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Moteurs du changement

©Thomas De Boever

Face à des incitants de plus en plus forts, la transformation est plus que jamais à l’ordre du jour des entreprises. Le grand défi? Aligner les couches de l'entreprise qui seront affectées par la transformation. Nous avons réuni trois personnalités parmi les mieux placées pour en parler: Lucien De Busscher et Kurt Van der Voorde, tous deux associés chez EY, et Christiaan De Wilde, EVP Global Operations Fujirebio et CEO de Fujirebio Europe (ex-Innogenetics).

Comment définir la transformation?

De Busscher: Nous parlons de transformation lorsqu’un changement a un impact sur plusieurs couches de l’entreprise, de la stratégie au modèle opérationnel. La transformation ne peut constituer un objectif en soi. Elle doit représenter une réaction efficace à une évolution de l’écosystème de votre entreprise. Le déclencheur peut être interne ou externe: une modification de la législation, par exemple; une acquisition qui vous oblige à intégrer une nouvelle culture, ou l’arrivée de nouvelles technologies et l’évolution des modèles d’affaires qu’elles imposent.

Quel regard portez-vous sur la transformation dans le secteur pharmaceutique?

De Wilde: Nous vivons une époque passionnante, traversée de très nombreuses tendances et nouvelles technologies disruptives. Or, en dépit de tous les groupes de réflexion, présentations et effets de mode imaginables, la mise en oeuvre d’une transformation jusqu'au terrain nécessite plusieurs années. Sans être visionnaire, je jouis d'une grande expérience du côté pratique des transformations dans le secteur de la santé. Et je constate qu’elles sont souvent freinées par les parties auxquelles profite le statu quo.
Pourtant, de grandes transformations demeurent possibles dans le secteur pharmaceutique. Malgré la pression des économies, nous générons toujours de belles marges. Je pense surtout aux transformations qui partent des besoins du patient. Les progrès réalisés dans la génétique, par exemple. Bientôt, nous pourrons prédire dès sa naissance à quel moment une personne souffrira de quelle maladie. À moyen terme, je nous vois très bien nous rendre chez le pharmacien avec notre génome personnel pour recevoir un vaccin contre la grippe parfaitement adapté à notre ADN.
L’activation des Big Data est un autre défi. Nous avons encore un long chemin à parcourir dans ce domaine: les données sont stockées chez Google et Apple, le secteur pharmaceutique n’est nulle part. Des partenariats seront nécessaires.

Chez EY, on est partisan de la Purpose-Led Transformation. Qu’entendez-vous par là?

De Busscher: Le purpose d’une entreprise est sa finalité, sa raison d’être. La remettre fondamentale ment en cause peut donner lieu à une Purpose-Led Transformation, une transformation portée par un objectif. Sans but clairement défini, une transformation est aveugle. Prenez EY: nous avons formulé notre purpose, "Building a better working world". Il donne une direction à toute notre transformation interne, et procure une identité forte à notre entreprise.

Chez Fujirebio, la transformation découle-t-elle de ce purpose?

De Wilde: Je ne suis pas aussi ambitieux. Au départ, Innogenetics était une entreprise transformationnelle. Nous étions des pionniers dans le domaine du diagnostic et de la recherche sur la maladie d'Alzheimer. Mais il est impossible de mener à bien une telle transformation sans apport extérieur. Pour exécuter toutes les phases de la recherche pharmaceutique, vous avez besoin de capitaux, donc de partenaires solides.

Quant au secteur pharmaceutique dans son ensemble, j'y vois plusieurs transformations indispensables. Ainsi les centaines de milliards investies dans la recherche le sont-elles de manière très dispersée. Chacun veut protéger ses propres droits de propriété intellectuelle. Il serait beaucoup plus efficace de réunir ces recherches sur une plateforme partagée. Si l’industrie pharmaceutique relevait ce défi, de nombreuses innovations fondamentales pourraient intervenir au cours de 25 prochaines années. Voilà un purpose pour toute l’industrie pharmaceutique!

©EY

Lorsque vous initiez une transformation, veillez à ce que tous ceux qui devront exécuter vos projets sur le terrain adhèrent réellement à votre message.

Christiaan De Wilde
CEO de Fujirebio Europe

Motivations

Quelles sont les motivations de la transformation?

De Wilde: Pour l’industrie pharmaceutique, l’évolution de la législation, par exemple en matière de remboursements, constitue une motivation importante. L’une des promesses électorales de Hillary Clinton aux États-Unis est de rendre les médicaments plus fiables et moins chers. Cela pourrait bouleverser l’ensemble de l’industrie. Afin de réduire les coûts et de rendre les thérapies plus efficaces, il est nécessaire de réinventer totalement les modèles d’affaires.

Chez Fujirebio, nous avons procédé à plusieurs acquisitions aux États-Unis au sein de notre division Laboratoires cliniques. Mais le système Obamacare nous a obligés à réduire nos prix d’environ 10%. Notre modèle d’affaires et notre plan financier se sont effondrés. Cela a eu un impact sur toutes les branches de l’entreprise. Nous avons dû nous restructurer très vite et laisser partir de nombreux collaborateurs. C’est un exemple de transformation en réaction à un stimulus externe.

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De Busscher: Un autre exemple est la législation européenne récemment adoptée en réaction au scandale des prothèses mammaires défectueuses. Elle sera hautement transformationnelle pour tous les producteurs d’appareils médicaux, et touchera à la fois la R&D, la chaîne logistique, le contrôle qualité et la vigilance. EY a calculé que la mise en conformité avec la nouvelle législation pourrait coûter des centaines de millions de dollars aux producteurs. Mais la transformation induite par ce changement législatif est susceptible de dépasser largement la simple mise en conformité. Voici une occasion fantastique de briser les silos à l’intérieur des entreprises, de remettre en cause des produits et des processus, et d’analyser toute opportunité d’acquisition qui apparaîtrait sur le radar.

©Thomas De Boever

Van der Voorde: Des considérations fiscales peuvent également s'avérer un moteur de transformation. Voyez la fusion de Pfizer et d’Allergan, l’une des plus importantes de l’histoire. Comme l’indiquent les analystes, elle n’est pas uniquement motivée par une logique d’affaires, mais aussi par une recherche d’optimisation fiscale. La fusion donnera lieu à une vaste transformation centrée sur la valeur actionnariale, pas les activités. Auparavant, la fiscalité était souvent la seule raison de revoir un modèle opérationnel. Depuis l’initiative BEPS de l’OCDE, ce n’est plus le cas: le bénéfice sera imposé là où il sera réalisé, là où la valeur sera créée. L’aspect fiscal devient un simple composant dont il faut tenir compte lors de la transformation. Les structures visant à transférer la totalité des bénéfices vers un petit bureau géré par deux personnes dans les montagnes suisses appartiennent au passé.

EY

De Busscher: La globalisation et le champ d’action peuvent également incarner de puissants moteurs de transformation. Dans le secteur pharmaceutique, l’élargissement géographique du marché est sans cesse sur la table, et l’accès aux soins en est un élément crucial. La question est alors: comment allez-vous déployer votre modèle d’affaires en Asie, par exemple? Reproduire aveuglément le modèle prévu pour les marchés occidentaux, c’est courir à l’échec. Ce projet exige notamment une adaptation culturelle approfondie.

De Wilde: Il convient en effet de se montrer prudent avec la globalisation comme moteur de la transformation. Par expérience, j’ai appris qu’il ne faut pas sous-estimer les différences culturelles. Je passe une grande partie de mon temps au Japon, car je siège au comité de direction mondial de Fujirebio. J’y suis un peu le vilain petit canard. Cela peut paraître banal, mais rien que la langue constitue déjà un obstacle important. Il faut être capable de transmettre son message de manière compréhensible pour les locaux, sans quoi ils "décrochent".

Depuis l'adoption du principe du fair share, la fiscalité est plus une conséquence accessoire qu’un moteur de la transformation.

Kurt Van der Voorde
Associé chez EY Tax Consultants
©Thomas De Boever

Opérationnaliser

Comment passer de la stratégie à l’opérationnalisation de la transformation?

Van der Voorde: Si l’on veut optimiser l’une des couches du modèle opérationnel sans toucher au reste, on crée des frictions. On prend alors le risque de se confronter à une situation moins favorable que celle de départ. Il faut déployer une vision globale, opérer des choix clairs, définir les priorités adéquates.

De Busscher: J’ai travaillé pour une entreprise pharmaceutique qui avait procédé à de très nombreuses acquisitions. Elle désirait installer une plateforme logistique en Irlande pour tous les départements, une structure visant l’optimisation fiscale. Le législateur imposait par conséquent de créer de la valeur en Irlande. Concrètement, il fallait donc y mettre en place toute une organisation opérationnelle. Aujourd’hui, l’agrégation des prévisions se fait en Irlande, toute la production est pilotée depuis là-bas, l’offre et la demande y sont centralisées. La constitution de cette organisation opérationnelle découle dans ce cas de l’optimisation fiscale visée. C’est donc la couche fiscale qui a porté la transformation, celle-ci ayant à son tour un impact gigantesque sur la structure opérationnelle.

Van der Voorde: Je suis en train d'élaborer une chaîne logistique similaire pour une entreprise pharmaceutique en Belgique. À ceci près que la motivation provient cette fois de la réalité opérationnelle. L’entreprise dispose de dizaines de collaborateurs talentueux en Belgique. On ne peut les déménager facilement. Elle a donc décidé de centraliser ici à très court terme la chaîne logistique de tous ses sites de production. Cela montre que, bien que la fiscalité soit un facteur important pour la valeur actionnariale, toutes les entreprises ne se laissent pas guider par cet aspect dans le choix des sites opérationnels.

De Wilde: On oublie trop souvent le facteur humain dans la transformation, notamment dans les acquisitions. Le piège, lors de chaque opération de ce genre, réside dans l'application d’une stratégie qui paraît très intéressante sur le papier. Pour la réaliser sur le terrain, il ne suffit pas de bénéficier du soutien du comité de direction. Veillez à ce que tous ceux qui devront exécuter vos projets sur le terrain adhèrent réellement à votre message.

Défis

De quelles compétences a-t-on besoin pour mener à bien une telle transformation?

Van der Voorde: Il faut des leaders capables de transmettre le message à l’ensemble de l’organisation. C’est un véritable travail de missionnaire, qui exige d’abord de convaincre le comité de direction, puis de propager le message dans le reste de l’entreprise.

De Wilde: Chez Fujirebio, nous avons consacré ces derniers mois à développer une nouvelle stratégie. Il est faux de penser que l’on peut convaincre tous les collaborateurs avec une présentation de deux heures. C’est impossible, il faut sans cesse répéter le message, organiser des événements, des réunions, des séances de travail, former une coalition dominante, rechercher des personnes désireuses d’accompagner le changement.

L’écart entre la théorie et la pratique est toujours gigantesque. Alors qu’Innogenetics venait d’être racheté, nous avons formulé de nouveaux objectifs. Nous n’avons jamais pu les atteindre, ni même nous en approcher. Il faut être très prudent avec les prévisions. Des attentes trop élevées nuisent à la motivation. Je suis très transparent dans ce domaine, c’est mon style: je montre les chiffres. Et si nous échouons? Nous réessayons.

De Busscher: Il est nécessaire de communiquer de manière transparente sur la transformation et l’objectif. Parfois, je constate une lassitude vis-à-vis de la transformation. Choisissez bien vos défis. Il est impossible de changer vingt choses simultanément, il faut définir des priorités, abandonner certains aspects pour se concentrer sur l’essentiel. C’est un exercice très difficile, jamais indolore. Mais les résultats potentiels en valent souvent largement la peine.

Jamais le monde des affaires n’avait fait l’objet d’autant de changements. Des évolutions considérables dans l’environnement interne et externe des entreprises les incitent à opérer des transformations profondes. Ce sont souvent plusieurs branches de l’entreprise qui sont concernées. Ce qui ne facilite pas le processus de transformation.

C’est précisément parce que la transformation concerne toutes les couches de votre entreprise qu’elle doit être structurée comme un ensemble, autour d’un objectif défini. C’est la Purpose-Led Transformation. De nombreuses entreprises initient une transformation parce que leurs concurrents le font aussi. Une telle opération est rarement une réussite. Ne vous lancez pas dans un processus de transformation sans objectif précis. Une certaine dose d’audace est nécessaire pour remettre en cause la raison d’être de votre entreprise. Mais si vous parvenez à donner une réponse claire à cette question et à la transposer en modèle d’affaires, vous êtes sur la bonne voie.

Si votre "purpose" est clair, tous vos prospects auront une réponse à la question: pourquoi deviendrais- je client de cette entreprise ou lui achèterais-je tel produit ou service? Il faut donc définir un message qui apporte une valeur ajoutée, non seulement à l’entreprise, mais à toutes les parties prenantes: clients, employés, actionnaires, pouvoirs publics, voire la société dans son ensemble. En d’autres termes, votre message doit être communicable et susciter l’adhésion. Simultanément, vous devez être conscients que LA transformation n’existe pas. Il s’agit toujours d’un grand nombre de transformations partielles. Le défi consiste à les aligner parfaitement. Dans ce dossier, vous trouverez une série d’idées qui vous permettront de vous mettre immédiatement au travail.  

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