Pendant des années, David Seijas a été sommelier en chef au top restaurant El Bulli. Suite à sa fermeture, il s’est lancé de la viticulture, avec son projet vinicole Gillina de Piel. "J’en avais assez de déboucher les bouteilles les plus chères."
Que faire quand le restaurant dans lequel on travaille comme sommelier ferme ses portes? David Seijas, chef sommelier de El Bulli, a choisi de lancer son projet vinicole, Gallina de Piel, avec deux associés: Guillem Sanz Obach, un sommelier avec une formation en architecture et design, et Ferran Centelles, ex-sommelier chez El Bulli et critique vin chez Jancis Robinson.
“Je ne voulais plus jamais travailler comme sommelier dans un restaurant. Où aurais-je pu faire mieux qu’à El Bulli?”, affirme l’Espagnol. “Je voulais raconter ma propre histoire en matière de vin.”
Meilleur restaurant du monde
Néanmoins, le passage de Seijas à El Bulli, élu meilleur restaurant du monde en 2002, 2006, 2007, 2008 et 2009, a déterminé son approche pour ce projet. “Chez Ferran Adrià, tout était centré sur l’assiette. Il était le chef rock star et le vin devait mettre en valeur ses créations techniquement parfaites. Les sommeliers investissaient énormément de temps dans la recherche des vins idéaux pour accompagner un menu comptant jusqu’à cinquante préparations."
"Car il fallait que le client soit aussi captivé par le verre et, cela, pendant des heures. Nous essayions donc de le surprendre, tant par des cuvées très polyvalentes que par des pairings plus spéciaux -du saké, du thé ou de la bière-, pour maintenir l’effet de découverte. Des propositions qu’Adrià rejetait souvent, nous obligeant à recommencer.
"Mais, bien sûr, le grand avantage de cette méthode de travail nous a permis d’acquérir une grande expertise. Nous avons aussi appris que l’on ne peut pas jouer avec des combinaisons tant que l’on ne maîtrise pas parfaitement les bases.”
C’est aussi le credo de son domaine viticole, Gallina de Piel. “Comme Adrià, nous partons du potentiel gastronomique d’une région ou d’un cépage. Nos vins sont nés dans la gastronomie, alors que c’est le contraire pour la plupart des vignerons. Pour nous, un vin doit être avant tout polyvalent et s’accorder aux mets avec lesquels il est servi. C’est pourquoi, dans nos vinifications, en blanc comme en rouge, nous recherchons le maximum de fraîcheur et de jus. Pour la même raison, nous n’exagérons pas la durée de l’élevage en fûts de chêne.”
Gallina de Piel
Chez Gallina de Piel, un autre principe est l’humour, ce qui se manifeste sur les étiquettes et dans le nom, qui est une expression "cruijffienne". “Nous sommes de grands fans du FC Barcelone et de Johan Cruijff, un des meilleurs joueurs de tous les temps”, avoue David Seijas.
“Quand j’avais 16 ans, je vivais dans la même ville que lui, près de Barcelone. Plus tard, quand j’étais sommelier à El Bulli, je l’ai servi souvent. Pourquoi je l’admire autant? Avant l’arrivée de Cruijff, le Barça était un club de losers, mais, grâce à lui, les jeunes footballeurs sont devenus fiers du rayonnement de FC Barcelone. Il était donc logique que nous choisissions un nom qui soit à la fois un hommage et un clin d’œil."
"C’est une drôle d’expression, comme Cruijff en disait beaucoup: ‘Gallina de piel’ est la traduction littérale qu’il faisait de ‘chair de poule’, alors qu’en espagnol, cela signifie ‘poule de peau’. La traduction correcte de ‘chair de poule’ est ‘piel de gallina’. Ce nom résume parfaitement notre approche: le fun est la clé de voûte de notre projet.”
Appellations en Espagne
Le moment “chair de poule” de Gallina de Piel a eu lieu lors de la première récolte, embouteillée en 2016. Dans l’intervalle, le triumvirat de départ est devenu en équipe d’une quinzaine de personnes. Ensemble, ils élaborent quatre cuvées, deux en rouge et deux en blanc, réparties sur les appellations Penedès, Calatayud, Empordà et Ribeiro, qui représentant une production annuelle de 25.000 bouteilles.
Pourquoi ces lieux spécifiques? “Quand El Bulli a fermé, j’ai commencé à écrire au sujet du vin. J’ai visité des domaines en Espagne et j’ai découvert le potentiel de certaines appellations. En choisissant ces régions, nous pouvons contribuer à les inscrire sur la carte viticole du monde."
"Quand on parle d’une dénomination comme le Ribeiro en Belgique ou au Royaume-Uni, on constate qu’elle est inconnue, même des amateurs de vin. Nous pouvons y apposer notre sceau, plutôt avec des cépages indigènes et non avec un énième chardonnay.”
Pour valoriser ces appellations peu connues et mal aimées, le trio essaie de travailler le plus naturellement possible: “Actuellement, tous nos vins sont bio, mais pas encore certifiés. Pour nous, ce n’est pas l’essentiel. Un vin doit avant tout être bon, s’accorder avec de nombreux plats et être techniquement irréprochable. C’est ensuite seulement que vient la dernière étape: est-il bio et naturel? Si oui, bravo!”
Étonnamment abordable
Pour suivre les quatre appellations, très éloignées les unes des autres en termes de distance et de style, Seijas et ses associés font appel à des vignerons locaux. “Ils assurent le suivi quotidien du vignoble, mais nous prenons toutes les décisions importantes concernant la récolte, le stockage et l’embouteillage. C’est pourquoi j’ai considérablement réduit mes autres tâches."
"Nous tenons à nous consacrer à notre vin: Gallina de Piel est mûr, nos cuvées sont là, nous devons juste les commercialiser sur le marché international. Nous sommes aux débuts de notre projet et de nos exportations. Nous devons encore lancer notre marque sur le marché.”
Ce qui peut surprendre, c’est leur prix abordable. Les deux cuvées d’entrée de gamme coûtent environ 10 euros et les vins supérieurs, environ 15,50 euros. Ce qui est logique, précise Seijas: “Après El Bulli, j’en avais assez des bouteilles chères."
"Vous n’avez pas besoin d’un sommelier pour vendre un Château Latour, mais pour trouver de nouveaux crus offrant un bon rapport qualité-prix, il vous sera très utile."
"Nous souhaitons que le vin reste accessible et surprenant. Fin 2020 ou au printemps 2021, nous sortirons deux single vineyards. Une cuvée haut de gamme de Tenerife en blanc et une cuvée du Priorat en rouge, issu de vignes centenaires d’un petit vignoble d’un hectare. Dans les deux cas, une production minimaliste de tout au plus 300 bouteilles.” Petit, mais raffiné... et fun.
Disponible chez Wijnhandel Herman/HermanWines.
Couleur: blanc.
Couleur: blanc.
Couleur: rouge.