Sandra Bravo a investi toutes ses économies dans un vignoble et y a travaillé longtemps seule. C'est certain, la "meilleure jeune vigneronne de l'année" est une passionnée.
C’est sans aucun doute une des régions les plus rudes d’Espagne. L’Ebre serpente à travers les collines et, au nord, la Cordillère Cantabrique forme un rempart contre le vent frais et la pluie de l’océan Atlantique. C’est là, au sud du Pays basque, que nous partons à la rencontre d’une nouvelle jeune prodige du vin, Sandra Bravo. Elle a 37 ans et, avec son domaine, Sierra de Toloño, elle fait partie de la nouvelle génération de vignerons de La Rioja.
"Je suis obsédée par l’acidité naturelle du vin."
"Je ne suis pas vraiment du genre expansif", confie-t-elle. "Quand le critique britannique Tim Atkin m’a désignée ‘best young winemaker of the year’, j’ai été la première surprise. En même temps, je savais que ce titre était la preuve que mon approche était la bonne. C’est cela qui m’a donné le courage de persévérer."
Tim Atkin la qualifie d'extrêmement talentueuse, car elle produit des vins incroyables dans des vignobles dont la situation est extrême. "C’est vrai, mes vignes sont situées en altitude", confirme-t-elle. "Une partie de cette Cordillère Cantabrique est appelée Sierra de Toloño, le nom que j’ai donné à mon vignoble. Je suis sur un sol calcaire, ce qui me permet de mettre beaucoup de finesse dans mes vins. En effet, je suis obsédée par l’acidité naturelle du vin. Tout ce que je fais ici aujourd’hui est axé sur la fraîcheur."
Risque élevé
Sandra Bravo a beau être jeune, elle s’appuie déjà sur une solide expérience. "À la maison, on faisait un peu de vin, pour notre consommation personnelle", raconte-t-elle. "J’ai étudié l’agriculture, la viticulture et l’œnologie dans la Rioja, puis j’ai eu l’opportunité d’aller à l’université du vin de Bordeaux."
"Après mes études, je suis allée en Italie. Je voulais explorer le monde, loin de chez moi. Plus les expériences étaient nombreuses, mieux c’était! En Italie, j’ai travaillé avec Goffredo Agostini du Gruppo Matura et j’ai rencontré des vignerons de Toscane et des Marches."
Elle est ensuite partie en Nouvelle-Zélande avant de poser temporairement ses valises à la Napa Valley. Elle travaille alors à l’Artesa Winery à Carnero, un domaine qui a d’ailleurs un lien avec l’Espagne, car il appartient au groupe Codorníu.
Avant de retourner définitivement chez elle, Sandra Bravo fait un dernier arrêt dans le Priorat, chez Portal del Montsant, où elle devient responsable des vignobles. "C’était une époque vraiment passionnante. Tout le monde voulait revenir à l’essentiel et, partout, on plantait de nouveaux vignobles. On avait fait le choix de miser sur d’anciens cépages locaux, et cela a porté ses fruits. Le Priorat a créé la surprise, et des vignerons du monde entier sont venus voir ce qui s’y passait."
"Si nous ne nous adaptons pas au climat, nous ne ferons plus de grands vins."Sandra Bravo
Sandra Bravo se remémore avec plaisir l’ouverture d’esprit qui règne au Priorat. "Dans la Rioja, c’est complètement différent. Mais je voulais vraiment faire mon truc, dans ma région natale. J’y ai investi toutes mes économies. J’ai continué à travailler dans le Priorat pendant un certain temps: j’alternais une demi-semaine sur place, une demi-semaine dans mon propre vignoble. Quand j’y repense, c’était un gros risque. Je travaillais toute seule. Je ne sais pas comment j’ai fait pour réaliser tout ça."
Rioja Alavesa
Géographiquement, la région viticole de la Rioja est divisée en trois zones: la chaude Rioja Alta, la Rioja Baja encore plus chaude, également appelée Rioja Oriental, et la fraîche et montagneuse Rioja Alavesa. Ce n’est pas un hasard si Bravo visait les vignobles situés dans la partie la plus septentrionale de la Rioja Alavesa. "Mon grand-père était enseignant dans cette région, où il jouissait d’un certain prestige. Quand j’étais enfant, je m’y promenais avec lui."
La vigneronne achète ses premières parcelles en 2012. "Dans une région déserte et escarpée. Je me souviens qu’il y a longtemps, les vendanges avaient eu lieu sous la neige. J’ai des vignes qui ont entre cinquante et cent ans. Elles poussent sur des sols calcaires, avec parfois un peu d’argile. Tout cela donne de fines nuances. Cet endroit, c’est mon sanctuaire: je suis au milieu des cerfs et des sangliers."
Bravo prône les avantages des vendanges tardives, jusqu’en octobre. "Les nuits froides confèrent une fraîcheur incroyable aux raisins. Et cette fraîcheur, je la retrouve dans mes vins."
Vin mémorable
"En fait, je vois ici des vignerons qui font exactement ce que faisaient leurs grands-parents. Moi, je suis la voie que je me suis tracée. Le climat change, et cela modifie aussi le moment de la taille, des vendanges... Si nous ne nous adaptons pas, nous ne ferons plus de grands vins. Je ne vois pas de réchauffement, plutôt des extrêmes: quand il pleut, c’est le déluge. Et la sécheresse est vraiment terrible. Prenez 2017: c’est l’année la plus chaude que nous ayons connue ici, alors que 2018 s’est avérée beaucoup plus fraîche."
La Rioja est connue dans le monde entier comme une région viticole à l’ancienne, avec des grands vins qui mûrissent pendant des décennies dans les caves. "C’est vrai que nous vivons sous la bannière de ces caves traditionnelles et renommées, avec du Tempranillo boisé et vanillé. J’adore les vins vieillis de López de Heredia et j’admire Abel Mendoza, mais quand j’ai commencé, je n’ai pas mentionné Rioja sur mon étiquette. Les consommateurs ne l’auraient pas cru. J’ai parlé de ‘vin artisanal’, ce qui a fait froncer bien des sourcils."
"Heureusement, aujourd’hui, c’est différent. Quand j’ai commencé, en 2012, j’avais du mal à vendre mon vin. Je n’ai pas facilement trouvé d’importateurs. Maintenant, ce sont eux qui m’appellent de partout pour me demander s’ils peuvent importer mon vin, au point qu’environ 80% de ma production est destinée à l’exportation. C’est bien, évidemment, mais je rêve surtout de faire un vin dont les amateurs parleront encore dans des années comme d’un vin mémorable!"
Notre avis: les vins de Sandra Bravo
1. Sierra de Toloño "Nahikun" Blanco 2018
Couleur: blanc.
Cépages: assemblage de cinq cépages - Viura, Malvasía, Rojal, Calagraño et Garnacha blanca.
Prix: 29,50 euros.
Ce vin provient d’un mélange, avec le Rojal notamment, un cépage rare qui devient rose en mûrissant. Il est élevé en barriques de 500 litres. Ce bois subtil lui apporte une belle structure, avec des arômes fruités, une minéralité et une acidité stupéfiantes, et beaucoup de volume.
2. Sierra de Toloño Camino de Santa Cruz 2017
Couleur: rouge.
Cépage: Tempranillo.
Prix: 40 euros.
Le vin est élevé en amphores avant de poursuivre son vieillissement en fûts de chêne, pour respirer et mûrir de manière équilibrée. Le résultat est un vin minéral, "clean", légèrement épicé avec une petite note florale. Ce côté épicé évoque même un vin méditerranéen.
3. Sierra de Toloño La Dula 2018
Couleur: rouge.
Cépage: Garnacha.
Prix: 41,75 euros.
Le vignoble de Dula a été planté en 1944, à 700 mètres d’altitude. Le vin fermente en foudre, un tonneau de grande capacité, avant de mûrir en amphore. Il en résulte un style de Garnacha d’une fraîcheur impressionnante, avec une subtile note florale. Une bouteille d’une finesse phénoménale.
Les vins de Sierra de Toloño sont importés par Young Charly, tél. 03/646.38.49.