Dans un coin reculé du Piémont se trouve un petit domaine viticole. Son signe particulier? Il est dirigé par une vigneronne qui a choisi de cultiver des cépages locaux oubliés, comme le grignolino.
Beatrice Gaudio sait ce qu’elle veut. “Pour moi, pas de vins surpuissants, mais un bon équilibre, une bonne concentration. Des vins à déguster. D’ailleurs, le nom Gaudio signifie joie. Ce n’est pas pour rien qu’il est écrit ‘Bibe cum Gaudio’ sur nos étiquettes!”
“Nous sommes un petit vignoble et nous ne nous préoccupons guère des attentes du marché. Prenez notre Barbera del Monferrato: normalement, il vieillit pendant douze mois, en barrique et en bouteille. Mais, chez nous, nous prenons davantage de temps. Et si l’amateur de vin attend encore un peu, lui aussi, il profitera d’une meilleure bouteille”, affirme-t-elle.
Martini, Rossi, Gancia
Elle parle de ses voyages, de ses cépages, de ses vins et de l’histoire de la viticulture dans la région vallonnée entre les Langhe et l’est du Piémont. Ainsi que de son grand-père Amilcare Gaudio. “Il avait quatre frères, mais il a été le seul à pouvoir faire des études. Il a choisi l’œnologie, au milieu des années 20. Il était autant dire le seul œnologue de la région et conseillait de nombreuses maisons viticoles en Italie et à l’étranger, ce qui était loin d’être courant à l’époque.”
“Mon grand-père, Amilcare, s’est, par exemple, rendu au Mexique en bateau pour y faire du vin. Aujourd’hui, ce serait inimaginable! Il était non pas un ‘flying winemaker’, mais un ‘sailing winemaker’, au sens propre du terme! Il a reçu des propositions pour exercer ses talents d’œnologue au Canada, en Suisse et au Mexique.”
De retour en Italie, Amilcare Gaudio a conseillé de grandes maisons, comme Martini, Rossi, Gancia, et bien d’autres. Et il a fait du vermouth pour toute une série de domaines. “Mon grand-père est très vite devenu membre de Vide, soit Viticoltori Italiani di Eccellenza, la toute première association de viticulteurs en Italie.”
"J’avais sept ans quand mon père m’emmenait à des dégustations en Suisse, en Allemagne et en Autriche."Beatrice Gaudio
Beatrice Gaudio est extrêmement fière de son grand-père. “Et, en 1970, il a décidé de faire son propre vin, ici. C’est l’endroit où je travaille et où je vis aujourd’hui, avec mon père Mauro. Mon nom ne figure pas encore sur l’étiquette, mais, actuellement, c’est moi qui fais à peu près tout.”
Voyage œnologique
Beatrice Gaudio était prédestinée à la vie de vigneronne. “J’avais sept ans quand mon père m’emmenait à des dégustations en Suisse, en Allemagne et en Autriche. À dix ans, je servais nos vins au salon international de Vérone, Vinitaly, et je donnais toutes les explications sur les vins que l’on me demandait, même si je n’étais pas encore autorisée à les boire: j’ai finalement pu les goûter dès l’âge de douze ans.”
"Le millésime 2015 a été le premier qui soit vraiment à moi. J’ai trente ans, et je suis heureuse de me trouver là où je suis actuellement."Beatrice Gaudio
Elle se souvient d’une anecdote. “Un jour, mon père m’a fait la leçon: si tu n’étudies pas bien, tu seras condamnée à travailler dans les vignes. Mais ce n’était pas une punition pour moi, bien au contraire!”, rit-elle.
Ce qui ne l’a pas empêchée d’obtenir de bons résultats scolaires. Ainsi, Beatrice Gaudio a étudié l’œnologie à Albe, Turin et Asti. “Et puis, il y a eu ce voyage œnologique en Australie, en 2012. J’avais pris une année sabbatique afin de déguster le plus de vins possible. Pour moi, faire un maximum d’expériences fait partie intégrante du métier de vigneron. Si on m’enlève ça, je suis perdue.”
Gaudio ne fait pas de mystères: “Aujourd’hui, j’ai des responsabilités dans notre domaine, mais c’est mon père, Mauro, qui reste aux commandes, malgré sa santé déclinante.” Dans l’intervalle, Mauro Gaudio s’est retiré de la production du vin, désormais assurée par sa fille. “Le millésime 2015 a été le premier qui soit vraiment à moi. J’ai trente ans, et je suis heureuse de me trouver là où je suis actuellement.”
Le pinot noir de Piémont
Par rapport aux Langhe voisines, le Montferrat connaît des conditions climatiques plus extrêmes: il fait plus chaud en été et plus froid en hiver, avec aussi moins de pluie en moyenne. “Dans ce climat spécifique, nous travaillons avec de très faibles rendements”, précise Gaudio. “Le sol sédimentaire est très calcaire, ce qui confère à notre Barbera une belle acidité, avec une note charnue et épicée.”
Gaudio élabore le Barbera del Monferrato avec des raisins de différents vignobles. “Nous faisons de la vinification parcellaire, ce qui nous permet de travailler avec précision. À notre Barbera, nous ajoutons également 10 % de freisa, un cépage assez peu connu.” De récentes recherches sur son ADN ont révélé que le freisa est un croisement entre le nebbiolo et un autre cépage encore non identifié.
Et Gaudio travaille avec un autre cépage inconnu. Ou, plus exactement, un cépage oublié. “J’avais huit ans quand mon grand-père est décédé, mais je me souviens très bien qu’il était appelé le roi du grignolino”, se souvient la jeune femme.
“Autefois, ce cépage piémontais local jouissait d’un certain prestige. Dans la famille, nous échangions même des dames-jeannes de grignolino contre du nebbiolo avec le père du vigneron mondialement connu Angelo Gaja. Notre Grignolino contre leur Barbaresco, c’était magnifique!”
C’est surtout la grande polyvalence de ce grignolino qui le rend aussi séduisant. “Le Grignolino a une robe rouge clair. Autrement dit, c’est le pinot noir de notre région. Mais nous avons encore un long chemin à parcourir avant que les amateurs en prennent conscience!”, s’exclame Gaudio en riant. “C’est un peu un rêve. Ce que je sais, c’est qu’on nous sous-estime. Venez, allons déguster!
Gaudio ‘Zerolegno’ Barbera d’Asti D.O.C.G. 2018
Couleur: rouge.
Cépage: 100 % barbera. Prix: 13,50 euros. Le vin, élevé en cuves inox, se distingue par sa fraîche acidité et son profil aromatique équilibré. Un jeu subtil entre cerise et cassis se manifeste au nez comme en bouche.
Gaudio Grignolino del Monferrato Casalese D.O.C. 2017
Cépage: 100 % grignolino. Prix: 16,50 euros. Élaboration remarquablement sobre, avec une fraîcheur prononcée. Le vin a été élevé en cuve inox, puis en bouteille. Arômes de fraise des bois, avec une première note de poivre vert. Les tanins maîtrisés et discrets soutiennent la fraîcheur et la jutosité dans le verre.
Gaudio Barbera del Monferrato Superiore D.O.C.G. 2017 Cépage: 90 % de barbera et 10 % de freisa. Prix: 13,50 euros. Le vin a bénéficié de six mois d’élevage en barriques bordelaises et tonneaux de 600 litres. La chaude année 2016 a donné un vin plein, avec des arômes de cassis et de cerise ainsi qu’une petite note de chocolat en bouche. Finale remarquablement fraîche. Une bouteille au potentiel de garde prometteur.