Bien plus qu’une étape sur la route de l’Asie du Sud-Est ou de l’Océanie, Singapour vaut à elle seule le voyage, désormais sans escale depuis Bruxelles avec Singapore Airlines.
De loin, on pourrait croire à un parc d’attractions sans aucun intérêt. Mais en réalité, quand on pousse les tourniquets de Gardens by the Bay, on saisit pourquoi c’est devenu l’emblème d’une ville qui se veut dans un jardin. Sur 101 hectares, on est plongé dans un écrin protégé de nature et de technologie: le parc abrite pas moins d’un million et demi de plantes provenant des cinq continents sous deux dômes gigantesques tout en fraîcheur (avec une poignée d’oliviers multicentenaires ou encore une chute d’eau de 35 mètres) mais aussi 18 ‘supertrees’, des structures mesurant entre 25 et 50 mètres de haut, qui joignent l’utile à l’agréable. Avec des panneaux solaires au sommet pour alimenter le domaine, des troncs jonchés de feuillages et d’orchidées, ces totems du futur récoltent l’eau de pluie de la cité-état qui sert à arroser toute la végétation. Deux d’entre eux sont reliés par une passerelle de 128 mètres de long. À eux seuls, ces jardins symbolisent la vision anticipatrice, entre nature, créativité et technologie, de Singapour.
Car si le concept d’urbanisme vert pousse désormais aux quatre coins de la planète, la cité-État coincée à l’extrême sud de la péninsule malaise, dont elle est séparée au nord par le détroit de Johor, fait preuve de clairvoyance et d’ambition pour combler un manque d’espace et de ressources.
Jardins en l’air et à terre
À chaque coin de rue, il suffit de lever les yeux (ou de les ouvrir) pour constater que le béton laisse la place à de véritables écosystèmes verdoyants. Aujourd’hui, un tiers du territoire est occupé par des espaces verts. La jungle urbaine est ainsi ubiquiste, maîtrisée, soignée. La nature à Singapour, domestiquée ou sauvage, ornementale et souvent suspendue, offre une sacrée bouffée d’oxygène: en 2030, la ville entend offrir un parc à moins de 10 minutes de marche de toute habitation.
Un de ces parcs n’est autre que le premier site de la ville à avoir été classé, en 2015, au patrimoine mondial de l’UNESCO: le Jardin botanique, que l’on peut rejoindre à pied en quelques minutes depuis l’emblématique rue commerçante Orchard Road, nommée d’après les plantations qui l’ont bordée dans les années 1940. Évoluant d’un jardin botanique tropical britannique à caractère colonial créé en 1859, il est devenu, sur 75 hectares, un jardin botanique moderne de premier ordre doublé d’un centre de recherche scientifique pour l’Asie du Sud-Est depuis le XIXe siècle et d’un lieu de conservation et d’éducation respecté. C’est le seul Jardin botanique au monde à ouvrir tous les jours (gratuit sauf la section des orchidées), de cinq heures du matin (on y croise tous les pratiquants du miracle morning et autres joggers de la ville) à minuit.
Non loin de là, au nord, un des plus vastes et plus anciens réservoirs d’eau potable trouve place au sein du MacRitchie Reservoir Park, le plus grand poumon vert de Singapour. Il existe de nombreux chemins de randonnée qui serpentent aux pieds des arbres à durians (le king of fruit des Asiatiques) et autres arbres tropicaux. En pleine ville, on peut emprunter le Treetop Walk, un long pont suspendu à sens unique qui traverse la canopée, à 25 mètres au-dessus du sol. À Singapour, on ne rebrousse pas chemin.
Pour la simple et bonne raison que la ville réfléchit à tout. Alors oui, il y a des centres commerciaux à faire pâlir ceux de Dubai, Bangkok ou Paris, des gratte-ciel impressionnants. Mais surtout de la végétation partout, pas seulement dans les parcs et jardins.
Direction le quartier financier pour découvrir CapitaSpring & Sky Garden, une oasis de 280 mètres de haut qui s’inscrit dans la continuité de l’urbanisme vertical pionnier de la ville, amorcé depuis l’indépendance, en 1965. Conçue par Bjarke Ingels Group (BIG) et Carlo Ratti Associati, la tour au design "biophilique" à l’usage mixte arbore une verdure luxuriante du rez-de-chaussée au 51E étage et abrite un jardin de toit. De l’extérieur, on peut observer que les éléments de ce moucharabieh moderne s’écartent pour laisser s’engouffrer le vent, permettant que l’air se rafraîchisse et offrant, de l’intérieur, une vue sur la ville et la baie.
Il n’y a pas que les HBD ou les bâtiments résidentiels à "arborer" de la verdure, les hôtels ont également les pouces verts, à l’instar du Parkroyal sur Pickering Street ou du Pan Pacific Orchard. Toute nouvelle construction doit suivre un cahier des charges écologiques strict.
La ville-État fait preuve d’une inventivité sans précédent pour compenser son manque d’espace.
Asian tiger
Petite leçon d’histoire, on retrace l’histoire de l’île de Singapour jusqu’au XIVE siècle. Sa position géographique avantageuse attire d’ailleurs les convoitises: en 1819, le Britannique Sir Thomas Stamford Raffles en prend le contrôle pour faire face à la domination commerciale des Néerlandais dans la région. La cité portuaire, qui vivait essentiellement de la pêche, devient une incontournable plaque tournante entre l’Ouest et l’Est. Elle tombe ensuite aux mains des Japonais pendant la Seconde Guerre mondiale, repasse à nouveau sous le contrôle britannique, devient une colonie autonome dans le Commonwealth avant de s’unir avec la Malaisie. Mais cette union est, elle aussi, de courte durée en raison de différends politiques. Singapour (qui tire son nom de Singapura, "la cité du lion") se retrouve donc en 1965, entre ses quatre murs, pour la première fois indépendante depuis presque 150 ans, et avec tout à refaire.
Et ces "murs" ne sont pas grands: avec un peu plus de 720 kilomètres carrés, dont quelques-un repris sur la mer, la république singapourienne, qui compte une soixantaine d’îles, doit miser ailleurs que sur ses ressources naturelles. C’est deux fois moins grand que Londres, mais tout de même 3,5 fois plus grand qu’Anvers.
Le premier et ancien chef de gouvernement, Lee Kuan Yew, a été le principal artisan de la transformation de la cité-État en une des économies les plus florissantes d’Asie, qu’il a dirigée d’une main de fer entre 1959 et 1990. Qu’il s’agisse de commerce, de finance, de technologie et de tourisme, Singapour ne lésine sur rien et devient rapidement un des Four Asian Tigers (avec la Corée du Sud, Hong-kong et Taïwan), ces états qui ont connu un prodigieux essor économique au lendemain de la Seconde Guerre mondiale.
"Shophouses" colorées
Ainsi, par son histoire et sa localisation, Singapour est un véritable melting pot ethnique, où les différentes communautés coexistent en harmonie. Coexistence est ici le mot-clé: aucune communauté ne l’emporte sur les autres. Les quartiers ethniques tels que Chinatown, Little India et Kampong Glam (dont la mosquée rappelle celle du dessin animé Aladdin) sont à l’image de leurs cultures respectives et relient Singapour à ses origines.
Parmi les nombreuses communautés qui ont contribué à l’essor de la ville, les Peranakan occupent une place particulière. Arrivés entre le XVe et le XVIIe siècle, ces immigrés chinois ont pris pour épouse une femme indigène et ont ainsi adopté une partie des coutumes locales. Ce mélange avec les traditions de l’Empire du Milieu donne une culture haute en couleur, dont l’héritage est préservé au Musée Peranakan, mais aussi dans les ruelles de Katong (Joo Chiat Road). Car, si la ville prend de la hauteur, les habitations traditionnelles, les shophouses colorées, font également partie de son ADN. Généralement construites entre 1840 et 1960, avec une double porte en retrait par rapport à la rue (un notable "5 foot walkway"), elles abritent un rez-de-chaussée à usage commercial et un espace d’habitation à l’étage. La beauté des façades reflète la réussite et la richesse des familles Peranakan.
L’architecture basse des shophouses, très appréciées par les Singapouriens, dans le quartier hype du Tiong Bahru Market, invite à se poser, le temps d’un café et d’un Kaya toast, une tartine grillée garnie de confiture de noix de coco. Et comme pour cimenter cette cohésion, le gouvernement reconnaît quatre langues officielles: l’anglais, le malais, le mandarin et le tamoul, dans le but d’éviter toute discrimination et pousser le multiculturalisme à son paroxysme.
HBD et urbanisme éclairé
Toujours par manque d’espace, et comptant 6 millions d’habitants (c’est un des pays les plus densément peuplés après la Principauté de Monaco), le gouvernement amorce dès le départ une politique de logement vertical que les plus grandes villes du monde peuvent envier. Habituellement, et plus particulièrement en Europe, les logements sociaux n’ont pas réellement bonne réputation alors qu’à Singapour, c’est tout le contraire. Ils sont d’ailleurs très recherchés, il y a une liste d’attente et certains s’échangent à prix d’or. En outre, près de 80% des Singapouriens possèdent leur appartement sous bail de 99 ans contracté auprès de la société d’État, la Housing and Development Board, communément appelée HDB (l’alternative du HLM français). Celle-ci est responsable de la planification, de la construction des immeubles, de l’attribution des logements, de leur entretien et de leur réfection.
Résultat? Pas de crise du logement (tout montant payé supérieur à l’évaluation gouvernementale doit être acquitté sans recourir à une hypothèque) et une ville compacte continuellement entretenue et propre, vu l’engagement résolu des autorités concernant l’hygiène, l’environnement et la qualité de vie de ses habitants. Et ça se voit. Aussi, la cité-État a mis en place des politiques strictes de gestion des déchets (sévères amendes à la clé si l’on jette un chewing-gum ou un mégot), de contrôle de la pollution de l’air et de préservation de ses espaces verts.
Une visite des locaux de l’Urban Redevelopment Authority se révèle plus qu’utile pour comprendre l’évolution constante de la ville, avec notamment des archives et une immense maquette du centre-ville. Une des tours de la maquette intrigue par son architecture et, comble de l’ironie, on peut l’apercevoir par les fenêtres de l’URA. Il s’agit de l’impressionnant Pinnacle@Duxton, un bâtiment composé de plusieurs tours de 50 étages. Elles sont reliées entre elles par des skybridges, au 26ᵉ et au 50ᵉ étage, longs de 500 mètres! Après s’être acquittés de 6 dollars singapouriens pour l’accès aux ascenseurs, il y a, là-haut une vue époustouflante à 360° sur le centre-ville, avec des coins ombragés et des assises.
C’est plus accessible et moins bondé que le très célèbre complexe commercial et hôtelier Marina Bay Sands, l’emblème architectural qui a placé Singapour "on the map" il y a 15 ans. Ce quartier entier a été repris sur la mer par la pratique du "land reclamation". Le bâtiment est formé de trois tours de 55 étages surmontés d’une terrasse alignant une très instagrammable infinity pool, la plus longue piscine (150 mètres) en hauteur du monde, conçue par le cabinet Denniston de l’architecte belge Jean-Michel Gathy.
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Toute forme d’intelligence est bonne à prendre, et l’ambition de la ville s’étend jusqu’au réseau de transports en commun ultra performant, baissant significativement le nombre de voitures. Résultat: pas d’embouteillages et zéro mobylettes comme on en voit dans la plupart des pays asiatiques. La circulation est digne d’un dimanche sans voiture à Bruxelles.
Au-dessus de la mer, l’Airbus A350-900 de Singapore Airlines, qui relie Bruxelles à Singapour pour la première fois depuis 20 ans sans escale et sans turbulences, survole des centaines de navires de charge au large de la ville, amarrés à équidistance les uns des autres, attendant leur tour de passage dans le port, signe d’une activité économique soutenue.
D’une efficacité opérationnelle redoutable, l’aéroport de Changi est le meilleur aéroport au monde et une destination à lui seul. Il accueille un dôme en verre spectaculaire, le Jewel Changi, doté d’une cascade de 40 mètres de haut, de boutiques sur 3 étages, d’art contemporain, d’un hôtel, d’un cinéma gratuit ou encore de toboggans pour éviter les escaliers, de distributeurs de billets de diverses devises ou... de lingots d’or! On enregistre très facilement soi-même ses bagages, aucune cohue à la douane (elle sera bientôt assurée sans devoir présenter son passeport!), et la vérification fluide des bagages à main est assurée par zone pour une poignée de gates.
À partir du 6 avril prochain, la "meilleure compagnie aérienne du monde en 2023", selon Skytrax, entend faire le pont entre l’ouest et l’est, en onze heures et sans escale. L’occasion est toute trouvée pour (re)mettre les pieds dans une ville qui mérite d’être considérée et qui a un seul mojo: to lead by exemple.