Le terminal Trans World Airlines de l'aéroport JFK à New York conçu par Eero Saarinen a incarné l'engouement pour le voyage dans une atmosphère très Mad Men. Demain, on pourra un voyager dans le temps en passant la nuit dans ce symbole transformé en hôtel de luxe.
C'était une autre époque. La Maison Blanche n'était pas occupée par Donald et Melania Trump, mais par John F. et Jackie Kennedy. La radio ne diffusait pas 'Thank U, Next' d'Ariana Grande, mais 'Love Me Do' des Beatles. Mais ce qui différencie le plus ces deux époques, c'est que, dans les années 50 et 60, voyager en avion était glamour.
Grâce aux nouveaux avions à réaction, qui pouvaient voler plus haut, plus vite et plus loin, le monde était devenu accessible à de nombreux Européens et Américains. Le voyage en avion n'était évidemment pas encore perçu comme un banal déplacement placé sous le signe de a climatisation, des lampes TL et de l'espace restreint pour les jambes, mais comme une aventure palpitante.
C'est cet enthousiasme qu'a voulu traduire l'architecte américain d'origine finlandaise Eero Saarinen quand il a conçu le terminal de Trans World Airlines de l'aéroport JFK, en 1955. "Un bâtiment dont l'architecture exprime la dramaturgie et l'excitation du voyage", avait-il déclaré. "Dans un certain sens, l'avion symbolise le désir de l'homme de vaincre la gravité."
Beaucoup ont vu la forme d'un oiseau dans le dessin de la coupole, composée de quatre coques en béton armé se déployant vers l'extérieur comme des ailes à partir d'un point central alors que, pour Saarinen, c'était une métaphore des qualités de l'aviation: aérodynamique, légère et tourbillonnante. Le terminal a été utilisé de 1962 à 2001, date de la faillite de TWA.
Depuis lors, le complexe, qui a été déclaré monument historique en 2005 afin d'être sauvé de la démolition, était inoccupé. Mais les temps changent: la semaine dernière, Louis Vuitton y a organisé le défilé de sa collection Resort en avant-première. L'ouverture de l'hôtel ne suit, elle, que demain. En réalité, il s'agit plutôt d'un complexe de plus de 250 millions d'euros proposant une offre complète de six restaurants, huit bars, un centre de fitness, un rooftop avec piscine à débordement donnant sur la piste et un bar à cocktails aménagé dans un avion des années 50 entièrement rénové.
Vocation de sculpteur
Comment dormir dans le bruit incessant des moteurs d'avion? Merci les vitres de 11,43 cm d'épaisseur.
Aujourd'hui, le nom de 'Saarinen' évoque d'emblée la 'Tulip Chair' pour Knoll ou les ailes en béton du terminal TWA. Mais quand Eero était enfant, 'Saarinen' désignait son père, Eliel Saarinen, un célèbre architecte.
Cependant, Saarinen junior va très vite surpasser son père. En effet, cela devient une douloureuse évidence lorsqu'en 1948, Saarinen père et fils présentent tous deux un projet pour le même concours d'architecture. Après l'arrivée d'un télégramme attribuant la victoire à E. Saarinen, le père savoure son triomphe jusqu'à ce qu'il s'avère que ce n'était pas Eliel, mais Eero qui avait été sélectionné.
Le projet conçu par Eero, la Gateway Arch de St. Louis, marque le début d'une courte mais fructueuse carrière au cours de laquelle il conçoit les bâtiments d'entreprise des géants américains IBM et General Motors, dont les structures géométriques incarnent l'optimisme américain radieux de l'après-guerre.
Saarinen fils se lance ensuite dans des lignes plus fluides et organiques. La patinoire qu'il réalise sur le campus de l'Université de Yale est la preuve qu'il aurait voulu être sculpteur, comme sa mère (il se rattrapera quelque peu en épousant une sculptrice). Les gracieux animaux abstraits de la patinoire sont comme la préfiguration des plis ondulants qui seront la signature du projet TWA de 1955.
Il conçoit aussi du mobilier dans les années 50: les 'Womb Chair' et 'Tulip Chair' pour Knoll et il collabore avec le célèbre couple de designers américains Ray et Charles Eames sur des créations qui trônent aujourd'hui au MoMA à New York. Saarinen est sur le chemin de la gloire. Un an après avoir décroché la commande du TWA, il fait la couverture du magazine Time. Personne ne sait encore que son succès sera de courte durée.
'Chili pepper red'
Bien que l'hôtel s'appelle TWA Hotel, précisons à toutes fins utiles qu'il n'est pas possible de dormir dans l'ex-terminal TWA -sauf pour une petite sieste. En effet, les 512 chambres du nouvel hôtel TWA se trouvent dans deux nouvelles ailes qui ont été construites autour du terminal, car il était impossible d'installer des chambres dans ce dernier sans toucher au bâtiment d'origine.
Ce qui n'enlèvera rien au plaisir des amateurs d'architecture vintage: la moitié des chambres offre une vue sur la structure incurvée en béton. De l'autre côté du bâtiment, les fenêtres allant du sol au plafond donnent sur la piste de JFK, l'aéroport de New York qui est aussi l'un des plus fréquentés du monde.
Mais comment est-il possible de dormir dans le vrombissement permanent -ou presque- des moteurs à réaction? Pas de problème, affirme l'hôtel: avec pas moins de sept couches de verre, soit 11,43 cm, les fenêtres comptent parmi les plus épaisses du monde -seules les vitres de l'ambassade américaine à Londres sont plus épaisses.
Cela dit, il n'est pas nécessaire de séjourner à l'hôtel pour visiter le joyau du complexe TWA, le terminal proprement dit dans lequel, grâce à une rénovation aux petits soins, on est replongé dans l'ère Mad Men. Les visiteurs sont accueillis par le tableau des départs d'origine avec affichage à lamelles fabriqué en Italie, l'horloge vintage et le tapis rouge vif du magnifique Sunken Lounge.
Quand le terminal était encore utilisé, le salon revêtu de tapis et de tissus 'Chili Pepper Red' faisait place à des guichets. Aujourd'hui, le Sunken Lounge est un bar chic dans lequel on peut siroter un royal ambassador dans un verre old fashioned. "Boire un cocktail ici, c'est comme retourner en 1962!", a déclaré Tyler Morse, CEO du groupe hôtelier MCR. "Sans la fumée de cigarette."
L'ascension de Saarinen vers la gloire a brutalement pris fin en 1961, quand il décéde d'une tumeur au cerveau à l'âge de 51 ans. Il n'a donc jamais pu assister à l'achèvement de bon nombre de ses projets, dont un autre terminal d'aéroport à Washington DC, un gratte-ciel pour la chaîne de télévision CBS à Manhattan et ce terminal TWA, inauguré en 1962.
Dommage, car il aurait pu voir à quel point un de ses souhaits était devenu réalité. "Notre architecture est trop modeste", avait-il un jour affirmé. "Elle devrait être plus fière, plus agressive, beaucoup plus riche et plus grandiose que ce que nous voyons aujourd'hui. J'aimerais apporter ma contribution à cette richesse."
Le TWA Hotel ouvrira ses portes le 15 mai. À partir de 220 euros la nuit.