour, qui s'avèrent également être des endroits intéressants pour les œnophiles.
Le vin au restaurant: de plus en plus complexe
Que faire concrètement avec la carte des vins? Jusqu'aux années 90, avant que les restaurants ne se mettent à proposer plus fréquemment des menus dégustation, c'était en fait assez simple: on choisissait un plat à la carte, et la carte des vins était courte et prévisible. Les vins du monde, de l'Argentine à l'Afrique du Sud, n'ont fait leur apparition dans les restaurants qu'à partir de la fin du siècle dernier. La carte des vins d'un restaurant gastronomique se limitait donc à la France, complétée par quelques références espagnoles et italiennes. C'était l'époque des valeurs sûres: on buvait du chablis ou du muscadet avec les huîtres, du sauternes avec le foie gras, et du bourgogne rouge avec le faisan.
Mais depuis lors, boire du vin au restaurant est devenu de plus en plus complexe. Les cartes des vins se sont étoffées, le monde s'est élargi: les sommeliers proposent désormais du saké avec les langoustines et un mélange de vin blanc et de bière à l'apéritif. "Je comprends tout à fait que les clients ne sachent plus vraiment quoi choisir", déclare Wullaert. "De plus, dans de nombreux restaurants, on ne peut plus choisir ce qu'on mange et on est obligé de prendre un menu dégustation. Allez choisir une bouteille avec ça! On comprend pourquoi les clients demandent des vins assortis."
1.700 vins au Hof van Cleve
Pour de nombreux clients de restaurants, il reste donc difficile de se frayer un chemin à travers l'interminable liste d'appellations et de producteurs. Surtout lorsque celle-ci, comme au Hof van Cleve, compte 1.700 références. "Lorsque cette bible arrive sur la table, les clients ont généralement un petit moment d'étonnement", s'exclame le sommelier Tom Ieven en riant.
Chez Paul De Pierre, un restaurant œnologique situé à Maarkedal, la carte est si complète que le sommelier Paul-Henri Cuvelier l'a subdivisée en trois livres, totalisant 110 pages denses. "Et ce n'est pas tout: les vins qui sont encore trop jeunes ou dont je n'ai que deux bouteilles ne sont pas répertoriés sur la carte."
Paul De Pierre propose notamment six pages de champagnes et 22 vins de Madère disponibles au verre. Le sommelier admet que la taille de l'offre constitue "en fait un handicap". "Pour beaucoup de clients, c'est trop écrasant, c'est une barrière pour se lancer. Mais il faut considérer cette carte comme une invitation à la discussion. De cette manière, je peux faire découvrir aux clients quelque chose de nouveau. Si je sens que vous êtes ouvert à un vin oxydatif, je peux vous servir un sherry fantastique que vous n'auriez jamais choisi spontanément. Une carte des vins est un point de départ."
C'est également ainsi que Tom Ieven voit les choses. Le sommelier du Hof van Cleve propose bien un wine pairing avec le menu – "à un niveau élevé", précise-il lui-même –, mais il considère également que son travail consiste à aider les clients qui souhaitent choisir leur propre bouteille dans l'impressionnante bible. "En fait, c'est ce que je préfère. Et je demande toujours aux clients ce qu'ils aiment boire. Je ne suggérerais jamais quelque chose qui pourrait s'accorder avec le plat, mais que les convives n'ont en réalité pas envie de boire."
S'il s'agit d'un vin classique – bourgogne blanc, bordeaux rouge –, Ieven est ravi de s'y conformer. "Imaginons que vous aimiez le meursault. Je considère qu'il est de mon devoir de vous expliquer brièvement les différences entre les meursaults proposés sur la carte. Lesquels ont bénéficié d'une plus grande maturation en fût? Quelle est la différence entre les millésimes?"
3 règles d'or pour choisir le bon vin au restaurant
Aussi intimidante que puisse être une carte des vins, ces trois règles d'or permettent de ramener rapidement les centaines de références à quelques choix potentiels.
- Restez simple.
Choisissez des noms familiers et définissez une limite de prix. Cela évitera les surprises désagréables et réduira considérablement le choix de la carte: pas excitant, mais sûr.
- Suivez le plat.
Vous savez ce que vous allez manger? Choisissez alors un vin du même style que le plat. Par exemple, une salade au fromage de chèvre se mariera bien avec un vin tout aussi frais et léger, comme un sancerre classique ou un autre sauvignon blanc.
- Le style est plus important que le cépage.
Choisir une bouteille simplement parce qu'elle porte la mention "chardonnay" n'est pas une bonne idée. Il est plus important de savoir comment le vin a été élaboré: un chardonnay élevé en fût de chêne aura une bouche riche et ample, tandis qu'un chardonnay fermenté en cuves inox sera surtout fruité. Ce style de vin est souvent précisé dans la description de la carte.
Leçon de géographie
La plupart des cartes des vins sont classées géographiquement et parcourent en détail toutes les régions viticoles célèbres, de la Côte de Nuits au sud de la vallée du Rhône, en passant par la Toscane italienne et la Ribera del Duero espagnole. Est-ce bien nécessaire? Faut-il vraiment avoir étudié la géographie pour choisir une bouteille de vin?
On peut aussi procéder différemment, reconnaît Tom Ieven. Pour La Rigue, le restaurant très médiatisé du chef Peter Goossens à Knokke, le sommelier a élaboré une carte classée par cépages. Pour les vins blancs autrichiens, par exemple, vous avez le choix entre grüner veltliner et riesling. Pour la Loire, entre chenin et sauvignon. "Cela fonctionne parce qu'il s'agit d'une petite carte de trois cent références. Dès que la carte s'agrandit, ce système commence à poser des problèmes et une vue d'ensemble géographique s'avère tout de même plus claire.
Yanick Dehandschutter connaît également ce problème. Le sommelier et propriétaire du Sir Kwinten à Lennik a également classé les 465 références de sa carte des vins par région, "parce que tout bien considéré, c'est le plus clair". Un client qui aime le riesling de Moselle peut ainsi trouver rapidement une bonne bouteille. Au Ferment, le deuxième établissement de la famille Dehandschutter, le sommelier expérimente une classification par style de vin, des vins "légers et frais" aux vins "puissants et corsés". "Cependant, le problème est que ces styles ne sont pas toujours clairs. Un riesling ample et mûr peut être trop riche et trop complexe pour être classé dans la catégorie 'léger et minéral', par exemple."
Dehandschutter prévoit d'étoffer sa carte des vins dans les années à venir. "Une bonne carte des vins comporte deux aspects: vous y trouverez aussi bien les préférences personnelles du sommelier que des bouteilles provenant des régions viticoles les plus connues."
En lisant le carte du Sir Kwinten, on s'aperçoit rapidement que Dehandschutter est fan de la Bourgogne et du Piémont. "Mais j'aimerais mettre en avant certaines autres régions de manière plus détaillée sur la carte. Par exemple, j'ai été impressionné par le cépage chenin de la Loire, où de belles découvertes restent à faire. Et plus la carte des vins est étendue, plus on peut s'amuser!"
3 cartes des vins, 6 bonnes affaires
Vous repérez des dizaines de vins orange sur la carte des vins? Vingt millésimes de Cheval Blanc? Deux pages entières consacrées à Puligny-Montrachet? Il y a de fortes chances que nous ayons affaire à un propriétaire/sommelier passionné. Dans ce type de collections, on trouve généralement d'excellentes affaires: six exemples provenant de trois cartes des vins.
L'Essen'Ciel, Désiré Petit, Arbois-Pupillin, Jura, 2018 (chez Paul De Pierre, Maarkedal)
"Je suis un grand amateur des vins du Jura, avec leurs cépages typiques comme le savagnin et leur touche oxydative", explique Paul-Henri Cuvelier. "Ce savagnin (44 euros) est élaboré dans un style non oxydatif et donc, un peu plus accessible. Une belle introduction à une région intrigante pour un prix raisonnable."
Les Butteaux, François Raveneau, Chablis, 2011 (chez Paul De Pierre, Maarkedal)
Le nom de François Raveneau apparaît pas moins de 36 fois chez Paul De Pierre et occupe une page entière sur la carte. On y trouve non seulement toutes les cuvées de ce domaine renommé de Chablis, mais aussi des millésimes plus anciens. Par exemple, le premier cru 2011 Les Butteaux coûte trois cent euros, une véritable aubaine. Pour acquérir cette bouteille à une vente aux enchères, il faudrait débourser au moins cinq cent euros de plus. Dans ce cas, la bouteille est moins chère au restaurant qu'au magasin. "Le Chablis vieilli est un plaisir rare, et les connaisseurs le savent. Et ils réalisent qu'avec cette bouteille, ils font vraiment une bonne affaire."
Coulée d'Arthenay, Domaine de la Renière, Saumur, 2020 (chez Sir Kwinten, Lennik)
"Le chenin de la Loire est un cépage sous-estimé", déclare Yanick Dehandschutter. Dans l'appellation Saumur, le jeune vigneron Thibault Masse réalise de belles choses avec du chenin issu de vieilles vignes. Les clients qui avaient initialement l'intention de choisir un bourgogne de la carte ont été très satisfaits, d'autant plus que cette bouteille ne coûte que 62 euros."
Sercialinho Branco, Quinta do Ribeirinho, Luis Pato, Bairrada, 2020 (chez Sir Kwinten, Lennik)
Le légendaire vigneron portugais Luis Pato a inscrit la région de Bairrada, située juste en dessous de Porto, sur la carte œnologique. Chez Sir Kwinten, ils aiment proposer une cuvée à base de sercialinho (98 euros), un cépage apparenté au sercial de Madère. "Un vin complexe avec beaucoup de profondeur et une fraîche acidité, idéal pour surprendre les clients."
Löchle, Weissburgunder, Weingut Burg Ravensburg, 2018 (chez Vintage, Kontich)
Dans le pays de Bade, à la frontière avec les Vosges françaises, ce domaine renommé produit du vin depuis le 13ème siècle. "Il est tentant de choisir un riesling, mais ce Weissburgunder Grosses Gewächs (80 euros) démontre que le pinot blanc, un cépage quelque peu méconnu, peut également produire un vin exceptionnel", déclare le sommelier Steven Wullaert. "Très complexe, avec une très légère macération, ce qui place ce vin entre blanc et orange."
Vouvray Sec, Domaine Huet, Vouvray, 2011 (chez Vintage, Kontich)
"Ce grand chenin d'un domaine renommé constitue peut-être un choix plus classique, mais il montre aussi que la carte peut proposer des millésimes plus anciens à des prix intéressants. Chez nous, ce vin coûte 95 euros. À une vente aux enchères, vous le paieriez beaucoup plus cher."