Aujourd’hui, pour une voiture sur mesure, le connaisseur s’adresse à un "coachbuilder". La carrosserie unique, qui faisait florès au début du XXe siècle, revient en force. Une tendance qui connaîtra un essor plus marqué avec la voiture électrique.
Vingt millions de livres: voilà le montant affiché de la Rolls-Royce Boat Tail que le constructeur britannique a présenté l’année dernière au Concorso d’Eleganza Villa d’Este en Italie. Le modèle présenté, dont seront construites trois variantes, sort des ateliers Rolls-Royce. Et qui en est l’heureux propriétaire? On murmure les noms de Beyoncé et Jay-Z, mais le constructeur refuse de confirmer.
Le design de la Boat Tail est inspiré des yachts de luxe et, à l’intérieur, un double réfrigérateur garde au frais des bouteilles d’Armand de Brignac, le champagne préféré de ce fameux propriétaire. Ce modèle n’est que l’un des nombreux exemples témoignant du regain d’intérêt pour les voitures "pièce unique" ou en série ultra limitée. Il y a cent ans, quand les voitures étaient des produits de luxe, les Bentley, Cadillac et autres Rolls-Royce de ce monde se chargeaient uniquement de la partie technique, laissant leurs clients passer commande d’un châssis chez Vignale ou Touring, par exemple, et faire réaliser une carrosserie unique en fonction de leurs goûts ou de la mode.
Le changement arrive avec les modèles tels que la Ford T, la Volkswagen Beetle et la Fiat 500. La voiture devient populaire, sa fonction change et, dans les années 50, les constructeurs confient de plus en plus souvent le design à un département interne. Cela oblige de nombreux carrossiers à mettre la clé sous la porte. Cependant, la demande de voitures uniques ne s’est pas tarie entièrement. Dans les années 80 et 90, le prince du Bahreïn était un client important pour les rares coachbuilders encore en activité.
Aujourd’hui, la personnalisation revient progressivement. Bentley possède sa ligne Mulliner, tandis que Ferrari propose un programme de personnalisation spécifique et des collections Tailor Made. La construction de carrosseries en édition ultra-limitée ou unique gagne aussi du terrain dans les anciennes maisons italiennes telles que Pininfarina, Castagna et Zagato en Italie mais aussi chez Moal en Californie ou Motorima en Suède. Un des meilleurs coachbuilders est le Belge Louis de Fabribeckers pour la Carrozzeria Touring Superleggera. D’autres sont des nouveaux venus comme Niels van Roij, qui réalise, aux Pays-Bas, de superbes carrosseries sur des châssis existants. Et Rolls-Royce, bien sûr, comme le prouve la superbe Boat Tail.
01 "Les multi-millionnaires ne veulent pas d’un produit de masse."
Qui? Louis de Fabribeckers.
Coachbuilder? Touring Superleggera.
"Une série limitée de quelques centaines de pièces? Pour nous, c’est de la production de masse!", lance Louis de Fabribeckers. Depuis 2006, il est "head of design" chez Carrozzeria Touring Superleggera, un carrossier milanais qui témoigne d’une longue tradition de personnalisation. "Le coachbuilding est notre core business depuis 1926", explique le Belge. "Aujourd’hui, nous faisons exactement la même chose: nous construisons à la main des voitures uniques ou des séries de 15 exemplaires pour un client ou pour d’autres constructeurs."
En 2008, le designer remporte le Grand Prix de la plus belle supercar de l’année pour sa Berlinetta Touring A8GCS, basée sur une Maserati Coupé GranSport. La Bentley Continental Flying Star by Touring (2010) est également dotée d’une carrosserie de sa main. Avec la Berlinetta Lusso, il a vêtu la Ferrari F12 d’une nouvelle livrée en 2015. Cinq exemplaires de cette voiture ont été construits. Deux ans plus tard, les Touring Superleggera Sciàdipersia Coupé et Cabriolet ont séduit des fans de voitures du monde entier.
Deux par an
En tant que coachbuilder, Touring Superleggera part toujours d’une voiture existante, dont la technique reste intacte. "Nous travaillons uniquement sur l’esthétique", déclare de Fabribeckers. "Nous sommes la dernière entreprise sur le marché où, de la première esquisse à l’homologation, tout se passe en interne. C’est ce qui nous rend uniques: nous construisons la voiture nous-mêmes."
Touring Superleggera réalise un projet et demi à deux projets de coachbuilding par an. "Certains ne sont pas présentés au public ou ne sont pas signés de notre nom parce qu’un client refuse, pour des raisons de marketing, par exemple."
La réalisation la plus récente, l’Arese RH95, a été l’une des vedettes du Zoute Concours d’Élégance de l’automne dernier. Pour celle-ci, de Fabribeckers est parti d’une Ferrari
488 GTB. "Mon client voulait une voiture de sport italienne, par nostalgie des années 50 et 60. Je qualifierais la procédure de développement presque d’intime. Nous voulions aussi surprendre le client et aller au-delà de ses attentes. Bien souvent, il ne sait pas ce qu’il veut, sauf que cela doit être quelque chose de différent."
Mais Louis de Fabribeckers sait ce qu’il veut: une troisième voiture dans le line-up qui rende hommage aux voitures aérodynamiques et aux voitures de course que Touring Superleggera a construites jusqu’à sa fermeture, en 1967. La première de cette série a été l’Alfa Romeo Disco Volante Touring, construite en 2013 en version Coupé et, en 2017, en version Spyder, chacune basée sur l’Alfa Romeo 8C Competizione. La deuxième a été la Touring Aero 3 de 2020, une beauté en fibre de verre construite à 15 exemplaires et basée sur la Ferrari F12 Berlinetta avec un design streamline années 30. Enfin, l’Arese RH95 a suivi l’année dernière. "L’idée était de faire une voiture de course comme la Disco Volante, mais avec des détails pointus comme l’Aero3", précise
de Fabribeckers. "Et aussi, créer une sensation italienne. Ce n’est pas si facile. Autrefois, la nationalité d’une voiture était clairement identifiable: une Cadillac faisait très américaine et une Fiat, complètement italienne. Aujourd’hui, les voitures sont des produits internationaux."
Le processus de conception commence par un mois de recherches et d’esquisses. "Nous présentons différentes visions au client, qui choisit alors celle qu’il préfère. Ensuite, nous réalisons des croquis pour montrer les éléments caractéristiques de la voiture choisie, comme un aileron ou une prise d’air de capot. Vient ensuite ‘the tough job’: le passage d’une sculpture numérique en 3D à une voiture en 3D, avec des portes et des fenêtres qui s’ouvrent, un accès au moteur, etc. Parfois, nous fraisons un modèle en mousse: les modèles en argile sont inabordables pour d’aussi petites séries. La virtualisation aide aussi beaucoup: avec un casque de réalité virtuelle, c’est presque comme si vous étiez vraiment assis dans la voiture."
L’Arese RH95 sera construite en 18 exemplaires, tous sur mesure, tous différents. "L’élément le plus important de cette décision appartient au premier client, qui peut décider de partager ou non la conception. De notre côté, nous estimons le nombre que nous pouvons en vendre. Il arrive également que ce client prenne le risque et assume la moitié ou la totalité de l’investissement, et reçoive ensuite une part du bénéfice sur les autres voitures. Chaque projet est très différent en tous points."
Bien sûr, le nom et même la nationalité des clients restent généralement confidentiels. "Mais je peux vous dire que nous avons des clients sur les cinq continents", confie de Fabribeckers.
Une niche en croissance
Pour le Belge, il est évident qu’en rachetant la marque Carrozzeria Touring Superleggera en 2006, le regretté Roland D’Ieteren a donné un nouvel élan au coachbuilding. "C’était un vrai ‘petrolhead’. Sa passion était totale et, en tant que véritable leader doté d’une vision, il a ramené la Touring Superleggera sur le marché et rouvert le terrain de jeu pour le coachbuilding."
De Fabribeckers considère le coachbuilding comme une niche de croissance. "Si vous êtes multi-millionnaire et que vous recherchez la voiture la plus luxueuse du monde, c’est difficile d’échapper à la production de masse alors que vous voulez un produit unique." N’est-ce pas ce que les richissimes ont toujours voulu? Pourquoi ce regain d’intérêt pour le coachbuilding? Il réfléchit. "La Bugatti Veyron a changé la donne et ouvert le marché. Quand Bugatti a proposé cette voiture pour plus d’un million d’euros, vers 2005, une limite a été franchie alors que ce n’était même pas une pièce unique. C’était un argument important pour les coachbuilders: pour le même prix, disons un peu plus ou un peu moins, vous pouvez avoir quelque chose d’extrêmement spécial."
Nous connaissons donc l’ordre de grandeur des prix, pourrait-on se dire. "Le montant mentionné n’est pas si important", déclare de Fabribeckers. "Ce qui compte, c’est qu’il n’y a plus de limite. Les clients ne voient plus la voiture comme une voiture, mais comme une œuvre d’art et un investissement."
02 "Nous pouvons créer plus de show."
Qui? Niels van Roij.
Coachbuilder? Heritage Customs Valiance.
Sous le label Heritage Customs, Niels van Roij personnalise les nouveaux Land Rover Defender. Mais, sous le label Niels van Roij Design, il va beaucoup plus loin. Alors qu’il étudie le design automobile au célébrissime Royal College of Art de Londres, il remarque que les gens se mettent de plus en plus à personnaliser leur voiture. "À l’époque, par exemple, ils payaient des centaines d’euros pour un autocollant sur leur Mini. C’est irrationnel, mais cette petite bande sur le capot en faisait ‘leur’ voiture."
Cela le pousse à faire son propre truc plutôt que de travailler pour Rolls-Royce ou McLaren après ses études. Et il a de la chance. "Une semaine après avoir formulé la possibilité de concevoir des carrosseries uniques, j’ai appris que le collectionneur néerlandais Floris de Raadt voulait faire transformer sa Tesla Model S en Shooting Brake!", s’exclame-t-il en riant. Quand Niels van Roij présente son interprétation au salon de l’automobile de Genève 2019, elle fait le tour du monde. "Beaucoup de gens m’ont fait savoir qu’ils n’aimaient pas spécialement Tesla, mais trouvaient celle-ci très réussie. Et, ce qui est peu courant pour ceux qui se font construire un modèle unique, De Raadt utilise sa Tesla tous les jours. On la remarque."
D’un croquis au Mans
Le designer a une prédilection pour les Shooting Brakes. "Cette forme correspond très bien à l’idée du coachbuilding et elle est aussi ancienne que la voiture elle-même. À l’origine, le Shooting Brake (break de chasse) était la transformation d’une berline ou d’un coupé en véhicule doté d’une ligne de toit continue ou ‘long roof’, notamment à des fins de chasse. Ce sont des voitures spéciales, car elles combinent à merveille pratique et esthétique, espace et puissance, élégance et lignes étirées."
Cette Tesla est suivie par d’autres modèles uniques, comme la Daytona Shooting Brake avec une Ferrari 599 comme voiture donneuse. L’année dernière, il a livré à un client allemand une Breadvan Hommage à la Ferrari 250 GT SWB Breadvan, à partir d’une 550 Maranello. Il nous montre son stylo noir. "Un projet comme celui-ci commence par des croquis sur une feuille de papier. Nous les scannons et les colorons avec Photoshop. Ensuite, nous continuons à travailler sur tablette. C’est une recherche de possibilités. Que devons-nous faire? Et dans ce cas précis, que signifie exactement la Breadvan?"
La Breadvan originale naît en réalité d’une dispute entre Enzo Ferrari et le comte Giovanni Volpi di Misurata, un client important et l’homme de la Scuderia Serenissima. Donc, Volpi voulait acheter quelques 250 GTO, mais "il Commendatore" refuse parce que le comte avait débauché des ingénieurs et des designers de chez Ferrari. Volpi achète alors la 250 GT SWB du coureur belge Olivier Gendebien et l’apporte chez l’ingénieur Giotto Bizzarrini, qui avait travaillé sur la GTO chez Ferrari. Sa mission: rendre la voiture plus légère et plus rapide, afin de rivaliser avec les GTO au Mans.
Le résultat? La Breadvan avec son moteur V12 modifié, positionné plus bas et plus à l’arrière, tandis que la ligne de toit plus longue offrait moins de résistance à l’air, la "queue Kamm" constituant une expérience aérodynamique essentielle. De fait, "la camionnette" a surclassé les GTO aux 24 heures du Mans en 1962, jusqu’à ce que des problèmes de transmission la contraignent à abandonner.
Incrustations en argent
Pour son Breadvan Hommage, Van Roij a conserve uniquement le parebrise de la voiture donneuse et a redessiné le reste de la carrosserie. "Le client vient alors pour voir un modèle en argile grandeur nature et nous faisons des choix concernant l’extérieur et l’intérieur. Je ne fais pas de copies de voitures anciennes, mais un nouvel original s’inscrivant dans la lignée. Ensuite, la carrosserie en aluminium est frappée à la main chez un coachbuilder. Les milliers de minuscules marques sur la surface sont étanchéifiées avec une très fine couche de mastic. C’est un travail ultra précis, moins d’un millimètre."
"Pour la construction de la carrosserie proprement dite, nous travaillons avec des spécialistes externes, dans ce cas avec Bas van Roomen. Ensuite, nous passons chez le peintre, qui commence par poncer et travailler la couche de mastic: une ligne un peu plus nette ici, une ombre là... C’est un processus au cours duquel la forme devient toujours plus parfaite. Nous personnalisons également la peinture. Pour la Breadvan Hommage, nous avons développé huit nuances de rouge, parmi lesquelles le client choisit sa préférée."
Pour l’intérieur, Van Roij a travaillé notamment avec des incrustations en argent. Enfin, la voiture passe chez le sellier. "J’ai également choisi de l’alcantara bleu pour un de mes costumes. Oui, je fais ça avec chaque voiture que je conçois!", s’exclame ce dandy en riant.
Trompe-l’œil
Pour la Silver Spectre Shooting Brake, il a enlevé la lourdeur et a gardé la beauté de la Rolls-Royce Wraith. "Je veux créer des voitures qui poussent les qualités du constructeur un cran plus loin. Les clients ont une prédilection pour la marque et je dois me baser là-dessus. Mais nos voitures ne deviennent généralement pas des ‘daily drivers’, c’est pourquoi nous pouvons créer un peu plus de show en termes de design."
En réalité, sa Silver Spectre Shooting Brake est même plus grande que la Wraith. "Quand elle est bonne, une voiture trompe un peu l’œil", déclare-t-il. "Vous pouvez montrer des formes qui ne sont pas vraiment présentes ou, au contraire, masquer des formes existantes." La Silver Spectre Shooting Brake sera construite à sept exemplaires et pas un de plus. La réalisation d’un tel projet prend un an et demi à deux ans et demi, et il est difficile de donner des prix. "La règle générale est la suivante: le prix de la voiture donneuse neuve multiplié par deux", explique Van Roij. "Mais ça peut facilement être beaucoup plus, en raison de petites interventions nécessitant beaucoup de travail. Relever un garde-boue d’un centimètre peut représenter cinq semaines de travail supplémentaires pour le carrossier."
Lui aussi voit un avenir dans le coachbuilding. "Les voitures électriques offrent une accélération fantastique, mais manquent souvent de caractère. Et ce caractère, vous pouvez l’ajouter avec des couleurs, des matériaux et des formes. Et donc, avec le coachbuilding. De plus, une voiture électrique, c’est comme un skateboard avec des batteries et un moteur de la taille d’une grosse pastèque. Ça donne une plus grande liberté formelle. Si le besoin d’individualisation se manifeste déjà dans la Mini et la DS, pourquoi les personnes aisées achèteraient-elles une voiture en prêt-à-conduire?"
03 "Verres en cristal et couverts en vermeil."
Qui? Alex Innes.
Coachbuilder? Rolls-Royce.
Alex Innes était déjà "lead designer" chez Rolls- Royce quand le développement de la Sweptail a débuté, en 2013. Quatre ans plus tard, cette pièce unique a été présentée au Concorso d’Eleganza Villa d’Este. Elle est basée sur la Phantom Coupé, mais sa carrosserie est entièrement neuve. La forme du toit en verre (le plus grand jamais réalisé) et l’arrière pointu lui donnent l’apparence d’un yacht sur roues. "C’était un catalyseur pour ce que nous faisons au département coachbuilding", ajoute Innes.
Plus que tout autre constructeur, Rolls-Royce est ouvert à la participation de ses clients, qui choisissent presque tous une couleur unique ou un cuir spécial dans la gamme Bespoke. "Lorsqu’ils commandent une voiture, leurs souhaits font toujours l’objet d’une concertation", explique Innes. "Avec le coachbuilding, nous la poussons à l’extrême: la voiture devient une toile sur laquelle le client exprime ses réalisations et sa personnalité sans aucune restriction ou presque. Cela peut être des détails, mais aussi une carrosserie complètement neuve."
Succès personnel
En 2013, le coachbuilding chez Rolls-Royce avait pratiquement disparu, mais l’idée rôdait et, soudain, le moment (et surtout le premier client) est venu. "C’était un alignement des planètes unique, car les projets de ce type demandent des années de travail", commente Innes.
Quel était le briefing de la Sweptail? "Ce type de projet implique un dialogue nourri et beaucoup de confiance. Lors des premières discussions, ce client n’a pas exprimé de liste d’exigences explicite. L’essentiel était l’ambition de réaliser quelque chose d’extraordinaire et d’exprimer sa réussite personnelle à travers l’artéfact ultime, une Rolls-Royce moderne ‘coachbuildée’. J’ai passé beaucoup de temps avec lui. Il s’est entouré de designers issus de toutes sortes de disciplines et d’un peu partout dans le monde, et nous avons échangé nos points de vue sur la manière de réaliser quelque chose de significatif."
"Comme toujours, la première année est très intense. La voiture naît du dialogue: ensemble, nous creusons plus profondément et façonnons progressivement son caractère, après quoi nous réalisons des modèles en argile. Au fur et à mesure que la phase de production approche, nous nous concentrons sur les détails. Ce qui est formidable dans chaque projet de coachbuilding, c’est que le client voit le châssis prêt, sa personnalité de plus en plus intégrée dans la voiture par l’équipe créative et le martelage de la carrosserie. C’est une expérience vraiment enrichissante."
Clients hyper-fortunés
La présentation de la Sweptail a donné des idées et des envies à d’autres clients fortunés et Rolls-Royce a été chargé de commencer à travailler sur une interprétation moderne du style de carrosserie Boat Tail, construit dans les années 20 et au début des années 30, en série extrêmement limitée. "L’échelle, les proportions et la noblesse des Rolls-Royce de l’époque sont une source d’inspiration", déclare Innes.
Là encore, le processus allait durer près de quatre ans. En partant de la Phantom, trois variantes de ce concept ont été réalisées. "Nous aurions pu en construire beaucoup plus, mais trois de nos clients avaient vraiment une vision commune", explique Innes.
Un exemplaire a été dévoilé l’automne dernier, toujours à la Villa d’Este. "Dans ce cas, la voiture devait incarner l’esprit de toute une famille", précise Innes. "Nous avons parlé de l’usage que la famille en ferait. Son envie n’était pas de la conduire pour aller d’un point à un autre, mais pour le pur plaisir du trajet vu comme une croisière, une voiture qui serait comme un bateau à moteur conçu pour la terre. Et c’est ainsi qu’elle est utilisée aujourd’hui, de manière assez intensive, d’ailleurs: elle ne reste jamais très longtemps à quai!"
Parasol et sièges pliants
En ce qui concerne les clients, la presse britannique a avancé les noms de Beyoncé et Jay-Z, mais Innes reste bouche cousue. L’échantillon de haute couture automobile comprend 1.831 pièces nouvellement conçues. L’arrière fluide et incliné, terminé par des feux ultra-fins, fait référence à un yacht de classe J et attire le regard. C’est là que se trouve ce que Rolls-Royce appelle le pont arrière. D’une pression sur un bouton, des panneaux avec application Caleidolegno et acier inoxydable s’ouvrent comme les ailes d’un papillon pour révéler la "Hosting Suite". Un double réfrigérateur a été prévu, ainsi que des compartiments accueillant verres en cristal, couverts en vermeil, service Christofle sur mesure, un parasol et deux sièges pliants en fibre de carbone. "Le spot de pique-nique le plus sophistiqué au monde", a déclaré Torsten Müller-Ötvös, CEO de Rolls-Royce Motor Cars, lors de la présentation.
Quel que soit le client, le prix est le cadet de ses soucis. Néanmoins, comment "justifier" 20 millions de livres? "Nous ne parlons pas de prix", répond-il laconiquement. "Nous estimons que ce type de projet dépasse la valeur monétaire. Cette voiture est expérimentale et regorge d’innovations qui propulseront également Rolls-Royce au sommet en tant que constructeur. Par exemple, pour la première fois, nous avons réalisé une partie de l’extérieur en bois. Cela se fait souvent pour les bateaux, mais ici, il fallait de nouveaux procédés et techniques pour donner la bonne forme au bois et s’assurer qu’il conserve son apparence et sa qualité."
De nombreux projets de coachbuilding ne font pas l’objet de publicité, ajoute Innes. Lui aussi voit un avenir dans cette pratique. "Notre coachbuilding n’est pas un mouvement proactif. Nous sommes guidés par nos clients et leurs envies. Alors que d’autres constructeurs font des efforts de personnalisation, ils ne parviennent toujours pas à exprimer l’individualité de leur client. La demande en la matière ne fera qu’augmenter. Vous pouvez vous attendre à d’autres projets de ce type dans les années à venir."