Lors de la dégustation annuelle de Brussels Airlines, les collaborateurs testent plus de 200 vins.
Lors de la dégustation annuelle de Brussels Airlines, les collaborateurs testent plus de 200 vins.
© Siska Vandecasteele

Qui choisit les vins de votre vol en business class?

Comment une compagnie aérienne sélectionne-t-elle ses vins pour la business class? Sabato a rejoint la table lors de la dégustation annuelle de Brussels Airlines.

Dans le couloir qui mène aux grandes salles de réunion de b.house, le siège de Brussels Airlines à Zaventem, une légère odeur d’alcool flotte dans l’air. Deux jours par an, cela n’a heureusement rien d’inquiétant. Bien au contraire, c’est tout à fait normal: une équipe de collaborateurs se réunit actuellement pour sélectionner les vins qui seront servis l’année suivante en business class à bord des avions de Brussels Airlines.

La compagnie est d’ailleurs internationalement reconnue pour sa sélection de vins à bord. Global Traveler, un magazine américain de premier plan spécialisé dans les voyages d’affaires et de luxe, a décerné en 2024 le prix ‘Top Red Wine in International Business Class’ à la compagnie aérienne pour un Château Clément-Pichon Cru Bourgeois Supérieur Haut-Médoc 2018 de Bordeaux, ainsi qu’une troisième place dans la catégorie ‘Top International Business Class Wines on the Wing’.

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206 vins en 2 jours

Lors de la dégustation annuelle de Brussels Airlines, les collaborateurs testent plus de 200 vins.
Lors de la dégustation annuelle de Brussels Airlines, les collaborateurs testent plus de 200 vins.
© Siska Vandecasteele

Je rejoins la table de réunion au deuxième jour de la dégustation, aux côtés de 11 collaborateurs de Brussels Airlines: sept hommes et quatre femmes, choisis pour sélectionner les vins qui seront servis à bord en 2025. «Je suis en réunion», lance l’un d’eux avec un sourire au téléphone, tandis que ses collègues répriment difficilement leur rire. En l’espace de deux jours, ils vont déguster 206 (!) vins répartis en 16 catégories, allant des rouges sud-africains aux blancs belges.

Cette dégustation est orchestrée par Philip Mortier, inflight product manager chez Brussels Airlines. Son partenaire dans le cadre de cette mission est Jan De Clercq, consultant pour la sélection des vins de la compagnie aérienne depuis trois ans. De Clercq, qui détient le titre prestigieux de ‘Master of Wine’, l'un des diplômes les plus prestigieux dans le monde du vin, omet toutefois humblement de le mentionner lorsqu’il se présente. Le prédécesseur de Mortier, Johan Duwijn, aujourd’hui pensionné, fait son retour spécialement pour l’occasion. Nomen est omen (le nom est un présage, NDLR.), disaient les Romains.

Lors de cette dégustation, Mortier et De Clercq privilégient les vins ‘équilibrés’, avec du caractère et de la profondeur, mais sans excès de tannins ni d'alcool. Pas de vins complexes et ‘philosophiques’, mais plutôt des choix consensuels. «Les passagers sont souvent en voyage depuis tôt le matin», explique Mortier. «Ils sont fatigués, stressés et n'ont pas toujours bien mangé. Il faut donc être prudent avec l’alcool. Dans un avion, il y a moins d'oxygène et on se sent donc enivré plus rapidement. Le goût et l'odorat sont également altérés en raison de la pression atmosphérique plus faible, de la température plus basse et de l’air plus sec à bord.»

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Rouge belge

© Siska Vandecasteele
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Nous commençons l'après-midi par une dégustation de six vins rouges belges. «Les vins belges gagnent en popularité», explique Mortier. «Cette année, par exemple, j'ai déjà dû recommander deux fois des bouteilles du domaine Gloire de Duras, en Hesbaye.» La dégustation se fait à l'aveugle. Chacun dispose d'une fiche de notation ou utilise une application pour attribuer ses points. Selon Mortier, un vin noté 6 sur 10 peut être considéré comme ‘bon’, tandis qu’un 8 sur 10 désigne un ‘très bon vin qu’on recommanderait à ses amis ou sa famille’. Les notes attribuées permettent de dégager un top 3, parmi lequel Mortier et De Clercq procèdent à la sélection finale.

À l'annonce des points, je constate que j’ai été plutôt généreux, surtout par rapport à la fiche de Xandra Quack, ma voisine de table et inflight product manager chez Brussels Airlines. Elle a souvent jugé insuffisants des vins auxquels j’ai attribué un 6 ou un 7. Heureusement, nous sommes tous unanimes quant au grand gagnant: le Pinot Noir du Château Bon Baron à Dinant, un vin léger et élégant, à l'acidité rafraîchissante - un critère essentiel pour éveiller les papilles en altitude.

La France en pole position

De gauche à droite: Johan Duwijn, Philip Mortier et Jan De Clercq
De gauche à droite: Johan Duwijn, Philip Mortier et Jan De Clercq
© Siska Vandecasteele

Dans l'offre de Brussels Airlines, les vins belges sont souvent proposés en tant que ‘special of the month’, des vins disponibles à bord un mois par an. L'objectif est de proposer au moins un vin belge par trimestre. Bien que les vins belges soient de plus en plus prisés et que quelques vins sud-africains et américains figurent également à la carte, la France reste ‘en pole position’ pour les passagers de Brussels Airlines. Chaque année, la compagnie écoule ainsi quelque 44 000 bouteilles de champagne de la coopérative française Nicolas Feuillatte, tandis que les vins rouges et blancs des régions viticoles françaises classiques de Bordeaux et de Bourgogne restent des valeurs sûres.

«Chez nous, Bordeaux reste la région française dominante, surtout pour les vols à destination de l'Afrique», explique De Clercq. «Nous savons que le Bordeaux est un peu moins en vogue dans le commerce du vin, mais pour nous, cela reste une catégorie importante. Les plus grands noms dépassent évidemment notre budget, mais en cherchant au-delà des grandes cuvées et des grands domaines, on trouve d’excellents rapports qualité-prix à Saint-Émilion, Pessac-Léognan ou dans le Médoc. L'année dernière, par exemple, nous proposions la Fleur de Fonplégade, un très beau vin.»

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En Bourgogne, les vins de Louis Jadot, l’une des grandes maisons de la région, sont souvent bien notés lors des dégustations. Leur Couvent des Jacobins, un vin blanc à base de chardonnay, par exemple, est une superbe cuvée», confie De Clercq.

Budget

© Siska Vandecasteele

La dégustation file à toute vitesse. Verre après verre, les vins sont servis, dégustés, puis recrachés. Certains suscitent un peu moins d’enthousiasme que d’autres. «Beurk, celui-ci sent le fumier!», me glisse ma voisine. Elle a raison. Je note ‘odeur de fumier’ sur ma fiche et lui attribue une note de 2 sur 10. Nous dégustons 16 vins rouges du Nouveau Monde, provenant notamment du Chili, d'Argentine, d'Afrique du Sud et de Nouvelle-Zélande. Le vainqueur de cette série est l'Amplus One, un vin chilien à base de carménère. Un vin puissant et généreux, idéal pour la dégustation en altitude.

En consultant discrètement les prix des vins sur mon smartphone, je constate qu’ils restent étonnamment abordables. «Nous travaillons avec un budget moyen de 6 à 7 euros la bouteille, hors droits d’accises, TVA ou remises sur volume, et allons jusqu'à 18 ou 19 euros la bouteille pour certains vins. C’est la fourchette dans laquelle nous évoluons», explique Mortier. «Pendant les périodes plus calmes, par exemple, nous pouvons proposer des vins plus abordables, tandis qu’en haute saison, comme autour des fêtes de fin d’année, nous présentons des vins un peu plus prestigieux.»

Économies d'échelle

Quelques vins de la sélection Nouveau Monde.
Quelques vins de la sélection Nouveau Monde.
© Siska Vandecasteele

«Pour chaque mois où un vin figure sur notre carte, je dois en acheter entre 750 et 950 bouteilles», explique Mortier. «C'est l’avantage de Brussels Airlines: nous pouvons nous permettre de choisir des vins en production très limitée, ce qui est impossible pour des compagnies plus importantes comme Lufthansa ou British Airways, qui ont besoin de volumes beaucoup plus importants. Par exemple, si vous voulez acheter 800 bouteilles de vin belge, la moitié des producteurs ne peuvent tout simplement pas répondre à la demande.»

Ce genre de situation a d’ailleurs causé bien des soucis à Mortier, en poste depuis 1993, à l'époque de la Sabena. «Lors d’une dégustation à l’aveugle, nous avions sélectionné un vin belge, dont je tairai le nom. Mais dès la première semaine, les plaintes ont afflué. Je me suis dit: ‘Mais enfin, c’était un bon vin, non?’. J’ai alors ouvert la deuxième bouteille, car nous demandons toujours deux échantillons pour les dégustations à l’aveugle. ‘Chers collègues, goûtez donc, c’est bien un bon vin, non?’ Une semaine plus tard, les réclamations se multipliaient. Nous sommes alors allés chercher une bouteille de la production, et là, surprise…»

«Le vin contenu dans cette bouteille n'était pas celui que nous avions dégusté. Le domaine en question avait une production si limitée qu'il avait acheté du vin chilien bon marché en vrac pour le mettre en bouteille sous son propre nom. Nous avions commandé 8000 bouteilles, ce qui représentait presque la totalité de leur production annuelle. Il n'y avait tout simplement pas assez de vin pour honorer la commande.»

De la saturation à la nausée

Une dégustation de vins s’apparente à un véritable marathon, d'autant plus que la plupart des participants autour de la table ne sont pas des professionnels du vin, mais des amateurs. En débarrassant, une dégustatrice avoue même se sentir légèrement nauséeuse. Nous la croyons sur parole.

En un après-midi, j’ai dégusté et évalué 46 vins, et mon palais est complètement saturé. Quand on pense que pour le personnel de Brussels Airlines, c'est la fin d'une dégustation de deux jours comprenant 206 vins, on ne peut que conclure que ceux qui commandent un verre de vin en business class sont entre de bonnes mains. Quant au vin qui sentait le fumier, il n’a heureusement pas été retenu pour la sélection finale.

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