Le Japon à pied: le pèlerinage du Kumano Kodo

Des siècles après la maison impériale, les pèlerins et les marcheurs prennent le chemin du Kumano Kodo. Une randonnée au pays des temples et des cascades, en suivant la direction indiquée par le corbeau à trois pattes.

Sachant tout ce que devaient affronter les pèlerins du Kumano Kodo (mauvais temps, maladie, noyade), aucune équipe de tournage de la télé japonaise n’était enthousiaste à l’idée de faire une interview. C’est cette épreuve qui m’attend à Yunomine Onsen, un village réputé pour ses sources thermales aux vertus curatives depuis 1800 ans.

Je suis immergé dans l’eau chaude de la fameuse source Tsuboyu quand un reporter entre dans ma cabine. "Avez-vous, vous aussi, une source d’eau chaude classée au patrimoine mondial de l’UNESCO?", me demande-t-il. "Euh, non..." Je suis ébloui par la lumière de la caméra et taraudé par une question: cette eau d’un blanc laiteux est-elle transparente? Dans un onsen, il faut se baigner nu et je n’ai pas très envie de montrer que j’ai bien respecté les usages... Heureusement, l’équipe de télévision ne traine pas et je peux me détendre à l’aise. 

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©Kris Van Hamme


 C’est nécessaire après avoir parcouru en une journée la première partie de ce chemin de pèlerinage vieux de plus de mille ans et qui connaît une remarquable renaissance. Aujourd’hui, le Kumano Kodo est redécouvert par les Japonais et les touristes, de plus en plus nombreux à entreprendre ce voyage au cœur spirituel de l’archipel. 

 Autrefois, on pensait qu’avec leurs rivières et leurs cascades, ces montagnes verdoyantes étaient la demeure des dieux. On y a donc bâti d’impressionnants sanctuaires, dont Kumano Hongu Taisha, Kumano Hayatama Taisha et Kumano Nachi Taisha, regroupés sous le nom de Kumano Sanzan. Depuis 2004, ils sont d’ailleurs classés au patrimoine mondial de l’UNESCO, comme le chemin des pèlerins qui est, en réalité, un réseau de sentiers.

En outre, seuls les pèlerinages du Kumano Kodo et de Saint-Jacques-de-Compostelle sont inscrits au patrimoine mondial de l’UNESCO, ce qui permet à ceux qui ont suivi les deux d’obtenir un certificat de ‘double pèlerinage’.

Rituel de purification

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©Kris Van Hamme

 Tout pèlerin du Kumano Kodo doit décider quel chemin suivre et quel degré de difficulté envisager. Des six chemins officiels, celui de Nakahechi, déjà parcouru au début du XXème siècle par d’impressionnantes processions de la famille impériale, est le plus prisé. Depuis Kyoto, la maison impériale voyageait vers le sud jusqu’à la péninsule de Kii, pour ensuite entamer le Nakahechi depuis Tanabe, sur la côte ouest. 

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 Takijiri-oji est un point de départ important à Tanabe, un ‘sanctuaire subsidiaire’ qui marque l’entrée vers les montagnes sacrées. C’est ici que les premiers pèlerins entreprenaient des rituels de purification, faits de danse et de sumo. Aujourd’hui, comme d’autres pèlerins, je vais me limiter à la classique prière devant les sanctuaires shintos. Un groupe de Japonais arrive et me montre les bons gestes: on offre une pièce de 5 yens, on s’incline à deux reprises, on frappe deux fois dans les mains, on s’incline une dernière fois.

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Tout pèlerin a pour objectif d’accumuler 
les cachets rouges sur sa carte.
Tout pèlerin a pour objectif d’accumuler les cachets rouges sur sa carte.
©Getty Images/imageBROKER RM

Comme je dois me concentrer, ma première tentative n’est pas très fluide, mais l’estampillage de ma carte de pèlerin devrait mieux se passer. Dans une cabine qui ressemble à une cage à oiseaux, je fais apposer mon premier cachet rouge, pour ensuite constater que l’image du sanctuaire est à l’envers... 

Corbeau à trois pattes

 Heureusement, il reste beaucoup de temps pour s’exercer, surtout si on entame un périple de plusieurs jours. Celui-ci commence par une montée abrupte vers Takahara, baptisé ‘village dans la brume’. Ceux qui souhaitent se ménager peuvent sauter une étape et partir de Hosshinmon-oji. De là, une marche de sept kilomètres sur des sentiers non pavés nous conduit à la première destination: Kumano Hongu Taisha. Dans les forêts de pins bordant le chemin, on croise régulièrement des statuettes en pierre de la divinité Jizo, protectrice des voyageurs et des enfants, reconnaissable au bavoir rouge porté autour du cou.

 Je rencontre également un couple de Canadiens d’une cinquantaine d’années qui parcourent à pied les 38 kilomètres séparant Takijiri-oji du sanctuaire de Hongu Taisha, au prix de quelques montées pouvant atteindre 700 mètres de dénivellation. "C’est notre quatrième jour", annonce joyeusement la femme. Son époux est un peu perdu: "Veux-tu dire encore quatre jours ou déjà quatre jours de marche?" lui demande-t-il. Heureusement pour eux l’arrivée est en vue.Un peu plus loin, un double remontant nous attend.

Tout d’abord, je croise une vieille femme dans un des rares villages qui bordent la route. Derrière elle se déploie un paysage de plantations de thé et de montagnes verdoyantes et infinies comme on dit ici. Elle m’offre des bonbons, un boost pour les derniers kilomètres. Mais le boost ultime sera assuré au Fushiogami-oji, un sanctuaire auxiliaire où les pèlerins s’agenouillaient et se mettaient à prier dès le tout premier regard porté sur l’immense porte ‘torii’ du sanctuaire de Hongu, au fond de la vallée.

Je scrute le paysage pour tenter d’apercevoir la porte; yes!, l’objectif est en vue. Quand j’arrive sur place, la scène est d’une beauté apaisante. Sur une toile de fond de conifères vert foncé se dressent trois temples aux toits couverts d’écorce mordorée.

©Kris Van Hamme


Le seul bruit est celui des pèlerins qui font sonner les cloches en tirant sur les cordes, préambule à tout entretien avec les dieux. 

J’en oublierais presque d’aller voir la porte qui m’a servi de repère. Pour cela, je dois descendre l’escalier qui mène à la rivière. Ce n’est qu’un petit effort supplémentaire, avec comme récompense le plus haut torii en acier du monde: 34 mètres. La construction rappelle que ce sanctuaire se trouvait sur un banc de sable de la rivière jusqu’à ce qu’une inondation détruise le site, en 1889. Sur la porte trône le corbeau à trois pattes qui, selon la légende, a indiqué le chemin à travers les montagnes au premier empereur du Japon. Ce corbeau est le symbole du Kumano Kodo, l’équivalent de la coquille de Saint-Jacques de Compostelle.

Festival du feu

La rivière de Kumano-gawa qui coule ici faisait autrefois partie intégrante du chemin de pèlerinage. On peut faire les 40 derniers kilomètres jusqu’à l’océan, où se trouve le sanctuaire de Hayatama, à bord d’un sampan. Le guide conseille aux passagers de bien envelopper leurs appareils photo et smartphones pour les protéger de l’eau, mais ce que j’imaginais être une descente “sauvage” de la rivière se limite à quelques paresseux rapides que le barreur contrôle avec une habitude routinière.

©Kris Van Hamme


Après avoir obtenu le cachet du sanctuaire de Hayatama, je mets le cap sur la suite: un périlleux escalier de pierre qui mène à un sanctuaire érigé sous un monolithe en équilibre instable. C’est ici, à Gotobiki-iwa, que les dieux seraient venus sur terre. Une façon originale de descendre les centaines de marches consiste à le faire en courant, une torche enflammée à la main. C’est cette épreuve qui se déroule chaque année pendant le festival du feu, au mois de février. En voyant la descente, on se dit qu’il n’est pas étonnant que les blessures dues aux chutes soient fréquentes.

Pour apprécier ce panorama d’une beauté ultime, il faut atteindre le dernier grand sanctuaire. Tout commence par le majestueux chemin qui y mène, le Daimon-zaka. Pour faire cette randonnée entre les cèdres séculaires avec style, certains louent un kimono de la période Heian. Mais la vraie récompense se trouve derrière le sanctuaire de Nachi: une vue inoubliable sur une pagode vermillon et la plus haute cascade du Japon qui se trouve à l’arrière-plan et qui, à l’image d’autres phénomènes naturels, est honorée comme une divinité.

Ajoutez à cela le sanctuaire shinto et le temple bouddhiste qui se côtoient pacifiquement et vous aurez une belle illustration de la façon dont les religions se mêlent sur le Kumano Kodo.Nous avons visité les trois sanctuaires, mais il serait dommage d’en rester là. Un des chemins (le Kohechi, 70 kilomètres) mène au mont Koyasan où le moine Kukai fonda le bouddhisme Shingon, en 816. Aujourd’hui, Koyasan est devenu un complexe de temples. Sur les plus de 2.000 qui étaient érigés, il en reste 117, dont 52 offrent une belle expérience: y passer la nuit, savourer la cuisine végétarienne, suivre un cours de calligraphie et participer à la prière. 

Vapeurs de soufre

Le lieu le plus sacré de Koyasan est le cimetière Okuno-in: les pierres tombales couvertes de mousse sont rassemblées autour du mausolée de Kukai, dans une forêt de cèdres géants. On peut y faire une visite nocturne, guidé par un moine. Dans le mausolée (où un Kukai bien vivant serait encore en train de méditer), le moine chante un mantra tandis que je ferme les yeux pour faire un vœu. J’ignore s’il se réalisera mais, dans la lumière orange des rangées de lanternes suspendues au toit du temple adjacent, ce moment est mémorable.

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Tsuboyu, une source d’eau chaude découverte il y a 1800 ans à Yunomine Onsen, est une pause parfaite lors de cette course aux temples.
Tsuboyu, une source d’eau chaude découverte il y a 1800 ans à Yunomine Onsen, est une pause parfaite lors de cette course aux temples.
©BELGAIMAGE

Aussi mémorable que le bain d’eau chaude qui, sans équipe de tournage cette fois, est une délicieuse pause dans cette course aux temples. Heureusement, la demeure des dieux ne manque pas d’onsens, dont un qui est réputé faire des miracles pour la peau, le minuscule Ryujin Onsen, construit au XVIIème siècle pour le seigneur féodal Tokugawa Yorinobu. Depuis, il a été transformé en auberge traditionnelle avec bains extérieurs et intérieurs, le Kamigoten Ryokan.

On peut se baigner dans les eaux du Yunomine Onsen, mais aussi y faire cuire des œufs ou des pousses de bambou dans une source dégageant des vapeurs soufrées nauséabondes. Très peu pour moi, me dis-je, jusqu’à ce que je m’attable pour le somptueux dîner servi au Adumaya Ryokan. On me sert des morceaux de bœuf et de légumes à faire cuire soi-même dans une casserole... d’eau de l’onsen.

Quand je regagne ma chambre, satisfait, mon futon m’attend pour une bonne nuit de sommeil. 


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