La fin de l'année approche, et notre quête des meilleurs bulles s'intensifie. Opteriez-vous pour une alternative belge? Visite chez le producteur de vin mousseux primé Cruysem.
Ils ont enfilé leurs bottes tant le sol de leur vignoble est détrempé. Kathy Declercq (41 ans) et Bart Bracke (43 ans) avancent prudemment sur l'herbe mouillée entre les vignes. Bien que l'année 2023 touche à sa fin, ils n'ont pas encore pu tailler un seul pied de vigne en raison de la pluie incessante dans leur domaine situé à Kruisem, en Flandre orientale. Travailler maintenant endommagerait le sol, une situation qui inquiète les viticulteurs. "Normalement, on peut commencer à tailler en automne, une fois toutes les feuilles tombées", explique Declercq. "Cela nous laisse au moins quatre mois, jusqu'à fin mars, pour mettre en ordre nos 49 000 pieds. Cette année, nous devrons le faire en deux ou trois mois seulement."
Et de montrer comment on procède normalement. À l'aide d'un sécateur, ils coupent presque toutes les ramifications de la vigne, ne laissant au-dessus du robuste tronc de base que de fines branches avec un ou deux bourgeons. C'est ce qu'on appelle la taille en cordon, explique Declercq. "La plupart des viticulteurs pratiquent la taille Guyot. Ils conservent deux pousses durant l'hiver, et en courbent une horizontalement. Au printemps, la vigne peut alors pousser rapidement." Avec leur méthode de taille spécifique, la vigne est moins productive, explique la vigneronne, mais c'est précisément le but recherché: "On obtient des grappes plus petites. Les nutriments qui montent des racines se répartissent sur moins de raisins, lesquels donnent un jus plus concentré et plus intense."
L'une des cuvées de Cruysem a été reconnue cette année par Gault&Millau comme l'un des six meilleurs vins mousseux blancs de Belgique.
Rachat à la famille
Le travail avec un jus plus concentré est l'une des raisons du succès étonnamment rapide du jeune vignoble. Declercq et Bracke ont planté leurs premières vignes de chardonnay en 2017 devant leur maison dans les Ardennes flamandes, dans une prairie où paissaient autrefois des vaches. Leurs premiers vins mousseux ont été commercialisés en 2022. L'une des cuvées de Cruysem, un assemblage de chardonnay, pinot noir et pinot meunier, a déjà été reconnue cette année par Gault&Millau comme l'un des six meilleurs vins mousseux blancs de Belgique, un succès qui a conduit à la vente rapide des premières bouteilles. "Nous avons très vite épuisé nos stocks. Pour en avoir encore chez nous, nous avons dû racheter des bouteilles à des membres de notre famille." Les vins mousseux de Cruysem figurent sur la carte des meilleurs restaurants de la région, tels que Benoit et Bernard Dewitte, Castor, In den Hert et Le Vieux Château. "Nous n'aurions jamais pensé que cela irait aussi vite", confie Declercq. "On s'attendait à devoir patienter des années avant de pouvoir produire une qualité suffisante."
De la chape au cep
Il y a quelques années encore, le couple n'avait aucun lien avec la viticulture. Declercq a étudié les sciences commerciales et travaillait en tant qu'auditeur financier au sein du groupe de conseil KPMG. En 2007, elle est devenue gérante de Bracke Bouw, l'entreprise de chape et d'isolation de son mari. Lorsqu'ils ont vendu l'entreprise en 2015, ils ont eu envie de se lancer dans quelque chose de totalement différent. "Nous avions même prévu d'émigrer dans le sud pour y faire du vin, mais avec deux jeunes enfants, ce n'était pas évident. Nous avons donc opté pour un projet viticole autour de notre propre maison." Les premiers 3200 pieds de vigne se sont rapidement étendus avec l'achat de terres agricoles supplémentaires. Cruysem couvre désormais dix hectares de vignes de chardonnay, pinot blanc, pinot noir et pinot meunier, des cépages classiques également utilisés pour la production de champagne. Dans les bonnes années, cette superficie permet de produire 70 000 bouteilles.
"Nous avons délibérément choisi de ne produire que du vin mousseux."Kathy Declerc
Étant nouveaux dans le métier, Declercq et Bracke ont minutieusement préparé leur projet. Ils ont suivi une formation de vigneron chez Syntra à Ypres. À Avize, une commune renommée pour son champagne grand cru, ils ont appris les subtilités de la méthode traditionnelle, procédé par lequel une fermentation secondaire en bouteille permet d'obtenir les vins effervescents les plus fins.
"Nous avons délibérément choisi de ne produire que du vin mousseux", explique Declercq. "En raison du changement climatique, la Belgique est devenue un pays propice à la production de vin effervescent. Ici, la température moyenne n'est que d'un petit degré inférieure à celle de la Champagne. On ne rencontre pratiquement pas de problèmes pour faire mûrir les raisins. Nous pouvons généralement commencer les vendanges dès la mi-septembre. Ceux qui produisent du vin blanc ou rouge doivent attendre plus longtemps, ce qui comporte davantage de risques."
Collègues primés
Outre Cruysem, au moins dix autres domaines viticoles belges produisent de bons vins mousseux. En voici quatre qui, tout comme Cruysem, ont été récompensés.
Chant d'Éole (Hainaut)
Avec ses 52 hectares de chardonnay, de pinot blanc et de pinot noir, ces vignobles situés juste au sud de Mons constituent le plus grand domaine viticole de Belgique. Le domaine tire son nom des éoliennes qui dominent le paysage. Dès le début en 2015, la famille Ewbank s'est entièrement consacrée à la production de vin mousseux. Ils ont bénéficié de l'aide de Filip Remue, un Belge qui possède son propre domaine en Champagne. En 2019, une bouteille de Chant d'Éole a obtenu une meilleure note que du "vrai" champagne lors d'une dégustation au Concours Mondial de Bruxelles, une distinction qui a rapidement accru la popularité du domaine. Chant d'Éole produit trois vins mousseux: un brut, un rosé et un blanc de blancs.
Vignoble des Agaises (Hainaut)
Ce pionnier de la viticulture belge, situé à moins de dix kilomètres du Chant d'Éole, élabore depuis 2002 le vin mousseux primé Ruffus. Tout comme leur proche concurrent, les fondateurs de ce domaine ont également bénéficié d'une aide champenoise: Thierry Gobillard a fourni les pieds de vigne. Avec ses 35 hectares, Agaises produit en moyenne 375 000 bouteilles par an, principalement du brut, du rosé et du brut nature non dosé. Cette année, Gault&Millau a salué le Ruffus Grand Millésime, élaboré avec des raisins de la récolte 2018 et ayant bénéficié d'une fermentation secondaire en bouteille pendant 3,5 ans.
Schorpion (Limbourg)
Eux aussi sont des pionniers, mais en Flandre. Wilfried et Robrecht Schorpion ont créé leur domaine viticole en 1994, en tant que hobby, sur deux hectares de terres agricoles à Vliermaal, près de Tongres. Ils ont construit eux-mêmes leur pressoir. Aujourd'hui encore, les frères maintiennent une petite échelle d'exploitation. Ils ne s'intéressent pas à l'expansion et maintiennent une haute qualité. Leur cuvée Houben, un assemblage de chardonnay, pinot noir, pinot gris, pinot blanc, auxerrois et riesling, a obtenu en 2022 la note la plus élevée dans le Guide des Vins Belges. Cette année, le Gault&Millau a récompensé le Zwart Brut, un assemblage de chardonnay et de pinot noir.
Ravenstein (Flandre occidentale)
Dirk Talpe et Patricia Lenoir ont transformé leur ancienne pépinière de fleurs à Wervik, près de la frontière franco-belge, en vignoble en 2017. Sur leur domaine de 5,5 hectares, une propriété dont l'histoire remonte au quinzième siècle, ils se sont lancés dans la culture de cépages tels que le pinot gris et le chardonnay, mais aussi de variétés moins courantes comme l'acolon, le gamaret et le garanoir. Avec ces cépages, le couple élabore jusqu'à douze vins différents, allant d'un chardonnay élevé en fûts de chêne à un vin rouge fruité, le Petit Noir. Le blanc de blancs de Ravenstein, un vin mousseux à base de chardonnay, a remporté une médaille d'or au concours du meilleur vin belge en 2022.
Complexité tranquille
L'approche méticuleuse des producteurs de vin mousseux se révèle pleinement lorsqu'on découvre leur chai flambant neuf et élégamment aménagé, qui abrite également une boutique et un espace dédié aux visiteurs. Une vingtaine de cuves en inox soigneusement alignées contiennent le vin tranquille (déjà fermenté) du millésime 2023. Sur un tableau de commande, la température de chaque cuve s'affiche: environ douze degrés Celsius pour les vins destinés à être conservés stables après la première fermentation, et environ dix-neuf degrés pour ceux destinés à subir une fermentation secondaire. "Après la première fermentation, nous mesurons l'acidité. Les vins à haute acidité sont soumis à une fermentation malolactique (transformation de l'acide malique en acide lactique, n.d.l.r.), ce qui les rend un peu plus doux. Les vins moins acides ne subissent pas de seconde fermentation. Nous voulons qu'ils conservent leur fraîcheur. Cela nous permet d'obtenir davantage de complexité lors de l'assemblage, lorsque nous mélangeons les vins tranquilles."
Chez Cruysem, complexité et concentration sont les maîtres mots. "Nous nous efforçons de privilégier la qualité à tous les niveaux. À chaque étape du processus, il faut faire des choix. Il s'agit généralement de choisir entre quantité et qualité, mais chez nous, les volumes ne sont pas primordiaux. Nous refusons catégoriquement la médiocrité."
L'essentiel du travail de vinification des vins mousseux se déroule sous terre, et en silence. Dans le chai, parmi les palettes, les vins tranquilles se transforment en vins mousseux grâce à une longue fermentation secondaire en bouteille. "En Champagne, la loi oblige les vignerons à laisser leurs bouteilles refermenter pendant quinze mois. Chez nous, les bouteilles reposent au moins 24 mois, ce qui aboutit un résultat plus raffiné."
Cruysem propose une gamme de base de trois vins mousseux. Une cuvée traditionnelle de chardonnay, pinot noir et pinot meunier, un rosé, et un blanc de blancs à base de chardonnay. En outre, les producteurs de vins mousseux élaborent chaque année des "cuvées spéciales". "Nous vendons actuellement une cuvée que nous appelons 'Les 4', un assemblage des quatre cépages présents ici." Dans le chai, ils nous montrent une rangée de fûts de chêne. "C'est là que nous faisons vieillir une partie de notre vin tranquille. Comme nous ne voulons pas trop d'influence du bois, nous mélangeons ensuite le vin vieilli avec le vin résiduel des cuves inox avant la seconde fermentation en bouteille. Ce type d'expérimentation est passionnant."
| Site web | cruysem.be
En bref
Selon le SPF Économie, les 259 domaines viticoles belges ont produit ensemble trois millions de litres de vin l'année dernière, soit deux fois plus qu'en 2021. La superficie des vignobles a également connu une forte augmentation. La Belgique compte aujourd'hui 806 hectares de vignobles, soit une augmentation de 107 hectares en un an.
Près de la moitié (1,4 million de litres) de tous les vins belges mis en bouteille en 2022 sont des vins mousseux. Le changement climatique repousse progressivement vers le nord la frontière de la production de bons vins effervescents. Le positionnement tarifaire joue également un rôle. Pour le vin blanc et le vin rouge, il est difficile de rivaliser avec les nombreuses bouteilles moins chères des pays voisins, mais de nombreux vins mousseux belges sont moins chers qu'une bouteille de la région champenoise. En outre, ils semblent pouvoir rivaliser avec le champagne en termes de qualité. De nombreux domaines travaillent avec les mêmes cépages et méthodes de production que leurs collègues de Reims et alentour.