Amorgos, l'île fascinante du Grand Bleu où voyager hors saison

Au sud-est des Cyclades, Amorgos fascine par son isolement. En septembre, une compétition de plongée en apnée rend hommage au film qui l’a rendue célèbre en 1988.

Isolée, aride, minérale. Plus qu’une île, Amorgos est une montagne qui se dresse dans la mer, à la lisière des Cyclades. Sa longue épine dorsale - elle a 33 kilomètres de long sur à peine 2 à 6 de large - culmine à plus de 800 mètres d’altitude. Après six à neuf heures de traversée, on débarque un peu hagard sur le quai de l’un de ses deux adorables ports, Katapola ou Aegiali. Peuplés de moins de 2.000 habitants, ses flancs tout en falaises entremêlées comptent seulement six villages et trois monastères, cachés sur les hauteurs pour se protéger des pirates. Une seule route asphaltée et d’innombrables sentiers entre la mer et le ciel font d’Amorgos un paradis pour randonneurs.

Ce n’est pas un hasard si Luc Besson a choisi cette île pour tourner "Le Grand Bleu". Toute une génération a été marquée par la communion de l’homme dauphin avec la mer bleu saphir. Le film a donné un coup de projecteur sur l’île et marqué localement certains esprits, dont Dimitris Synodinos. En 1987, il a 7 ans quand il voit pour la première fois des hommes-grenouilles sur le tournage. Lui qui sait à peine nager et descend de son village de montagne se promet de devenir plongeur comme eux. En 2006, il ouvre le premier club de plongée d’Amorgos et, en 2014, se forme au freediving, la plongée en apnée. Une expérience sensuelle et spirituelle. La discipline ayant désormais le vent en poupe, une compétition de freediving se tient ici chaque année en septembre, en l’honneur du Grand Bleu.

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Les moulins du village immaculé de Chora perché au pied des montagnes.
Les moulins du village immaculé de Chora perché au pied des montagnes.
©Stanislas Fautré / Figarophoto

Civilisation cycladique

Pourtant, dans l’Antiquité, grâce au port naturel de Katapola, Amorgos était une escale qui comptait entre la Crète, l’Attique, l’Asie Mineure et Alexandrie. Peuplée dès le quatrième millénaire avant notre ère, elle fut l’un des centres de la civilisation cycladique. On y a retrouvé douze acropoles et de nombreuses idoles, dont la plus grande jamais mise à jour, une femme grandeur nature, mains repliées sur le ventre, aujourd’hui exposée au Musée national archéologique d’Athènes. Disséminées sur l’île, trois cités indépendantes et une vingtaine de tours de guet voient le jour. Au centre, Minoa, qui domine Katapola, était la résidence d’été des rois minoens venus de Crète. Plus tard, l’île s’illustre par son intense activité de négoce: elle est connue pour produire et exporter des tuniques transparentes en lin (amorgis), d’où son nom.

Destination méditative, Grecs et étrangersviennent (et reviennent) y chercher l’esprit épuré et solairedes Cyclades, une Méditerranée ancestrale.

Les incursions des Sarrasins à partir du VIIIe siècle chassent les habitants vers l’intérieur des terres. C’est ainsi qu’est fondée Chora, la capitale, sur un plateau rocheux au centre de l’île. Se perdre dans le lacis de ses ruelles qui s’enroule autour de son piton rocheux est un délice. Passages couverts, parfum de jasmin, ribambelles de placettes dont la loza façonnée par les Vénitiens: au cœur de l’été, il est conseillé de réserver sa table pour profiter de l’une des adresses locales désormais branchées.

De la guirlande de moulins qui domine le village, on a une vue envoûtante. Ivre de lumière et de vent, on aimerait sentir des ailes nous pousser dans le dos, comme Icare. Juste en dessous de Chora se cache le monastère de Chozoviotissa, enchâssé dans la paroi ocre vertigineuse. Suspendu 300 mètres au-dessus du vide, il défie les lois de la pesanteur avec ses huit étages, ses 40 mètres de long sur seulement 5 de large. Il faut grimper 300 marches et montrer patte blanche - soit épaules et jambes couvertes - pour avoir le droit d’y pénétrer. Quelle sensation hors du temps quand on en franchit la porte! L’escalier sombre et la chapelle creusée dans le rocher aux icônes enfumées contrastent avec la terrasse ouverte sur la mer et la petite salle lumineuse où sont offerts loukoums et psiméni raki, la fameuse liqueur épicée de l’île.

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Le monastère de Chozoviotissa, enchâssé dans la paroi ocre vertigineuse.
Le monastère de Chozoviotissa, enchâssé dans la paroi ocre vertigineuse.
©Sebastiano Corti / Unsplash

Par la volonté de l’empereur byzantin Alexis Ier Comnène de repeupler l’île, le monastère a été fondé en 1088 avec des moines chassés de Palestine et des paysans. L’âpreté de l’existence des habitants, soumis aux raids incessants des pirates, a forgé leur philosophie de vie, marquée par la générosité et l’optimisme.

C’est ainsi que l’on dit qu’à Amorgos, il suffit d’être deux pour faire la fête. De fait, une quinzaine de festivités religieuses ou païennes émaillent l’année, avec une ferveur jamais démentie. "Elles contrebalançaient la vie extrêmement dure d’autrefois", explique Stamatis Grispos, le jeune président de Mikri Vigla, l’association culturelle et environnementale de Tholaria.

"L’approvisionnement en eau et en électricité, la gestion écologique des déchets ou la circulation sur l’île sont des problèmes à régler en priorité, avant même de penser à accueillir plus de monde."
Nondas Gavalas
Agriculteur bio d'Amorgos

Beauté minérale

Situé à l’extrémité nord-est, le village perché au-dessus de la superbe baie d’Aegiali se rejoint en empruntant une route qui traverse la moitié de l’île. En cette fin août, des centaines de Grecs plutôt jeunes convergent vers Tholaria pour célébrer, dans un grand feu de joie, la fin de l’été. Le meilleur violon de l’île, celui du jeune Giakoumis Gavras, et le luth de son frère ont été conviés. Les serveurs des cinq tavernes du village ne savent plus où donner de la tête. Terrasses et placettes débordent de monde. Sur le parvis de l’église, la musique entraîne les danseurs dans une farandole. Suivant le crescendo musical, les pas répétitifs s’emballent. La sueur perle au front, les visages s’extasient, les corps entrent en transe jusqu’au bout de la nuit.

L’épave du bateau Olympia  à Kalotaritissa, le bateau echoué du Grand Bleu.
L’épave du bateau Olympia  à Kalotaritissa, le bateau echoué du Grand Bleu.
©Stanislas Fautré / Figarophoto

Les amoureux d’Amorgos et la majorité des locaux s’inquiètent de l’avenir de l’île. Sa beauté minérale et ses villages pittoresques aiguisent les appétits. Le nombre de visiteurs augmente chaque année, au point qu’elle est désormais saturée au cœur de l’été. Le manque d’eau est un vrai souci pour Nondas Gavalas, l’agriculteur bio de l’île, dont les champs s’étirent dans la plaine côtière de Katapola. Il y a trente ans, cet avocat a choisi de retourner sur son île natale pour valoriser ses terres. La pression touristique et le réchauffement climatique le préoccupent. "L’approvisionnement en eau et en électricité, la gestion écologique des déchets ou la circulation sur l’île sont des problèmes à régler en priorité, avant même de penser à accueillir plus de monde", explique-t-il.

Or, aujourd’hui, l’île est menacée. Nombreux se sont émus de l’ouverture, sans autorisation ni études, de routes dans des zones reculées. Et si la menace de l’installation d’un parc d’éoliennes semble aujourd’hui écartée, le projet d’agrandissement du port de Katapola, présenté en mars dernier par la municipalité, a provoqué une levée de boucliers de la part des locaux et des amoureux de l’île. La consultation en ligne a d’ailleurs été rapidement fermée: sur 338 avis déposés, 98 % s’alarmaient d’un projet qui mettrait en péril l’authenticité et la tranquillité de l’île. Au regard de ce qu’est devenue sa voisine Santorin, le spectre d’une "disneylandisation" irrémédiable a de quoi effrayer.

Dimitris Synodinos a ouvert le premier club de plongée de l’île d’Amorgos.
Dimitris Synodinos a ouvert le premier club de plongée de l’île d’Amorgos.
©Stanislas Fautré / Figarophoto

Voyager hors saison

Préserver Amorgos en contribuant à son développement, c’est avoir conscience, en même temps, de ce qu’on y trouve et de l’empreinte qu’on va y laisser. "La première chose à faire est de voyager en dehors du grand rush de l’été", préconise Semeli Drymoniti, à la tête de FindinGreece, une petite agence de trekking et d’expériences locales. "Septembre, octobre, avril, mai et juin sont les mois les plus agréables: tout ou presque est ouvert; les habitants sont détendus; la période est propice aux balades et à la randonnée. Et, puis quel plaisir de découvrir l’île au printemps, quand elle est verdoyante et fleurie!"

Le photographe Clément Chapillon préfère l’automne, "quand la roche chauffée tout l’été lui donne une couleur fauve, vespérale, crépusculaire qui magnifie la minéralité de l’île". Saisissante de réalisme et de poésie, sa série de portraits et paysages intitulée "Les Rochers fauves" explore l’insularité géographique et mentale, révélant à quel point Amorgos incarne la Méditerranée des origines.

"Comment raisonnablement bien accueillir tout ce monde?"
Maria Roussos
Patronne de la taverne Sto Pyrgo

Maria Roussos, la cuisinière et patronne avec son mari de la taverne Sto Pyrgo, s’inquiète elle aussi quand elle est débordée, en été: "Comment raisonnablement bien accueillir tout ce monde?" nous confie-t-elle. Ouverte toute l’année, leur taverne est située au sud-ouest de l’île, dans la partie nommée Kato Meria où quelques hameaux agricoles s’égrènent sur des paysages hors du temps, plus doux et fertiles qu’ailleurs.

Au-delà du hameau d’Arkesini et de sa taverne, la route surplombe la célèbre épave du "Grand Bleu", cargo désormais fantôme qui gît au fond d’une crique. Elle longe quelques bergeries puis soudain, derrière la crête d’une colline, bascule sur l’extrémité désertique de l’île, où seuls des buissons hardis disputent leur place à la roche et au sable. S’enroulant sur lui-même, ce bout du monde encercle un lagon turquoise où se love la plage de Kalotaritissa. Une buvette en bois, quelques parasols, des lits de plage et un panneau annonçant qu’il n’y a pas de wifi ici avec cette invitation: "Parlez entre vous et faites comme si nous étions en 1994."

©Stanislas Fautré / Figarophoto

Amorgos | Infos pratiques

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