Avec le 4x4 vintage de ses rêves, Dayo Clinckspoor s’évade sur les routes des Balkans. Il immortalise en vidéos et en photos les merveilles qu’il découvre.
Chaque année, à l’approche du printemps, je sens monter en moi une soif de liberté et d’aventure. L’année dernière, j’avais entrepris une longue excursion à vélo. Ce type de voyage libère en moi un flot d’énergie créative que je canalise ensuite dans des projets personnels. Il y a deux mois, à peu près à la même période de l’année, cette envie irrépressible s’est ravivée. J’aspirais à nouveau à une solitude absolue, je voulais m’évader sur les routes pour capturer en vidéos et en photos les merveilles que je découvrirais. Cette envie était à la fois irrésistible et terrifiante.
J’ai donc acquis le véhicule de mes rêves, un vieux Land Rover Discovery de 1999. Mon projet? Un road trip en Europe, avec l’Albanie comme destination finale.
Le concept de cette nouvelle aventure était d’apprendre à me faire confiance pour entreprendre des projets audacieux, de me laisser porter par cette énergie et de la canaliser en créativité. Plus simplement: tenir un journal visuel de mon périple et tout gérer depuis ma voiture, qui deviendrait mon camp de base.
La seule véritable préparation a consisté à transformer le Land Rover en tiny house sur roues. Pour le reste, j’ai volontairement limité mes projets à l’essentiel. Mon intention était de me laisser guider par la route, privilégiant la spontanéité de l’instant à un parcours prédéfini. J’avais bien relevé quelques endroits recommandés par Park4night, mais c’étaient plus des suggestions qu’un plan de route arrêté. Et c’est ainsi que je me suis lancé dans l’aventure.
"J’ai été seul pendant quatre jours. Une expérience unique, surtout dans notre monde moderne où l’on peut toujours nous joindre. C’est incroyable de voir à quel point cela fait la différence et cette prise de conscience a été un moment-clé de mon voyage."Dayo Clinckspoor
Slovénie
Les avantages de la gentillesse
Un magnifique voyage à travers l’Allemagne, l’Autriche et une partie de l’Italie me conduit aux portes des Balkans, en Slovénie. Sans destination ni lieu précis en tête, tout ce que je découvre est d’une beauté à couper le souffle. Je demande à ChatGPT quelques recommandations de visite, ce qui me mène au lac de Cave del Predil, frontière naturelle entre l’Italie et la Slovénie. À proximité, un restaurant qui semble accueillant attire mon attention et, comme je n’ai plus de provisions, je décide de m’y arrêter pour y prendre mon repas du soir et en profiter pour travailler sur ma vidéo YouTube hebdomadaire.
Sauf que rien ne se passe comme prévu. Une violente tempête s’abat sur la vallée, causant une panne d’électricité générale. Le personnel du restaurant avec qui j’ai bavardé, me recommande une bonne pizzeria sur la rive italienne du lac. Je mets donc le cap sur ce restaurant. Plus tard dans la soirée, quand j’ai fini ma délicieuse pizza, la tempête fait toujours rage. Mais j’ai de la chance: les restaurateurs ont eu la gentillesse de me proposer un emplacement pour passer la nuit sur leur parking, avec vue sur le lac. C’est alors qu’une foule de camping-cars vient se garer sur le parking, dans l’intention d’y passer la nuit. Cela ne plaît pas du tout au pizzaiolo: il se met à les chasser tous tant qu’ils sont. Je suis le seul à avoir l’autorisation de rester.
Ce soir-là, j’ai appris ma première leçon du voyage: si vous souhaitez obtenir un emplacement sur le parking d’un restaurant, commencez par y dîner, faites connaissance avec le personnel et montrez-vous sous votre meilleur jour. C’est une question de simple politesse, mais qui s’est avérée utile à plusieurs reprises par la suite. Voilà donc un des avantages de la gentillesse.
Croatie
Nez à nez avec un ours
Depuis la Slovénie, je me dirige vers la côte croate. Plus je m’approche, plus je me sens submergé par une vague d’émotion et d’excitation. La vue de l’Adriatique est un moment que je ne risque pas d’oublier. La véritable aventure commence quand je fais mes premières rencontres, qui se transforment en nouvelles amitiés. Et quand j’improvise des excursions tout-terrain sur les îles de Krk et de Pag: plongée en apnée, pêche au harpon et trekking dans des paysages sauvages en convoi de trois voitures. Du plaisir, de l’adrénaline et des souvenirs formidables.
Cependant, le camping sauvage étant interdit en Croatie, la quête d’emplacements appropriés pour passer la nuit est un défi supplémentaire. Chaque soir apporte son lot de stress (agréable) et d’excitation, dans l’espoir de trouver une aire de repos respectueuse des lois. En effet, les amendes sont plutôt salées et une seule contravention aurait pu mettre en péril le budget de mon voyage.
Si agréable que soit la compagnie de mes nouveaux amis, je finis par ressentir le besoin de reprendre la route tout seul. Cette fois, j’ai l’intention d’explorer la route qui mène au Parc National de Velebit. Je ne suis manifestement pas le seul à avoir eu cette idée, car le lendemain des adieux avec mes nouveaux amis, à ma grande surprise, je croise un autre membre de notre groupe à l’étape suivante. Nous décidons de continuer la route ensemble, moi au volant de mon fidèle Land Rover et lui, de sa Fiat Doblo. Cette partie du voyage nous fait traverser des régions reculées de la Croatie, jamais cartographiées. Nous rencontrons un vieux professeur en train de dresser la carte de la région qu’il parcourt à pied. À un moment donné, je me retrouve nez à nez avec un ours! Rétrospectivement, je suis très heureux d’avoir pu partager toutes ces expériences avec un ami.
Bosnie-Herzégovine
Chevaux sauvages et tempête
Je laisse derrière moi la Croatie pour continuer mon périple en solitaire vers la Bosnie-Herzégovine. Ma première halte est Livno, une ville célèbre pour ses chevaux sauvages, recommandée par un de mes nouveaux amis. J’emprunte un sentier cahoteux, où, de manière assez ironique, un habitant local me dépasse à vive allure dans sa vieille Volkswagen Golf, ce qui est bien la preuve que les voitures des années 90 sont quasiment indestructibles.
Arrivé au sommet d’un col de montagne, je pénètre dans une prairie qui s’étire à perte de vue. C’est là que je rencontre des chevaux sauvages, mais mon admiration est rapidement éclipsée par la crainte: une des pires tempêtes qu’aient connues les Balkans depuis des années approche. Bien que cet épisode mériterait un récit à part entière, je peux affirmer, la main sur le cœur, que Livno mérite amplement le détour. Après cette tempête homérique, je vais frapper à la porte d’un charmant couple âgé qui m’ouvre sa maison. Leur chaleur et leur sens de l’hospitalité resteront à jamais gravés dans mes souvenirs.
Mon périple me conduit ensuite à Lukomir, un village où le temps semble s’être arrêté. Son charme me séduit tellement que j’y reste plus longtemps que prévu. Mon chemin croise également celui de deux auto-stoppeurs allemands, que j’ai le plaisir d’accueillir à bord de mon 4x4. Le courant passe tout de suite et se transforme en amitié sincère. Quand nous arrivons à Sarajevo — une ville qui mérite la visite — et que vient le moment de nous séparer, leur départ laisse place à un sentiment de vide et de mélancolie. Cependant, je comprends progressivement que ces moments plus sombres font aussi partie de l’expérience d’un long voyage. En quittant Sarajevo, je mets le cap sur le Monténégro, impatient de découvrir la prochaine étape de mon périple. Petit à petit, je suis à nouveau heureux d’être tout seul.
"Partir en voyage sans plan fixe m’a permis de ralentir, ce qui a été une libération."Dayo Clinckspoor
Monténégro
Révélation de la solitude
Arriver au Monténégro par le Nord et emprunter la route P14 à travers le Parc National de Durmitor est spectaculaire. Les paysages sont d’une beauté irréelle. Sans plans spécifiques pour la nuit, je passe devant une cabane de berger où quelques personnes sont rassemblées. Je décide de m’arrêter pour les saluer et, de fil en aiguille, je finis par y passer la nuit, accueilli par deux Turcs, père et fils. Ensemble, nous échangeons des histoires et partageons notre repas en contemplant un coucher de soleil merveilleux.
Le lendemain, je reprends la route vers le Sud, en direction d’un autre parc national. Le mauvais temps me contraint à passer plusieurs jours enfermé dans ma voiture, sans être pour autant totalement isolé: lors de mon café du matin, un troupeau de chevaux sauvages vient me saluer. Les chevaux sauvages et les conditions météorologiques extrêmes sont manifestement en train de devenir des thèmes récurrents de mon voyage.
Près de la frontière entre le Monténégro et l’Albanie, je me lance à nouveau hors des chemins battus. Cette parenthèse loin de toute civilisation dure quatre jours et s’avère être le plus grand défi de mon périple. Seul, sans aucun signal de téléphone ni de GPS, je suis confronté à l’isolement absolu des montagnes. Durant tout ce temps, je ne prononce pas un mot et je n’ai aucun contact humain. C’est la première fois que je ressens une telle solitude, mais cette situation me permet également d’aborder certaines introspections. Une expérience unique, surtout dans notre monde moderne où il est possible de joindre quelqu’un ou d’envoyer un message à tout moment. Réaliser à quel point cette déconnexion totale peut être transformatrice constitue un moment déterminant de cette aventure.
Albanie
Nature et ambiance
Comme l’Albanie est ma destination finale, je fais pratiquement le tour complet du pays, en m’arrêtant dans des lieux intéressants à l’intérieur des terres, comme les canyons de Përmet et les villes de Berat et Pogradec. Comme je suis principalement intéressé par la nature, je prends tout mon temps pour explorer les parcs nationaux, les montagnes et les plages. En chemin, j’écoute un podcast concis, mais instructif sur l’histoire des Balkans, ce qui me donne une compréhension approfondie de la région en général et de l’Albanie en particulier.
Ce pays a beaucoup à offrir et mérite l’admiration, mais il est également confronté à certains défis. La pollution est un problème majeur: partout, des détritus jonchent le sol, des ordures sont incinérées en plein air et tout le pays est jonché de constructions en béton abandonnées, souvenir du communisme de l’époque d’Enver Hoxha. Malgré ces défis, l’Albanie est un trésor de beauté naturelle sauvage. Le contraste saisissant entre les paysages accidentés et les développements urbains crée l’image d’un pays à la fois naturel et sans limites.
À Pogradec, j’ai l’opportunité de séjourner quelques jours chez un youtubeur qui réside habituellement aux États-Unis, ce qui me permet de m’immerger dans la culture locale pendant un temps. Je me promène le soir dans des rues animées et sympathiques, où je me sens plus en sécurité et plus à l’aise que dans des villes comme Gand ou Bruxelles. L’ambiance sociale dynamique que j’y trouve est très différente de la perception trompeuse et trop prudente que l’on a de l’Albanie.
"J’ai découvert qu’être seul ne signifie pas l’absence de gens autour de moi: être seul, c’est être présent à soi-même. C’est ça le voyage."Dayo Clinckspoor
Grèce
En harmonie avec l’univers
Après mon séjour en Albanie, je me dirige vers la Grèce. À vrai dire, je n’avais pas prévu d’aller aussi loin, mais une fois que je me retrouve à la frontière grecque, je me dis: "Et bien, maintenant que je suis ici, pourquoi ne pas aller un peu plus loin?"
Les débuts sont quelque peu tumultueux. Frappé par une violente tempête (encore une!), je perds le contrôle de mon véhicule et je vais me cracher sur une glissière de sécurité. En état de choc, préoccupé par les dégâts subis par ma voiture et effrayé par la tempête qui ne faiblit pas, je passe un sale moment. J’écris alors dans mon journal que je crois avoir atteint le creux de la vague. Pour la première fois depuis mon départ, j’ai envie de rentrer chez moi.
Mais, ce soir-là, quelque chose d’inattendu se produit. Je rencontré une Grecque qui me propose de dîner dans un restaurant local. J’accepte avec plaisir, me demandant néanmoins comment nous allons meubler le silence. En effet, je ne parle pas grec et mon allemand, la seule autre langue qu’elle maîtrise, est quasiment inexistant. Contre toute attente, je réalise que je suis capable de me faire comprendre en allemand...!
J’ai manifestement assimilé les rudiments de la langue au contact des nombreux voyageurs allemands rencontrés sur ma route. Ce soir-là, nous bavardons pendant des heures et je me sens revivre en écoutant les histoires d’une inconnue, rappel des liens uniques que l’on noue lors des voyages.
Malgré le mal du pays qui commence à me ronger, je choisis de poursuivre ma route en longeant la côte jusqu’à Patras. En raison de la tempête et de la fin de la haute saison, les plages sont pratiquement désertes. C’est le soir et je décide de profiter de cette occasion idéale pour me déshabiller et plonger dans la mer entièrement nu: c’est une expérience unique. Étendu sous une voûte céleste étoilée, je me sens infiniment petit tout en étant profondément relié à la nature.
De Patras, j’embarque sur un ferry en direction de Bari, en Italie. De là, j’entame tranquillement le voyage de retour: je traverse l’Italie pour rejoindre la Slovénie, l’Autriche, l’Allemagne, le Luxembourg et, enfin, la Belgique.
En repensant à cette aventure, je réalise qu’elle représente bien plus qu’un simple voyage. J’ai appris à lâcher prise et à accepter l’imprévu. D’habitude, j’aime avoir le contrôle sur ma vie, mais me laisser guider par la spontanéité m’a transformé. Chaque jour s’est déployé de manière unique, m’enseignant l’art de vivre dans l’instant présent et d’apprécier les plaisirs simples de l’existence.
Partir en voyage sans plan préétabli m’a permis de ralentir, ce que j’ai ressenti comme une surprenante libération. L’isolement que j’ai trouvé dans les paysages sereins du Monténégro est devenu la pierre angulaire de ma guérison. Là, au cœur du silence et de la beauté de la nature, j’ai pu affronter ma tristesse et embrasser la solitude dans sa forme la plus pure. Cette expérience m’a appris une leçon inestimable sur la capacité à être seul à l’ère de la connectivité permanente.
J’ai découvert qu’être seul ne signifie pas nécessairement l’absence de gens autour de soi, mais une présence accrue à moi-même. Mettre mon smartphone de côté pour me recentrer sur mon être intérieur fut le véritable voyage. Nul besoin de s’évader vers des contrées lointaines: il suffit de plonger en soi.
Je raconte cette aventure dans l’espoir qu’elle puisse vous encourager à vous lancer dans la vôtre. À braver le malaise ressenti lorsqu’on sort de sa zone de confort. À expérimenter cette sensation exquise de vivre pleinement. Votre périple vous mènera peut-être vers des contrées lointaines, ou peut-être sera-t-il un beau voyage intérieur. Dans tous les cas, c’est une aventure qui mérite d’être entreprise — pour se forger des souvenirs, faire de nouvelles rencontres, s’immerger dans la nature, trouver la solitude et, surtout, découvrir des facettes de soi-même que seules de telles expériences peuvent dévoiler.
Lancez-vous donc dans ce road trip dont vous avez toujours rêvé. Quant à moi, je songe déjà au prochain.
Dayo Clinckspoor (28 ans) a débuté sa carrière en tant que jeune acteur dans des publicités, des films et des séries télévisées, ce qui lui a offert une perspective unique sur l’industrie cinématographique. Ces premières expériences ont éveillé sa passion pour le cinéma.
Après avoir étudié la réalisation cinématographique à la LUCA School of Arts à Bruxelles, il a écrit, produit et réalisé son film de master, "Meander", en 2019. Actuellement, il travaille en tant que créateur indépendant et se consacre à la narration. Les créations de Clinckspoor ne se limitent pas à un seul médium. Il raconte des histoires par le biais du cinéma, de la photographie et de la création de contenu.