L’Eden Rock-St Barths caresse tous les sens, dont l’odorat. Dans les chambres flotte le parfum délicat de l’ylang-ylang mêlé à l’air salin de la mer. Cette fragrance envoûtante fait partie intégrante des lieux.
"Notre parfum exclusif a été créé pour l’Eden Rock-St Barths par la prestigieuse maison Diptyque Paris", déclare Pierre-Marie Pointeau, responsable de la boutique du palace. "Le parfum d’ylang-ylang est diffusé par le système de climatisation dans nos différents espaces — le Rémy Bar, la bibliothèque et la boutique. Et notre équipe de ménage le vaporise dans les chambres lors du nettoyage." Ce parfum élaboré autour d’une seule fleur est qualifié de soliflore. Afin de créer une harmonie avec l’environnement extérieur, "nous avons également planté des ylangs-ylangs supplémentaires dans nos jardins", ajoute Pointeau. L’art de la maîtrise des détails...
L’odorat, un sens puissant souvent mis au second plan, détient un rôle clé dans notre perception du monde. Les récepteurs olfactifs constituent la plus grande famille multigénique chez les mammifères. En d’autres termes, l’odorat représente une plus grande part du génome humain que le système immunitaire. Que nous en soyons conscients ou non, notre odorat influence notre humeur et notre comportement. Omniprésent dans notre vie sociale, il nous attire vers ceux que nous aimons et facilite notre interaction avec les personnes et les environnements. L’odorat possède également la capacité unique de nous sentir connectés, de nous ancrer dans un moment et un lieu déterminés.
Tout cela explique pourquoi les grands hôtels accordent une attention croissante à la curation olfactive, soit les fragrances que le client rencontrera, au même titre que le raffinement des draps et l’élégance de la décoration intérieure. "Je pense que ce qui est intéressant dans le fait de parfumer le lobby d’un hôtel, par exemple, c’est que l’on coupe instantanément du monde extérieur la personne qui y pénètre pour l’envelopper dans notre univers. Le parfum peut conférer un sentiment d’assurance, d’opulence et de confort", déclare Julien Pruvost, directeur artistique chez le fabricant français de bougies Trudon.
Aujourd’hui, ces dernières parfument le Connaught à Londres (Solis Rex, aux notes d’encens, de cèdre, d’eucalyptus et d’écorce de sapin); le Château de la Gaude à Aix-en-Provence (Ernesto, aux notes de tabac, clou de girofle, patchouli et bergamote); le Waldorf Astoria à Amsterdam (Melchior, un parfum exclusif par ailleurs arrêté), palace qui propose aussi à ses clients un menu de parfums Trudon en spray pour leur chambre.
Reflet de la culture
À l’instar de l’Eden Rock-St Barths, les hôtels situés dans un cadre naturel choisissent souvent d’utiliser le parfum pour créer un lien avec leur environnement. En été, on accède au Manoir aux Quat’Saisons de Raymond Blanc par un sentier bordé de lavande, dont les effluves flottent jusque dans le lobby de l’hôtel, où ils se mêlent à la fragrance de lavande d’un diffuseur de Branche d’Olive.
"Raymond [Blanc] est à l’initiative de ce projet. Il était très intéressé par les parfums en résonance avec notre jardin", précise Julia Sutcliffe, directrice du marketing. "Toutes les chambres de la propriété sont différentes et inspirées des voyages de Raymond, de ses goûts en matière d’art et de son séjour au Royaume-Uni. Dans les chambres, nous utilisons six fragrances différentes, adaptées à leur style."
Dans une perspective plus globale, les parfums se doivent également de refléter en partie la culture dans laquelle ils se trouvent. "Prenez la Chine, par exemple", reprend Julien Pruvost de chez Trudon. "Comme dans de nombreux pays asiatiques, la sensibilité aux saisons y est prépondérante et elles sont donc exprimées de façon plus marquée qu’en Europe. En revanche, la région du Golfe entretient une relation ancienne et profonde avec les parfums et certains composants. Lorsqu’on en exporte vers cette région, l’attente est que le parfum soit abordé de manière spécifique."
La fragrance intense de l’oud, extrait du bois d’agar, une plante tropicale à feuilles persistantes, est ancrée dans la culture moyen-orientale, mais Pruvost met en garde contre une approche simpliste. "C’est une question de nuances. Lors d’une conversation, un distributeur local m’a un jour déclaré qu’ils n’attendaient pas de nous une simple juxtaposition d’ambre et d’oud, mais une résonance avec leur culture."
La parfumeuse Rachel Vosper, établie dans le quartier londonien de Belgravia et qui parfume l’hôtel Berkeley, explique avoir appris à concilier approche pragmatique et vision artistique dans chaque nouveau projet. Tout est question de contexte: y a-t-il une seule personne chargée de parfumer un espace ou faut-il plaire à un conseil d’administration de 20 personnes? "Si la décision implique plusieurs personnes, je consulte chaque membre de l’équipe afin de cerner leurs préférences et leurs aversions. C’est presque un jeu d’élimination, consistant à éviter tout composant susceptible de déplaire."
Parfum sur mesure
Les fragrances sur mesure sont le nec plus ultra en matière de paysage olfactif dans l’univers hôtelier. L’hôtel Passalacqua, sur le lac de Côme, premier sur la liste des World’s Best 50 Hotels publiée à l’automne dernier, a sa fragrance. Partagées avec l’hôtel frère Grand Hotel Tremezzo, Aqua Como 1787 et Aqua Como 1910 cherchent à combiner des senteurs faisant écho aux fleurs des jardins des rives ainsi qu’à la brise légère sur l’eau.
Cependant, personne n’attache autant d’importance au parfum que le groupe Peninsula Hotels. Dans chacune des villes où se trouve un de ses établissements, il a fait appel à un curateur de parfums local pour créer une fragrance sur mesure, destinée à parfumer les produits de salle de bains tels que gel douche, savon, etc. Pour le Peninsula Shanghai, Dino Kong a créé un parfum aux notes de géranium, patchouli et pamplemousse; pour le Peninsula Chicago, Russell Weiss a utilisé de la pomme rouge, des baies épicées et des fleurs exotiques; pour le Peninsula Bangkok, Prin Lomros a opté pour des notes de mangue, lotus et orchidée.
Le parfumeur londonien d’origine canadienne Timothy Han a été choisi pour créer les fragrances du nouveau London Peninsula, le premier hôtel de la capitale qui a coûté un milliard de livres sterling, et a ouvert ses portes en septembre. Han, ancien guide d’aventure en pleine nature et programmeur informatique, a également travaillé dans l’industrie de la mode auprès de John Galliano. Il aborde la création de parfums en conteur d’histoires. "The Peninsula m’a donné un briefing, auquel j’ai répondu par un contre-briefing. J’ai rédigé trois courtes histoires, d’environ trois paragraphes chacune, et leur ai déclaré: ‘Voilà les histoires pour lesquelles je désire créer des parfums’."
Cohérence olfactive
Celle qui a été retenue raconte le périple et les expériences d’une personne voyageant de Hong Kong à Londres au début du XXE siècle. Han a imaginé des hydravions, des intérieurs richement boisés, un train pour Londres et une voiture traversant Hyde Park pour rejoindre l’hôtel.
"Mon parfum est composé de nombreuses notes boisées, ainsi que des notes florales évoquant le parc et des draps de lin fraîchement amidonnés, dont j’adore le parfum si particulier. J’ai également composé une autre création, et j’ai été surpris qu’ils l’apprécient. Michael (Kadoorie, président de la chaîne mondiale de luxe qui détient les hôtels Peninsula) est un grand amateur de voitures. Sur de vieilles voitures et de vieux avions à hélice, j’avais imaginé une sorte de reflet d’huile. Pas une lourde odeur d’huile de moteur, mais plutôt une senteur d’huile protectrice. Cette note aussi figure dans le parfum, ce qui est assez inhabituel et pousse probablement beaucoup de gens hors de leur zone de confort."
Will Han travaille également au développement d’une bougie sur mesure: une version géante que le Peninsula London pourrait disperser dans l’hôtel ainsi qu’un format plus classique que les clients pourraient s’offrir. Le nouveau parfum de Han pour le Peninsula sera-t-il différent de celui qu’il a créé pour les produits de salle de bains? "Oui et non. Ce qui est important lorsqu’on parfume un espace, c’est de créer une forme de cohérence olfactive. Ainsi, bien que la bougie soit basée sur le parfum des produits d’accueil, nous l’avons légèrement modifiée afin qu’elle dégage une sensation plus réconfortante."
Le parfum a la propriété particulière de nous donner un sentiment de connexion et d’ancrage avec une époque ou un lieu spécifiques.
Souvenirs sur demande
"Il est couramment admis que l’odorat est étroitement lié à la mémoire, mais les souvenirs revêtent différentes formes et dimensions. À titre d’exemple, jamais mon odorat ne m’a aidé à me rappeler une formule mathématique lors d’un examen et je ne me fie pas à mon nez pour vérifier ce qu’il faut renouveler dans mon réfrigérateur: je rédige plutôt une liste de courses. L’odorat joue un rôle prépondérant dans ce qu’on appelle la mémoire épisodique, des réminiscences d’expériences ou de situations personnelles ancrées dans le temps et l’espace. Ces réminiscences s’accompagnent souvent d’émotions." Ainsi, l’odorat peut nous transporter dans un autre lieu ou une autre époque, et influencer notre humeur.
Dans son livre "Smellosophy", AS Barwich cite le parfumeur Christophe Laudamiel, qui explique pourquoi cet effet peut être si captivant. "Vous vous trouvez là, car ces molécules sont présentes dans votre nez. Et donc, votre cerveau pense que vous y êtes, réellement: il vous transporte dans ce lieu précis."
Un client qui revient dans un hôtel peut éprouver une sensation de bien-être lorsqu’il retrouve un parfum qu’il associe à la détente et au luxe qu’il y a éprouvés. Lors de son départ, il peut être tenté d’emporter un peu de la magie de ses vacances sous forme d’un diffuseur, d’une bougie ou d’un vaporisateur. C’est en partie pour ces raisons que les hôtels ont tendance à opter pour un parfum signature unique.
Cependant, dans certains espaces publics, on observe une tendance vers un parfum plus dynamique, qui évolue au fil du temps ou au gré des déplacements. Une approche que Han compare à la composition d’une symphonie olfactive. "Je collabore avec une résidence de luxe qui sera disponible à la location, dans laquelle nous aurons un axe olfactif qui changera subtilement lorsque vous passerez d’une pièce à l’autre."
Création d'ambiances
Rebecca Rose, fondatrice et directrice artistique de To The Fairest, révèle qu’elle adopte de plus en plus souvent une approche similaire dans son travail. Outre ses collaborations avec des hôtels, elle se spécialise dans la création d’ambiances olfactives pour les mariages, une tendance de plus en plus prisée. C’est chez elle qu’elle les teste, en choisissant différents parfums pour créer des atmosphères distinctes.
Dans le salon, par exemple, elle allume sa bougie Cécile. "Elle offre une sensation de chaleur et évoque les vacances. Nous y avons intégré une note très subtile de noix de coco, sans tomber dans le cliché de la crème solaire; c’est cosy et relaxant", explique-t-elle. Dans la salle à manger, elle préfère le diffuseur Vert de Serendip de Victoria Cator, plus frais. Cependant, Rebecca Rose souligne que le parfum dynamique doit être mis en balance avec le fait que les mariés et les voyageurs sont souvent attachés à une fragrance principale unique, à laquelle ils peuvent revenir régulièrement, pour les anniversaires ou d’autres occasions spéciales, afin de faire resurgir ces souvenirs.
L’idée d’un parfum exclusif qui permettrait aux clients d’emporter avec eux un peu de leurs vacances en guise de souvenir olfactif était précisément ce que recherchait l’Eden Rock-St Barths avec son parfum Diptyque, explique Pierre-Marie Pointeau. "C’est une senteur caractéristique, que les clients perçoivent dès qu’ils montent à bord de la voiture de transfert, à l’aéroport." Et le succès est au rendez-vous: "Chaque fois que nous sommes en rupture de stock de bougies à emporter, nous avons des listes d’attente de plusieurs mois."