Ce lundi, Gault&Millau lance le premier guide des vins belges. L'occasion de visiter l'un des plus prestigieux domaines de Belgique, celui de la famille de vignerons Vandeurzen.
- Gault&Millau lance son guide des vins belges.
- Il décerne également des prix aux "vins de l'année".
- Prix : 26,95 euros.
La lumière douce du jour pénètre par de grandes fenêtres dans le hall imposant. Des palettes remplies de bouteilles vides jonchent le sol. Les cuves en inox aveuglent par leur brillance. Le silence règne au cœur de l'une des caves les plus prestigieuses de Belgique. Seul un refroidisseur bourdonne.
Bert Vandeurzen, responsable du Domaine Vandeurzen dans le somptueux "Château blanc" de Linden, en tenue décontractée et chaussures cirées, nous fait faire le tour du propriétaire. Les cuves rutilantes semblent contenir une grande partie de la récolte 2022, prête à être mise en bouteille.
35.000 bouteilles par an
Depuis quelques mois, le domaine expérimente pour la première fois une nouvelle forme de maturation à l'aide de grandes jarres en argile cuite, de couleur terre cuite pastel. "Nous avons rempli les amphores de Lemberger et de Chardonnay. À l'intérieur des jarres, il se produit alors un échange entre l'oxygène et le vin. Comme dans un tonneau en bois, mais sans les arômes relâchés par le bois. On obtient un vin mûr, mais plus pur", explique le vigneron.
Le domaine Vandeurzen proposera bientôt 15 variétés de vin différentes sur le marché, un nombre impressionnant pour un domaine qui produit à peine 35.000 bouteilles par an sur six hectares et demi. Pourquoi cette expérimentation? "C'est notre ADN", sourit Bert Vandeurzen. "L'innovation est importante pour nous. Elle est au cœur de notre société d'investissement Smile Invest, que nous avons fondée en 2017. Mais elle s'applique également lorsque nous produisons du vin."
"L'innovation est importante pour nous."Bert Vandeurzen
Technologie de pointe
Le domaine semble avoir adopté les technologies vinicoles de pointe. Lorsque Bert Vandeurzen ouvre une porte, la température de chaque cuve en acier inoxydable s'affiche en chiffres rouges à la virgule près. Les grands brasseurs de bière disposent généralement d'un tel système de contrôle de la température par ordinateur, mais c'est rarement le cas dans les petits domaines viticoles.
Par ailleurs, une cuve flambant neuve de 13.500 litres est équipée d'un système de pulvérisation et de vissage intégré, un autre jouet rare. Ici, on plante des vignes à l'aide d'un système GPS, de sorte que la distance entre les vignes soit exactement la même. Sur une partie du domaine, le centre de recherche Flanders Make teste même un tracteur autoguidé.
La cave est également à la pointe du progrès. Elle est partiellement enterrée dans la pente orientée au sud sur laquelle se trouve le vignoble. Cela permet d'obtenir une température plus constante et un refroidissement naturel, explique M. Vandeurzen. "Dans notre entrepôt, nous avons à peine un degré de différence entre l'hiver et l'été."
De lourds investissements
Après le rachat du Château blanc de Linden, en 2013, il a fallu attendre sept ans pour que la cave puisse tourner à plein régime. Au total, la famille a déjà investi quatre millions d'euros dans le terrain, les bâtiments et les machines.
Ces efforts semblent porter leurs fruits : les vins du domaine remportent régulièrement des médailles lors de concours viticoles et la famille parvient à vendre plus de 30.000 bouteilles par an, notamment grâce à son propre restaurant et aux salles d'événements situées sur le domaine. "Nous sommes passionnés par le vin, mais nous l'envisageons aussi dans une perspective commerciale", avance Bert Vandeurzen.
Le domaine travaille sur ce marché avec des vins qui, dans l'ensemble, sont abordables. Alors que les vins belges les plus chers, comme le Clos d'Opleeuw, coûtent facilement 60 euros, ici vous payez entre 13 et 26 euros.
Un privilège de fortunés
La façon dont la famille Vandeurzen a investi pour se hisser au sommet des viticulteurs belges semble être révélatrice d'un phénomène relativement nouveau en Belgique, où des entrepreneurs gèrent des domaines viticoles comme s'il s'agissait de sociétés de portefeuille. Le père Urbain Vandeurzen a acheté son vignoble avec une partie des 420 millions d'euros qu'il a gagnés en vendant sa société de technologie LMS International à Siemens.
Parmi les autres entrepreneurs fortunés possédant des vignobles, citons la famille Ewbank de Wespin du Chant d'Éole dans le Hainaut, ou encore la famille Vaxelaire de Bioul près de Namur. Des familles qui peuvent s'offrir les meilleurs œnologues et les équipements de vinification les plus sophistiqués, loin de l'amateurisme à petite échelle qui caractérise la plupart des 259 viticulteurs belges. Ce type d'entrepreneuriat viticole n'est réservé qu'à quelques familles très fortunées qui peuvent s'offrir le luxe de la patience.
Ainsi, comme pour tous ses investissements, la famille Vandeurzen souhaite rentabiliser le domaine viticole. Pourtant, dix ans après sa création, elle en est encore loin.
Expérimentations
Pour expérimenter en permanence, comme le fait le domaine Vandeurzen, une solide fortune familiale s'avère indispensable. "Chaque année, nous plantons de nouveaux cépages. Nous avons déjà fait des expériences avec le Barbera et le Montepulciano. Parfois, cela fonctionne, parfois non. Il faut essayer pour apprendre".
C'est ce que fait la famille depuis le début. Vandeurzen est le seul domaine viticole en Belgique à avoir planté du Tempranillo et de l'Albariño. Ils ont également fait un choix atypique en plantant du Lemberger, un cépage rouge populaire en Allemagne et en Autriche. Pourquoi ? "Parce que nous aimons ce vin nous-mêmes", répond simplement Bert Vandeurzen.
"Une bouteille belge est certainement plus durable qu'un vin chilien ou néo-zélandais. Les jeunes, en particulier, y sont sensibles. L'avenir est donc prometteur".Bert Vandeurzen
Esprit d'entreprendre
Toutes ces expérimentations feraient oublier que la moitié du domaine est simplement plantée du très connu chardonnay, un cépage qui correspond à la fois aux préférences personnelles et à l'instinct commercial de la famille. Le domaine des Vandeurzen produit trois vins différents avec ce cépage populaire : une version non vieillie en bois, la variété Prestige vieillie en chêne américain et un vin rappelant un grand Bourgogne vieilli en chêne français.
En bons entrepreneurs prévoyants, la famille pense déjà à plus long terme pour son château viticole. Deux rues plus loin, à cinq minutes en voiture, elle a acheté un autre terrain de cinq hectares et demi. La vigne y poussera aussi. Quand ? "Ce sera déterminé par le marché", explique Bert Vandeurzen. "Nous voulons nous développer, mais le rythme dépendra de la demande. Nous espérons que le vin belge restera populaire. Une bouteille belge est certainement plus durable qu'un vin chilien ou néo-zélandais. Les jeunes, en particulier, y sont sensibles. L'avenir est donc prometteur".