Le critique Robert Parker a attribué 96 points au Nossa du couple belgo-portugais William Wouters et Filipa Pato, soit le score le plus élevé décroché par un vin portugais. Leur secret? Le Baga, le cépage vedette du terroir viticole de Bairrada situé dans le nord-ouest du Portugal.
La dégustation est terminée. Du moins, c’est ce que je pense. Mais William Wouters et Filipa Pato font un petit sourire mystérieux en sortant une bouteille spéciale d’une boîte en carton. “C’est notre Missão. Les raisins Baga avec lesquels il est élaboré proviennent d’un vignoble dont l’âge est estimé à 140 ans. Sur le cadastre, il porte le nom de ‘Missão’, mission. Pour nous, c’est un don de Dieu.”
Les cuvées de Filipa Pato figurent désormais sur la carte de nombreux grands restaurants.
Pour les connaisseurs, les vignes de ce vignoble sont pré-phylloxéra, c’est-à-dire avant l’épidémie de phylloxéra qui a frappé pratiquement tous les vignobles d’Europe à la fin du XIXe siècle. “C’est grâce à la résistance du cépage Baga, qui prospère particulièrement bien ici, que nous pouvons faire ce vin de haut niveau. Mais il n’est pour ainsi dire pas à vendre: nous en avons beaucoup trop peu, à peine quelques centaines de bouteilles.”
Le "Missão" est extrêmement élégant, pur et intense à la fois, avec un fruit croquant et, au nez, un peu de poivre blanc. C’est l’un des nombreux grands vins de Pato et Wouters, des puristes. Ils parlent de "vinhos autênticos sem maquilhagem", ou vin authentique sans maquillage.
Appellation AXA
“Enfant, j’ai appris à connaître tous les secrets des petites parcelles en jouant dans les vignes”, se souvient la Portugaise. Ses parents avaient chacun hérité de vignobles dans le Bairrada, la région située au nord de la ville universitaire de Coimbra. Ce n’est qu’après une carrière dans l’enseignement qu’ils ont choisi la viticulture. Comme son père Luis, Filipa Pato a fait des études d’ingénieur chimiste.
“Après mes études à l’université de Coimbra, j’ai voulu partir à l’étranger afin de trouver de l’inspiration et d’acquérir de l’expérience dans l’univers du vin. C’est également à mon père que je dois ma première expérience viticole hors du Portugal. Il connaît bien Jean-Michel Cazes, un grand monsieur à Bordeaux, qui gérait des domaines viticoles pour AXA.”
Rares sont ceux qui savent que le géant français de l’assurance investit depuis des décennies dans des domaines viticoles (de premier plan), comme le Château Pichon Longueville Baron, le Château Suduiraut et le producteur de porto Quinta do Noval. Filipa Pato a travaillé en tant qu’ingénieure chimiste pour AXA dans la région de Bordeaux. “Mon job, en 1999, c’était de faire des analyses de vin, comme chez Pichon à Pauillac.”
Voyages viticoles
De Bordeaux, Pato est partie à la Finca Flichman en Argentine. Et, de là, dans la région de Margaret River en Australie, où elle a travaillé au domaine Leeuwin Estate. “Avant de travailler pour moi, je voulais absolument avoir une idée précise de la façon dont l’ancien et le nouveau monde du vin travaillaient. Je voulais comprendre leur vision de la vinification, et comment ils la mettaient en pratique."
"Je savais qu’en tant qu’ingénieure chimiste, j’avais encore beaucoup à apprendre sur la vinification proprement dite. Chez Leeuwin, où les chardonnays comptent parmi les meilleurs du monde, j’ai eu le privilège de travailler comme vigneronne avec le grand Bob Cartwright. Une période incroyablement instructive!”
Vieilles vignes
En 2000, quand Filipa rentre au Portugal, elle décide d’aider ses parents avant de suivre sa propre voie, étape par étape. “J’ai pris mon temps pour chercher mes propres vignobles. Les vignes de mes parents se trouvent dans le nord du Bairrada. J’ai plutôt cherché dans le sud de la région, où j’avais remarqué que de plus en plus de vignobles étaient abandonnés et négligés. En 2001, à l’âge de 24 ans, j’ai pu lancer mon projet.”
À partir d’un puzzle de terroirs et de microclimats, elle achète des parcelles de vieilles vignes et élargit progressivement son domaine. C’est Kris Jeuris, importateur de vin belge et spécialiste du Portugal, qui remarque que Pato proposait des vins nouveaux.
Meilleur sommelier
William Wouters, chef/sommelier/restaurateur issu d’une famille de restaurateurs anversois, était un ami de Jeuris. À l’époque, il était propriétaire et sommelier du célèbre restaurant et bar à vins Pazzo, à Anvers. “Après une dégustation au Pazzo, en 2006, William a décidé de partir avec moi au Brésil afin de présenter mes vins. Et, grâce à l’ambiance brésilienne, nous sommes revenus en couple!”, s’exclame Pato.
Pato et Wouters (élu Meilleur sommelier de Belgique en 1992 et Personnalité du vin en 2014) décident alors de développer ensemble leur projet viticole au Portugal. Wouters vend son restaurant et, ensemble, ils achètent un domaine à Óis do Bairro, tout près du domaine familial.
“Je trouve génial de pouvoir faire ça avec William. J’ai grandi dans les vignobles du Portugal, tandis que William m’a appris à découvrir de nouveaux vins passionnants du reste du monde, et il m’a aussi fait comprendre le lien avec la cuisine. Malgré mon amour pour mon lieu de naissance, je ne veux pas m’isoler dans le Bairrada. C’est pour cela que c’est tellement extraordinaire de pouvoir partager tous ces nouveaux développements avec William!”
Vin biodynamique
"Pour nous, travailler en biodynamie fait partie d’un tout."William Wouters
Aujourd’hui, le couple possède 17 hectares de vignes, avec une production moyenne de 80.000 bouteilles. “Nous avons été très attentifs dans notre recherche, et nous pouvons affirmer que tous nos vignobles sont situés dans des emplacements de premier choix. Nous travaillons exclusivement avec des cépages locaux, dont le Baga, le cépage vedette du Bairrada.”
Pourquoi le Baga est-il leur cépage fétiche? “C’est le seul cépage à même de traduire l’unicité des différents villages du Bairrada”, répondent-ils. “L’arôme fumé résulte des sols calcaires et pierreux, le goût salin provient de la brise marine si le vignoble est proche de la côte ou, dans certaines zones, le parfum de violette."
"En ce qui nous concerne, nous n’apprécions que modérément le fait que la région ait également ouvert l’appellation aux cépages internationaux. Dans l’intervalle, nous exportons environ 80% de notre production. Bref, nous ne sommes pas trop mauvais dans la promotion de nos variétés locales!”
“Aujourd’hui encore, tout ce que nous offre la nature ne cesse de nous étonner. La biodiversité dans notre région de Bairrada est particulièrement importante. Pour nous, travailler en biodynamie fait partie d’un tout.”
Cépage local
La philosophie du couple est que la force d’un vin réside dans le cépage et le terroir. Ils passent 70% de leur temps dans le vignoble, 20% dans le chai et 10% en voyages et présentations.
Pato précise: “J’utilise mes connaissances en chimie, principalement pour ajouter le moins de chimie possible au vin. Ici, les engrais et les pesticides sont proscrits depuis des années. J’essaie d’intervenir le moins possible.”
Un cépage local, des vieilles vignes et le moins d’intervention possible: cette recette fait mouche. Avec leur petit cépage Baga, encore inconnu pour beaucoup, Pato et Wouters – qui, dans l’intervalle, a aussi été le chef des Diables rouges lors de la Coupe du monde au Brésil (2014) et au Championnat d’Europe en France (2016) – se sont constitué un joli portefeuille d’exportation.
Leur marché principal est celui des États-Unis, suivi du Canada, du Brésil et de l’Europe -Norvège, Suède et Angleterre en tête. “Avec mon père, je suis en croisade pour le Baga.”
Ce qui m’a frappé lors de plusieurs voyages œnologiques, c’est que je n’ai entendu parler du Baga nulle part ailleurs. “C’est vrai”, confirme Wouters. “En Afrique du Sud, Eben Sadie et Adi Badenhorst, deux viticulteurs inspirés, ont essayé de le cultiver, mais le climat du Swartland est bien trop chaud. Ils recherchent des cépages offrant de la fraîcheur pour adoucir leurs vins, mais le Baga n’y a jamais prospéré.”
Score monstrueux
Dire que les vins de Pato et Wouters ont du succès est un euphémisme: leurs cuvées figurent désormais sur la carte de nombreux grands restaurants londoniens et le grand critique américain Robert Parker a récemment attribué la note de 96 à leur "Nossa", élaboré avec le Baga.
C’est le score le plus élevé jamais décroché par un vin portugais. Et ce, pour un vin "sem maquilhagem"! Les bons vins n’ont clairement pas besoin de maquillage…
Les vins de Filipa Pato sont importés par The Portugal Collection.