Dans la Tchoukotka, la nature prend les couleurs de l'été indien russe: rouge intense, vert mousse, jaune pétant et bleu azur.
Dans la Tchoukotka, la nature prend les couleurs de l'été indien russe: rouge intense, vert mousse, jaune pétant et bleu azur.
© David de Vleesschauwer

En Russie, l'été indien comme vous ne l'avez jamais vu

Vous connaissez peut-être l'été indien du nord de l'Amérique et de Joe Dassin. Cette saison enchantée est aussi la plus belle de l'extrême-orient russe. Rendez-vous avec les ours, les baleines et des épaves de bombardiers. Et bienvenue à bord de l'Austral.

Du rouge explosif au vert mousse en passant par le jaune soutenu, des couleurs vives tranchent sur le bleu foncé de la mer de Béring et le ciel azur pâle, sans un seul nuage. Nous sommes à bord du navire d'expédition français l'Austral qui appartient à la compagnie de croisière française du Ponant. "C'est Dame Nature qui décidera de ce que nous allons voir au cours des prochains jours", explique le chef de l'expédition, Nicolas Dubreuil qui, avec le commandant Patrick Marchesseau, a défini l'itinéraire qui nous mènera d'Anadyr (extrême est de la Russie) à Petropavlovsk, puis à Otaru, au Japon. Par Dame Nature, Dubreuil entend la mer de Béring, totalement imprévisible, sur laquelle nous allons voguer en quête d'ours, de phoques, de pygargues et de volcans.

Sur une carte du monde, la forme de la Russie fait penser à un animal qui court en tirant la langue. Cette langue, c'est le Kamtchatka, une péninsule de 1.250 kilomètres de long qui avance entre l'océan Pacifique et la mer d'Okhotsk. 322.000 personnes vivent sur cette superficie de 270.000 kilomètres carrés, au coeur d'une nature aussi grandiose qu'impressionnante.

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Empreintes d'ours brun
D'après les explorateurs du pôle nord, notre navire est la meilleure manière de découvrir cette petite partie du monde. Ici, les rares hôtels sont aussi simples et sans fioritures que des refuges de montagne. À bord de l'Austral par contre, vous logez dans des cabines top confort: grand lit, beau linge, télévision à écran plat, salle de bain avec douche à l'italienne, WC séparé et grand balcon avec deux transats pour admirer le paysage.

Après une nuit de navigation, l'Austral jette l'ancre dans la baie de Gravilla, une partie intacte et isolée de la Tchoukotka, le district situé à l'extrême nord-est de la Russie. Ici, mettre pied à terre pour aller se promener sans autre forme de procès est exclu, sauf si vous appréciez la compagnie des ours bruns, bien sûr. Après un contrôle de sécurité assuré par l'équipe de l'expédition, nous pouvons mouiller à Gravilla.

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Le navire d'expédition l'Austral est la meilleure manière de découvrir cette région à l’écart du monde. Ici, il n’y a presque pas d’hôtels et, même si vous en trouvez un, il est simple comme un refuge.
Le navire d'expédition l'Austral est la meilleure manière de découvrir cette région à l’écart du monde. Ici, il n’y a presque pas d’hôtels et, même si vous en trouvez un, il est simple comme un refuge.
© David de Vleesschauwer

Au programme: une longue randonnée pour ceux qui ont des fourmis dans les jambes et des alternatives pour ceux qui préfèrent le calme. Sur la plage, une zone a été balisée par des animaux: ils nous ont visiblement précédés, laissant dans le sable, des traces de leur passage. Nous reconnaissons les empreintes d'un renard, d'un lièvre arctique et d'un ours brun. Dans le lointain, la plage de sable volcanique se fond dans une lagune parfaitement lisse. Un peu plus loin, on aperçoit une chute d'eau.

Les passagers de l'Austral se dispersent rapidement dans le paysage d'automne rougeoyant. La fin de l'été est le moment idéal pour voyager au Kamtchatka. Le temps est encore beau, la mer pas trop agitée, la nature affiche ses plus belles couleurs et les ours n'hibernent pas encore. Chacun profite à sa manière de cette région lion de tout. Un couple se promène le long de la plage de sable volcanique et ramasse des coquillages et des galets. Mireille, une Parisienne, est biologiste et collectionne les échantillons de sable du monde entier. Quelqu'un se repose sur la douce mousse, tandis qu'une dame belge d'un âge respectable - 85 ans et toujours bon pied bon oeil- a pris un siège portable pour profiter du paysage confortablement installée. Ici et là, un membre de l'équipe d'expédition est à l'affût, arme au poing. Dans la Tchoukotka, on ne sait jamais si quelque chose de brun et de grand ne va pas pointer le bout de sa truffe ...

Rhododendrons roses
Le lendemain, l'Austral fait escale dans la baie de Pavla, sur la côte ouest de la mer de Béring. Une randonnée de 12 kilomètres est organisée pour les 200 passagers qui souhaitent observer les ours bruns. En effet, l'itinéraire passe par leur territoire. Le roi de la toundra ne se fait pas attendre longtemps. Nous apercevrons un groupe de six individus lors de notre promenade.

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Les ours bruns du Kamtchatka sont vraiment des très grosses bêtes. Grâce à un régime alimentaire très riche comprenant notamment du saumon et de baies sauvages, ils peuvent atteindre un poids supérieur à 650 kilos. À la fin du mois de septembre, ils construisent leur tanière près des racines des arbres: c'est là qu'ils hiberneront pendant près de six mois.

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À Tymlat, les Koriaks, le plus ancien groupe ethnique du nord du Kamtchatka, vivent dans des petites maisons en bois face à la mer de Béring.
À Tymlat, les Koriaks, le plus ancien groupe ethnique du nord du Kamtchatka, vivent dans des petites maisons en bois face à la mer de Béring.
© David de Vleesschauwer

Les couleurs de l'automne et le ciel azur nous signalent que nous sommes au bon endroit au bon moment: la vallée se pare du rose vif des rhododendrons camtschaticum qui fleurissent avec luxuriance dans le climat sibérien. Le soir, après une douche bien chaude et un apéritif entre passagers face aux fenêtres panoramiques du bar, le dîner est servi dans l'un des deux restaurants du bateau: un restaurant gastronomique de cuisine française sur le pont supérieur et un bistrot plus relax avec une grande terrasse qui donne sur une piscine.

Le lendemain matin, nous nous réveillons sous un ciel bleu éclatant. Le temps idéal pour visiter le village de Tymlat où vivent les Koriaks, le plus ancien groupe ethnique du nord du Kamtchatka. Les Koriaks étaient un peuple nomade qui vivait de la chasse au renne (Koriak signifie littéralement 'avec le renne') et se déplaçait pendant l'hiver en traîneaux à chiens. Aujourd'hui, les Koriaks ne sont plus qu'un petit groupe qui compte 500 âmes. Ils vivent dans de petites maisons en bois face à la mer de Béring.

Le chamanisme est profondément enraciné parmi les Koriaks. Le Big Raven - le chaman, père et protecteur de la tribu - y est honoré. À notre intention, ils font retentir de la musique traditionnelle par de grands haut-parleurs modernes. Installés un peu partout, des petits stands nous proposent des dégustations de spécialités locales: saumon, baies, thé, soupe de poisson, biscuits... Big Raven regarde pensivement les femmes qui dansent et chantent.

Il est évident qu'elles ont sorti bannières, micros et haut-parleurs spécialement pour les 200 passagers de l'Austral. Pendant les mois d'été, à peine cinq navires d'expédition jettent l'ancre à cet endroit. Rares sont donc les étrangers qui viennent jusqu'ici. Partout, de petits groupes de Koriaks profitent du soleil, sur leurs motos ou couchés, tandis que d'autres font des feux pour préparer le thé, tout en grignotant des morceaux de saumon séché comme on en voit accrochés aux branches. Les femmes et les filles en costume chantent ensemble, bougeant les hanches et les mains en rythme.

© David de Vleesschauwer

Les volcans impressionnants
Aujourd'hui risque bien d'être une des journées les plus inoubliables de notre voyage. La raison? Les célèbres volcans enneigés. Depuis 1996, les volcans du Kamtchatka sont inscrits au patrimoine mondial de l'UNESCO. Presque nulle part ailleurs au monde il n'y en a autant qu'ici: 160, dont pas moins de 30 sont encore en activité. Au loin, nous apercevons le Komarov qui crache un panache de fumée grise. Cet élégant stratovolcan, qui culmine à 2.070 mètres, a un cratère de près de 70 mètres de profondeur.

Nous partons avec le géologue Stéphane pour faire un petit tour en zodiac sur la rivière Zhupanova. Quelques pygargues de Steller sont posés au bord de l'eau. Ces rapaces géants au bec jaune vif - certains pèsent 10 kilos - ne sont visibles qu'ici. Pour de nombreux ornithologues, c'est une raison majeure de faire le voyage.

De retour à bord, nous prenons notre lunch sur le pont arrière. Soudain, nous sursautons lorsque le volcan Kronotski, que nous apercevons à l'horizon, crache un énorme nuage de cendres. Le panache bien net monte rapidement dans les airs, puis s'estompe en s'élargissant. Ici, chaque jour, on constate que la nature est en constante activité. "À votre santé!", s'exclame Joël, un membre de notre groupe, en levant son verre de rosé à la santé du volcan et des autres passagers. "Une journée parfaite, n'est-ce pas?"

Épaves habitées
L'endroit serait idéal pour un film de Hitchcock. Et même son nom - baie de Russkaya - a quelque chose de cinématographique. Une fine brume recouvre ce fjord oublié, tandis qu'une légère bruine obscurcit les pentes vertes que dévalent de petites cascades.

Demain, l'Austral nous ramènera dans le monde habité et plus précisément à Petropavlovsk-Kamtchatski, la capitale de cette région reculée. Mais, pour le moment, nous sommes toujours sur une autre planète. Nous venons d'atteindre un des postes de sécurité russes abandonnés, où se trouve l'épave d'un Mi26 (le plus grand hélicoptère du monde), d'un avion de chasse japonais et de bateaux - qui sont, elles, habitées!

Volcans en activité et ours bruns, le Kamtchatka est une région surprenante. "C'est incroyable, un peu intimidant, mais magnifique!"

À notre grande surprise, la baie de Russkaya n'est pas vide de toute présence humaine: quelques Russes y vivent dans de simples baraques en bois. Ces hommes n'ont pas besoin de nous expliquer qu'ici, la vie n'est pas facile. Ils ont une autorisation officielle pour chasser l'ours. La plupart semblent avoir vécu cinq vies: un regard intense, des mains puissantes mais le coeur tendre: ils nous offrent un véritable festin composé de toasts aux oeufs de saumon, thé, vodka et saumon fumé par leurs soins. Ils nous offrent aussi des petits cadeaux qu'ils ont fabriqué eux-mêmes avec des coquillages ou d'autres petits objets ramassés sur le rivage. Ils vivent loin de la civilisation et de leur ancienne vie. Un des chasseurs a été marié et a été ingénieur. Pourquoi vivent-ils si loin de tout, mystère et boule de gomme.

Base secrète
Nous nous éloignons de plus en plus du monde civilisé. Nous atteignons les îles Kouriles, quelque part entre le Kamtchatka en Russie et Hokkaido au Japon. Loin de tout et de tous, ces petites îles, pour la plupart inhabitées, sont aussi ravissantes qu'un collier de perles. Mais leur avenir fait l'objet de nombreuses discussions: la Russie et le Japon se les disputent depuis le XIXème siècle. La raison? Elles sont riches en pétrole et leur situation est stratégique d'un point de vue géopolitique.

Quand nous jetons l'ancre au large de l'île Baikovo, rien ne laisse supposer ce différend territorial. Les souvenirs du Japon y sont pourtant nombreux: à l'écart de la plage de Baikovo se trouve une ancienne base militaire japonaise où se trouvent des avions de chasse et des bateaux qui rouillent au beau milieu d'une nature intacte et paisible.

Nous continuons jusqu'à Simoushir, une île volcanique dont la particularité est d'avoir le cratère sous le niveau de la mer. Entre 1987 et 1994, elle a servi de base secrète aux sous-marins russes. Pendant la Guerre froide, cette caldeira, appelée baie Brouton, était la base de trois sous-marins et de plus de 3.000 militaires russes.

Alors que le brouillard nappe mystérieusement la baie Brouton, nous arrivons sur la plage de galets pour explorer la base abandonnée. Les bâtiments, le canon antiaérien, le ponton pour les sous-marins, l'équipement - des vieux ordinateurs aux peintures murales de Lénine - sont intacts.

Certaines plages désertées par les hommes sont le territoire de centaines de phoques.
Certaines plages désertées par les hommes sont le territoire de centaines de phoques.
© David de Vleesschauwer

Lave sifflante
De la lave en fusion rougeoyante qui pénètre dans l'océan en sifflant: on pourrait être à Hawaii, mais nous sommes sur l'île inhabitée de Chirpoy, où se trouve le volcan éponyme. C'est l'une des dernières haltes avant d'atteindre Hokkaido, au Japon, et de retrouver la civilisation.

Très tôt, avant le lever du soleil, nous montons dans les zodiacs et nous rapprochons du spectacle grandiose qu'offre le volcan en éruption. Lorsque la lave entre en contact avec l'eau, elle dégage une fumée blanche et brune en émettant un sifflement entrecoupé d'une sorte de craquement. Le basalte brûlant s'écoule dans la mer. "C'est incroyable, un peu intimidant, mais magnifique!" résume quelqu'un parmi nous. Tandis que nous naviguons vers l'île voisine, les surprises se succèdent: de mystérieux nuages bas sont accrochés sommets et des milliers de Fulmars boréals tournoient lentement au-dessus de l'océan, allant jusqu'à raser la surface de l'eau .

5.940 euros par personne pour 15 jours dans le Kamtchatka et 6.350 euros pour 16 jours dans les Kouriles, tout compris. 
www.ponant.com et www.asteriaexpeditions.be
À bord, vous recevrez un bon parka bien chaud, mais il est nécessaire d'apporter des bonnes bottes, des vêtements imperméables et épais, car les températures vont de 5 à 18°C. Prenez aussi des jumelles.

Près des rochers, une mère loutre nage avec son bébé sur le ventre et, un peu plus loin, on aperçoit une colonie de lions de mer de Steller. Certains font la sieste sur un rocher, d'autres chassent et certains s'approchent même de nous, poussés par la curiosité. Le gouvernement russe a installé une webcam pour vérifier que personne ne s'approche trop d'eux et ne perturbe la colonie. Quand cela se produit, l'expédition écope d'une amende.

Quelques heures plus tard, le vent se lève, les vagues se creusent et viennent se fracasser, écumantes, sur la plage de galets. Avec beaucoup d'efforts et, surtout, de bonne volonté de la part de l'équipage et des passagers, nous réussissons à quitter les lieux. Les vagues frappent les flancs du zodiac pendant que nous montons à bord. Sur le chemin du retour, la mer est tellement démontée qu'elle donne du fil à retordre aux skippers.

Chacun d'entre nous est assis sur le bord des bateaux en caoutchouc, capuche sur la tête et appareil photo bien protégé. Dans cette partie du monde, il faut être courageux. Été indien ou pas.

© David de Vleesschauwer
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