7.500 kilomètres à travers l’Europe septentrionale pendant 16 jours, au cœur de l’hiver, est le roadtrip ultime. Et, pour compliquer le tout, avec une voiture ordinaire, sans GPS. Montez à bord de l’édition hivernale du Baltic Sea Circle Rally, qui va de Hambourg au Cap Nord et retour. "N’oubliez pas votre équipement et vos nerfs d’acier!"
Par une froide matinée ensoleillée de février à Hambourg, un sentiment d’excitation règne au départ de l’édition hivernale du Baltic Sea Circle Rally. Une soixantaine d’équipes sont prêtes à quitter l’Allemagne pour la Scandinavie. Les règles du jeu de ce circuit d’aventure hivernal sont simples.
Un: interdiction de conduire sur autoroute. Deux: les GPS ne sont pas autorisés. Trois: toutes les voitures participantes doivent avoir au moins 15 ans. Quatre: les pilotes reçoivent un road book avec des conseils et des suggestions d’itinéraires (facultatives). Cinq: les voitures sont toutes équipées de traceurs GPS, afin que la famille et les fans puissent les suivre en ligne.
"Le Baltic Sea Circle Rally en février, c’est profiter du Grand Nord dans toute sa splendeur immaculée. Mais ce roadtrip à travers ces paysages demande aussi beaucoup de concentration et de courage", nous avait déclaré un passionné en apprenant que nous allions y participer: "N’oubliez pas vos moon boots et vos nerfs d’acier!"
Forêt suédoise
Thomas, un dentiste de Stuttgart, est seul dans sa Mercedes 4x4 lors de cette édition hivernale du Baltic Sea Circle Rally. Heureusement, ses amis sont également de la partie, à bord de deux voitures anciennes, et ils ont décidé de faire le trajet ensemble. Les trois équipes n’ont réservé aucun hôtel à l’avance et n’ont établi qu’un itinéraire approximatif pour atteindre le premier des deux lieux de rassemblement indiqués par l’organisateur allemand, Superlative Adventure Club (SAC). C’est là qu’à deux reprises, tous les participants au rallye se réuniront et dîneront ensemble. Et surtout, échangeront une foule d’expériences.
"Même en été, tout le monde va vers le sud. Alors, quand j’ai dit à mes amis et à ma famille que j’allais partir dans le nord, et en hiver, ils m’ont pris pour un fou!", sourit Thomas tandis que nous traversons une sombre forêt suédoise. "Où allons-nous dormir ce soir?", demandons-nous. "Aucune idée", répond le dentiste.
Bien que le GPS soit coupé, le smartphone est un compagnon de voyage bien pratique lorsqu’il s’agit de trouver une chambre d’hôtel vers 18 heures. Une recherche sur Airbnb aboutit à une cabane conviviale avec sauna quelque part dans la campagne suédoise.
Aurores boréales
Malgré le froid, certaines équipes décident de monter leur tente pour la nuit. D’autres choisissent un hôtel de luxe et un dîner quatre services. Mais la palme du dîner le plus original revient à l’équipe allemande ‘Die Krachbummenten’: le coffre de leur Subaru Seal 1996 contient non seulement un barbecue, mais aussi un chauffage spécial afin que les conducteurs puissent passer la nuit dans leur voiture. Leur devise est claire: “La peur, c’est pour ceux qui ont trop d’argent”.
Les deux Belges de l’équipe ‘Große Filou’ sont dans une Volvo de 1988 embarquant une élégante toile de tente et un poêle à bois. Parfait pour dormir dans la nature s’il y a des aurores boréales!
Pour presque toutes les équipes, ce rallye représente un sentiment de liberté ultime. Ici, quelle que soit sa voiture et son budget, chacun expérimente les paysages désertiques gelés d’Europe du Nord à sa manière. Il n’y a pas âme qui vive sur les routes qui traversent les blancs paysages suédois inondés de soleil.
Le silence règne et l’immensité de la nature n’est interrompue qu’occasionnellement par une petite ferme rouge. Ou par un café, l’endroit idéal pour faire une halte, avaler un hot dog ou un smørrebrød aux crevettes roses, et boire un café.
En été, l’archipel norvégien des Lofoten est noir de camping-cars et de touristes. Par contre, en hiver, il n’y a pas âme qui vive.
Ce soir, nous prenons le ferry, parfait pour récupérer un peu de sommeil. Cependant, Thomas fait d’abord un détour par le garage: il troque ses pneus hiver contre des pneus à clous. "Je vais peut-être perdre un peu de temps, mais je pense que ça vaut le coup. Il est impossible de rouler ici avec de simples pneus hiver: les pneus à clous sont indispensables."
Lorsque nous débarquons du ferry, le lendemain, nous sommes frappés par les paysages de la côte ouest de la Norvège. "En été, l’archipel norvégien des îles Lofoten est noir de camping-cars et de touristes. Par contre, en hiver, on est à peu près seul dans cette région féerique", commente Daniel Kaeger. C’est lui qui a mis sur pied le Baltic Sea Circle Rally, avec son frère Sebastian.
Ici, ne serait-ce que pour les paysages, rouler lentement est un émerveillement de chaque instant et tous les virages offrent un point de vue différent sur l’océan glacial d’un bleu merveilleux. Jour après jour, les températures chutent, nous obligeant à ajouter quotidiennement une couche de vêtements.
Dans le bas-côté
Lucas, un jeune homme originaire de Dresde qui participe au rallye avec deux copains à bord d’un minibus VW, prend son drone et suit la voiture tandis que nous longeons les fjords déserts et enneigés. Eaux bleu azur, maisons de pêcheurs de couleurs vives: le nord grandeur nature.
Plus nous montons vers le nord, plus les jours raccourcissent. Conduire dans l’obscurité devient une habitude, bien qu’il faille de la concentration pour voir à temps le danger que représente le mince film de glace presqu’invisible sur la route et que l’on appelle glace noire. Quelques équipes se retrouvent dans le bas-côté - plus de peur que de mal, heureusement... Une équipe qui participe au rallye à bord d’une Land Rover se retrouve coincée dans le nord de la Suède: le froid glacial a apparemment eu raison de leur 4x4!
Chair de poule
Ce rallye hivernal peu conventionnel a été lancé il y a deux ans pour être la version “froide” de la version estivale “chaude”, qui va de Hambourg au Cap Nord, en Norvège. À l’aller, il passe par le Danemark et la Suède, et, au retour, par la Finlande, la Russie, l’Estonie, la Lettonie, la Lituanie et la Pologne. Si l’itinéraire est le même, les conditions météorologiques ne le sont pas: en février, les températures extrêmes et la rapide tombée de la nuit en font une expérience totalement différente.
Chaque conducteur doit être prêt à affronter les petites routes verglacées et être capable d’encaisser les tempêtes de neige, les vents polaires et l’obscurité générale. Après l’effort, le réconfort: la journée se termine traditionnellement par une visite dans un accueillant sauna.
Ce soir, nous sommes accompagnés des membres de l’équipe ‘Power of Adventure’ au Bardu Huskylodge, où Jan et Ana ont préchauffé les cabanes cosy et le sauna en attendant notre arrivée. Une bouteille d’aquavit nous aide à définir le programme du lendemain.
Plus nous nous rapprochons du Cap Nord, plus cela devient difficile. Des vents violents venant de l’océan Arctique balaient les routes. Rouler ici, loin de l’autoroute, est un véritable défi. À bord de leur Range Rover rose, les trois trentenaires de Hambourg qui forment l’équipe des Driftchicks ne se plaignent pas.
Quand elles dérapent sur la glace et se retrouvent dans un bas-côté enneigé, deux autres équipes viennent à la rescousse et les amazones peuvent reprendre rapidement la route. Si chaque équipe suit son propre itinéraire, il se trouve toujours dans les parages une voiture pour venir donner un coup de main.
"Il est interdit de rouler sur les autoroutes et d’utiliser le GPS. Et la voiture doit avoir au moins 15 ans."
Sur les 60 équipes, 35 sont au rendez-vous au Cap Nord. La convivialité règne: on rit, on se prend dans les bras et on s’embrasse. Le vent hurle et, sporadiquement, le soleil transparaît dans l’épaisseur des nuages qui forment le ciel arctique. Aussi bien ces retrouvailles que le froid nous donnent la chair de poule.
"Voilà pourquoi je participe à ce rallye", explique Walter Darmstäder, qui parcourt seul les 7.500 km à bord de sa Škoda Octavia de 1997. "C’est le moyen idéal de prendre de la distance avec mon job stressant. Conduire seul dans ce paysage blanc et désert m’apaise. Et j’adore rencontrer des gens qui partagent ma passion et passer un bon moment en leur compagnie."
Mauvais karaoké
Le couple formé par Isabelle et Thomas Latacz, est heureux que sa Mercedes Classe G soit équipée de sièges chauffants en cuir, ce qui est loin d’être un luxe en Laponie, une région finnoise glaciale. Nous roulons pendant des heures à travers de silencieuses forêts enneigées. Si certains conducteurs trouvent que c’est un tronçon ennuyeux (il y a toujours le risque de s’endormir au volant), pour nous, c’est une journée presque thérapeutique, faite de paysages monochromes et de routes qui montent et qui descendent à travers les étendues de Laponie.
Passer la nuit à Inari, dans le nord-est de la Finlande, est synonyme de sauna bienfaisant, de cuisine roborative et de beaucoup trop de bière ‘Lapin Kulta’. Et la soirée se termine par un mauvais karaoké.
Gueule de bois ou pas, le lendemain, les Latacz reprennent le volant de leur Mercedes dans la joie et la bonne humeur. La Laponie s’ouvre sur l’onirique région des lacs de Finlande, où les températures remontent, ce qui nous permet de retirer quelques couches de vêtements. La neige reste cependant omniprésente, ainsi que les routes désertes et les petits villages. Nous faisons un détour pour nous rendre sur une ‘ice road’, une route de glace qui relie deux îles pendant l’hiver. "Filer sur cette surface scintillante, c’est merveilleux!", s’exclame Isabelle. "Et j’ai l’impression que même notre voiture aime ça!"
Toutes les équipes roulent vers le sud. Certaines évitent la Russie et prennent le ferry d’Helsinki à Tallinn, où est prévue la prochaine réunion. Mais nous, nous voulons voir Saint-Pétersbourg sous son manteau de neige. Notre équipe traverse la frontière, vient à bout des formalités russes et, après plusieurs journées de désert blanc, se dirige vers la grande ville pour y passer une nuitée.
Nous dégustons du caviar au Caviar Club de l’hôtel Kempinski, descendons des shots de vodka avec une tranche de pomme dans des bars sombres et expliquons aux Russes d’où nous venons et où nous allons, ce qui déclenche l’hilarité, l’incrédulité et encore plus de shots de vodka.
Le lendemain matin, nous partons avec Sandra et Frank de l’équipe ‘Baltic Taxi’ à Kolja, près de Tallinn, où un grand tipi en bois fait office de salle des fêtes pour accueillir la deuxième réunion du SAC. Saunas et hot tubs nous attendent dans un paradis glacé, avec une profusion de nourriture et de fûts de bière.
La Mercedes de Sandra et Frank, qui a fait office de taxi à Berlin pendant des années, affiche plus de 1,5 million de kilomètres au compteur. "Il y a quelques jours, la police finlandaise nous a arrêtés pour nous demander pourquoi ce taxi roulait si loin de la ville", se marre Frank.
Champagne Supernova
L’Estonie, c’est beau comme la mer Baltique complètement gelée sous un ciel bleu éblouissant. Nous nous arrêtons pour faire du café et manger un morceau de gâteau. En effet, le pique-nique est un élément essentiel de ce rallye. L’achat de produits locaux, accompagnés ou non de provisions venues de Belgique, est un rituel pour de nombreux participants.
Les membres de l’équipe suisse ‘Keep Calm and Baltic’ ont été au fond des choses: ils délaissent leur voiture par moins 20 °C pour s’installer dehors le temps d’une fondue au fromage préparée dans un caquelon sur le réchaud qu’ils ont emportés de Suisse.
Si les pays baltes sont encore recouverts de neige, le froid sec a disparu: par un matin humide et gris, nous entrons en Lituanie pour visiter la stupéfiante Colline des Croix, un lieu de pèlerinage chrétien planté de plus 100.000 croix, avant de nous rendre en Pologne.
La neige s’est muée en glace et le paysagepolonais paraît sombre, triste et ennuyeux par rapport aux paysages de neige et d’azur que nous avons connu il y a quelques jours. Le soir, nous rencontrons l’équipe ‘Champagne Supernova’, alias Arndt et Boris, deux amis et hommes d’affaires de la région de Düsseldorf, dont la Touareg Volkswagen de 2003 est remplie de bouteilles de champagne.
"Arndt voulait faire ce rallye avec son épouse, mais cela ne lui disait rien. Je me suis donc porté candidat!", s’exclame Boris tandis que nous jouons au bowling dans un obscur hôtel, au milieu de nulle part. Les deux amis veulent récolter 7.000 euros pour un projet d’eau potable en Ouganda, où ils se rendront après le rallye.
Le lendemain, nous filons en ligne droite jusqu’à Hambourg. Très vite, il apparaît clairement que, si atteindre la ligne d’arrivée est un moment de joie pour tout le monde, ce n’est finalement pas le but ultime de ce Baltic Sea Circle Rally. Il ne s’agit pas non plus de savoir qui collectera le plus d’argent pour la bonne cause durant cette édition, environ 60.000 euros ont été reversés à 60 œuvres caritatives.
Ce circuit d’aventure, c’est avant tout l’occasion de se perdre dans des paysages inoubliables de l’archipel sauvage des Lofoten, d’affronter les routes perdues dans les forêts infinies de la blanche Laponie et d’explorer la sombre beauté des pays baltes. Mais c’est surtout la liberté que l’on n’obtient qu’à condition d’oublier son train-train quotidien pour s’abandonner complètement aux paysages sans cesse changeants de l’Europe septentrionale en hiver. Box19
‘Baltic Sea Circle Rally - Winter 2020’, du 22 février au8 mars 2020, 1.050 euros par couple (hébergement pour deux nuits inclus).