On connaît John Malkovich en tant qu'acteur et réalisateur. L'Américain est également l’heureux propriétaire d'un vignoble dans le Luberon, Les Quelles de la Coste.
"Investir dans une affaire est, pour moi, la meilleure manière de perdre des millions". L’acteur de cinéma John Malkovitch (66 ans) sait de quoi il parle. Producteur de films, réalisateur et acteur au théâtre, ce touche-à-tout est aussi créateur. Et, comme nombre de ses pairs à Hollywood, il gère aussi quelques bars et restaurants.
Pourtant, son aventure dans la viticulture est d’une tout autre nature. John Malkovich et son épouse, la réalisatrice Nicoletta Peyran, ont décidé, à la fin des années 80, d’élever leurs deux enfants, Amandine et Loewy, dans un environnement bucolique, loin de mégapoles comme Los Angeles et Londres.
Ils ont acheté Les Quelles de la Coste, un domaine de 10 hectares situé dans le massif du Luberon, près du village pittoresque de Lacoste où se trouvent les ruines d’un château ayant appartenu au Marquis de Sade.
Le Luberon, une région qui, depuis toujours, attire les célébrités discrètes comme Albert Camus ou Pierre Cardin, a beaucoup d’atouts: malgré sa proximité avec la Côte d’Azur (Marseille est à une heure de route) cette région est un havre de paix et de tranquillité, loin du luxe tapageur des stations balnéaires et de la Provence trop touristique.
Premier millésime
L’Américain s’est lancé dans la viticulture en 2008. "Nos terres avaient été exploitées pendant des années par des agriculteurs qui y cultivaient des carottes et du blé, mais, depuis leur retraite, elles étaient en jachère. Nous trouvions que c’était du gaspillage. C’est alors que mon épouse a eu l’idée d’y planter des vignes pour faire notre propre vin, car ce terroir était parfaitement adapté à la viticulture."
Le couple a donc fait planter près de 5 hectares de vignes, mais se lancer dans la viticulture n’a pas été de tout repos. "Nous devions assurer la cohérence du processus de vinification, constituer une équipe fiable pour l’élaboration et la vente du vin, et trouver un espace de stockage approprié pour notre production."
Les premières vendanges du couple ont été mises en bouteille en 2011. Curieusement, ce premier millésime n’a pas pu être commercialisé. "Nous nous consacrions à notre vin avec un tel enthousiasme que nous avons complètement oublié d’enregistrer notre domaine en tant que société. Nous nous sommes donc retrouvés avec 16.000 bouteilles que nous n’étions légalement pas autorisés à vendre."
Ce n'est qu'une fois qu'il a atteint la quarantaine que John Malkovich a découvert - et apprécié - le monde des vins.
Un oubli qui a fait le bonheur de leurs amis et connaissances, car nos deux vignerons distraits ont distribué la quasi-totalité des bouteilles à une trentaine de familles amies et stocké le reste dans leur cave pour leur consommation personnelle. "Même si nous avons commis quelques erreurs de débutant (nous aurions dû vendanger à la main dès le début, comme nous le faisons aujourd’hui), cette première cuvée nous donne toujours autant de plaisir, surtout le cabernet."
Les Quelles de la Coste
Moins de dix ans plus tard, la production annuelle moyenne du domaine oscille entre 16.000 et 18.000 bouteilles, dont 95% sont destinées à l’exportation.
Les bouteilles sont réparties sur cinq cuvées: un cabernet sauvignon rosé, deux monocépages (respectivement 100% pinot noir et 100% cabernet sauvignon) et deux assemblages de cabernet et pinot très inhabituels pour la région (Les 7 Quelles et Les 14 Quelles), le tout classé "IGP Vaucluse".
"Je sais très bien ce que je veux avoir dans mon verre."John Malkovich
Deux grands noms de la viticulture ont rejoint l’équipe. Ralf Hoegger, qui s'est également occupé avec brio du domaine Tenuta il Palagio du chanteur britannique Sting, est en charge des ventes et du marketing. Jean Natoli a été recruté comme œnologue-conseil. Professeur d’œnologie à l’université de Montpellier et surnommé le "Michel Rolland du sud de la France", ce dernier accompagne Les Quelles de la Coste dans ses démarches pour obtenir une certification bio.
Cabernet sauvignon
Curieusement, et peut-être contrairement à ce que suggère son image, John Malkovich n’a découvert le monde du vin que sur le tard. "Je n’ai jamais pris de drogue et je n’ai dégusté mon premier verre de cognac qu’en 1986, à l’âge de 33 ans, lors de la répétition d’une pièce de théâtre." Ce n'est qu'une fois qu'il a atteint la quarantaine qu'il a découvert - et apprécié - le monde des vins.
Aujourd’hui, l’acteur écoute attentivement les conseils de ses vignerons, mais il suit également son propre instinct. "Je n’ai pas de connaissances précises sur la façon de faire le vin ou les raisons pour lesquelles il est préférable de prendre ou non certaines mesures, mais j’ai un goût très affirmé: je sais ce que j’aime et ce que je n’aime pas. Ou, pour l’exprimer plus correctement: je sais très bien ce que je veux avoir dans mon verre."
"Quand le pinot noir et le cabernet ont été assemblés, c’était comme s’ils avaient été exposés à un flash nucléaire."John Malkovich
Outre la conception des étiquettes, dont le style rappelle le logo de son label de mode, Malkovich est à l’origine de la décision la plus controversée sur le domaine, à savoir le choix de planter du pinot noir et du cabernet sauvignon. Ces cépages sont pratiquement sans précédent dans le Luberon, où les variétés résistantes à la chaleur, comme le mourvèdre, le grenache ou la syrah, règnent en maître.
"Je ne suis pas vraiment un grand amateur de ces cépages", explique Malkovich en souriant. "Un ami, un grand connaisseur de vin, m’avait donné un texte ancien dans lequel il était mentionné que, sous Louis XIV, seul le pinot noir poussait ici. Cela m’a convaincu."
Microclimat
Son domaine se trouve dans une partie du Lubéron qui est parfois surnommée la "Petite Sibérie", parce qu’il y fait très sec et que les nuits y sont beaucoup plus fraîches que dans d’autres parties de l’appellation. "On vante souvent des régions comme la Provence pour la douceur de leur climat, et c’est vrai qu’il y fait bon, et pourtant, il peut aussi y avoir des hivers très rudes. Ici, nous n’avons pas besoin d’installer la climatisation, car, même en été, les températures diminuent très fort la nuit", explique-t-il.
"Par contre, il peut aussi faire extrêmement chaud et sec, quand souffle le mistral. Notre décision de planter du pinot noir et du cabernet sauvignon n’est pas sans conséquence, par exemple, nous devons vendanger très tard le cabernet."
Cependant, les températures moins élevées, le terroir caillouteux avec des sols profonds argileux et limoneux ainsi que la présence de 14 sources (que l’on appelle des "quelles", d’où le nom du domaine) d’un ancien lac permettent aux pieds de vigne de se développer sans souffrir de la chaleur ni du stress hydrique.
John Malkovich a décidé non seulement de planter le fleuron de la Bourgogne (le pinot noir) et du Bordelais (le cabernet sauvignon) sur son domaine, mais aussi de les assembler. "C’était un pari risqué", reconnaît-il. "Cette décision aurait pu produire un vin catastrophique."
"En assemblage, le pinot noir et le cabernet auraient pu se comporter comme deux chevaux tirant chacun dans une direction différente. Ou bien le résultat aurait pu être trop audacieux, où le solide cabernet aurait dominé le pinot plus fin." Mais cela n’a pas été le cas. "Quand ces deux cépages ont été assemblés, c’était comme s’ils avaient été exposés à une bombe nucléaire. Et ils s’en portent à merveille."
Style Malkovich
John Malkovich a une vision claire: "Qu’il s’agisse de vin, de mode, de théâtre ou de cinéma, tout est dans les détails. Être attentif aux détails de ce que l’on fait et de la façon dont on le fait, de la manière dont on applique ses pensées ou sa rigueur intellectuelle, émotionnelle, instinctive ou éducative: c’est ça qui compte."
Cet état d’esprit signifie également que, quelle que soit la nouvelle activité à laquelle il s’attaque, l’acteur ne la considère jamais comme pénible. "Je ne ressens aucune de mes activités comme étant une difficulté."
Les vins de Malkovich ont beau être chers, les critiques sont élogieuses.
"La viticulture est sans doute plus volatile, plus capricieuse et moins contrôlable que d’autres activités, car il faut tenir compte de très nombreuses variables - le climat, les sols, les cépages... Mais, l’essence reste la même: faire un ‘bon’ travail dont on soit vraiment satisfait et qui puisse être amélioré. Je vais toujours vouloir bricoler, changer, adapter, recommencer et faire mieux les choses. C’est sans fin."
En attendant, a-t-il l’impression qu’un style Malkovich s’est développé, avec des vins à la croisée entre l’Ancien et le Nouveau Monde? Il sourit encore: "Une question amusante! Je ne me le suis jamais vraiment demandé, mais il est un fait que nous faisons des vins du Nouveau Monde dans l’Ancien Monde. Ce qu’on entend souvent, c’est que nos vins sont positionnés dans le segment supérieur (avec des prix entre 25 et 50 euros, NDLR). Mais bon, nous n’embouteillons pas des volumes gigantesques et nous ne faisons pas de vins industriels."
Scores élévés
Les vins de Malkovich ont beau être chers, les critiques sont élogieuses: "A visit turns up a surprising cast of wines" (une visite révèle une étonnante nuance de vins), a écrit le magazine Wine Spectator. Le prestigieux Decanter octroie même un beau 95 sur 100 au vin phare de Malkovich, "Les 14 Quelles 2017".
Le néo-viticulteur ne manque pas d’ambition: "Je vais planter d’autres cépages, car nous avons suffisamment d’espace sur notre domaine et le terroir est adapté. Si nous le voulons, nous pouvons même facilement doubler notre capacité."
À terme, il voudrait jouer avec le merlot, le cabernet franc et le sangiovese, mais un autre cépage surprenant pour cette région est déjà dans la place: le carménère, qui a été planté il y a environ trois ans.
"Nous venons de vendanger ce carménère pour la première fois. On peut supposer qu’il produira environ 900 bouteilles. Mais la décision finale, à savoir ce que nous allons faire de ce cépage, ne sera prise qu’une fois que nous pourrons en tester la qualité. Je ne sais pas encore quel sera le goût de ce carménère une fois vinifié seul, mais nous pourrons certainement l’utiliser en assemblage. Cela pourrait être intéressant d’en faire un rosé."
Il envisage également de construire un véritable chai sur le domaine (la vinification est actuellement confiée à la Cave du Luberon, une coopérative locale), mais cette décision dépendra en grande partie de la volonté de sa fille Amandine (30 ans) et de son fils Loewy (28 ans) de s’engager dans l’aventure.
Si Malkovich avait trente ans de moins, redémarrerait-il dans le Luberon ou choisirait-il plutôt une autre région ou un autre pays pour son entreprise viticole? "Honnêtement? Je ne sais pas. Le Luberon a beaucoup changé au cours des dernières décennies, et je ne sais donc pas vraiment si je choisirais à nouveau cet endroit."
Et il conclut avec philosophie: "Je ne sais pas ce que l’avenir nous réserve. Je ne sais pas ce que je ferai dans deux ans ou dans cinq ans. Je ne sais pas ce qui sera encore possible pour moi, ni même si je serai encore en vie à ce moment-là. Mais je ne m’en fais pas, parce que je ne m’inquiète jamais au sujet de ce que je ne peux pas contrôler."
Infos - Les vins de Les Quelles de la Coste sont disponibles en Belgique chez Dercor Wijnen, Grapes House of Wines et Wineplus.